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Hassan Chahdi, victime du système fédéral

Jamais la désignation d’une équipe olympique de marathon n’avait été aussi tumultueuse que celle constituée pour les Jeux Paris 2024, suite à la suspension pour infraction aux règles antidopage de Mehdi Frère et au forfait de toute dernière minute de Morhad Amdouni. Au final, le grand perdant des défaillances de la FFA été Hassan Chahdi, sélectionné à quelques heures seulement du départ de ce marathon olympique et remarquable 20eme dans un tel contexte.

Du jamais vu ! Et heureusement, tant le traitement infligé à Hassan Chahdi a été d’une honteuse dureté. Pourtant son palmarès devrait imposer le respect avec cette capacité à la réussite dans de grandes épreuves : 5ème à Londres ce printemps 2024, 7ème au Mondial de Budapest en 2023, 8ème à Boston au printemps 2023…

Néanmoins au final, Hassan Chahdi n’est passé du statut de remplaçant à celui de titulaire que le vendredi soir à 17 heures pour un départ du marathon le lendemain matin à 8 heures. Et ce n’est que grâce à un mental hors norme, qu’il a réussi à terminer l’épreuve olympique à la 20eme place ! Mais comment a-t-on pu en arriver à un tel fiasco humain ? Par une succession de manquements dans le système de sélection mis en place par la FFA.

Une protection trop courte pour Hassan Chahdi

7ème au Mondial 2023, la performance d’Hassan Chahdi est remarquable. Aucun Français n’a fait mieux, avec comme repère précédent la 13ème place de Benoît Zwierzchiewski en 2001.

Les règles de sélection fixées à la mi-mai 2023 par la DTN pour Paris 2024 sont claires et semblent protéger le marathonien : il est prioritaire. À condition de réaliser le minima olympique de 2h08’10 avant le 31 janvier 2024.

C’est en réalité très très court alors que Chahdi a déjà enchaîné Boston et Budapest en cinq mois. Trois marathons seulement peuvent lui permettre de respecter ce timing : Valence début décembre 2023, Dubaï début janvier, Séville mi-février.

Toutefois une blessure va contraindre Hassan à ralentir l’entraînement et à reporter son marathon. Ce n’est finalement qu’en avril à Londres qu’il réussit le minima. Las, son ticket s’est envolé, les chronos de ses rivaux ont explosé et Hassan Chahdi n’a plus qu’à se contenter d’un strapontin de remplaçant.

Mais pourquoi la FFA a t-elle adopté une date butoir aussi précoce pour ce chrono qualitatif ? En réalité deux dates repères ont été fixées par World Athletics : le 30 janvier visant à définir 80% des qualifiés et le 30 avril. Mais compte tenu de l’explosion des chronos à la faveur des plaques carbones, il était prévisible qu’il y aurait un trop contingent de qualifiables. Dès lors pour vraiment protéger Hassan Chahdi, il fallait conserver sa priorité jusqu’à fin avril 24. Et dans ce cas, c’est lui qui aurait été retenu. Et non Morhad Amdouni qui a réalisé son record de France de 2h03’47’’ à la mi-février. La date butoir d’avril a ainsi avantagé un coureur qui avait abandonné au Mondial 2023 au détriment de celui qui avait terminé finaliste !

Une protection trop longue pour Morhad Amdouni

La sélection de Morhad Amdouni n’est annoncée officiellement que début juillet suite au retard provoqué par la procédure pour violation des règles antidopage par Mehdi Frère. Mais il est déjà acquis que le record de France de Séville garantit sa place à Morhad Amdouni.

Hassan Chahdi et son manager, Riad Ouled, interpellent alors le 18 juin la FFA via l’avocat Maître Bertrand pour obtenir qu’un test de forme soit imposé aux possibles sélectionnés olympiques. Est directement visé Morhad Amdouni puisque celui-ci n’a plus couru depuis la mi février et qu’il a déclaré forfait sur blessure au Championnat d’Europe de semi et aux 10 km de Langueux à quelques minutes du départ.

La réponse de la FFA en date du 19 juin confirme qu’un test de performance est bien prévu dans le cas où un athlète est blessé dans les 6 mois précédant le Marathon Olympique. Sur la lancée, le marathonien est convoqué pour le 27 juin à l’Insep pour un test de forme mais ne s’y présente pas. Il a en réalité mis le cap sur le Kenya mais ne fera qu’un aller-retour. Autant d’errements qui reçoivent l’aval de son coach Jean Claude Vollmer qui n’hésite pas à soutenir que les deux 3000 mètres courus pour les Interclubs à la mi-mai valent tests de forme. Sans aucune réaction de la FFA, qui ne bouge pas plus à l’idée de ce stage au Kenya, puis du choix du recordman de France de rester sur Chatenay Malabry en s’excluant du stage national de Font Romeu, comme elle avait déjà validé l’absence du marathonien du stage national de la fin mai à St Jean de Monts. Des errements d’Amdouni dénoncés en 2019 par Jean Claude Vollmer, lorsqu’il avait été intégré dans l’équipe fédérale pour le marathon, et qu’il était alors le coach d’Hassan Chahdi !

Un bon moyen pour éviter aux coachs Lahcen Sahli et Patrice Binelli d’appréhender l’exact état de forme de Morhad Amdouni à quelques semaines du marathon. En sous-main, la rumeur persiste d’une blessure handicapante pour l’entraînement même si les stories disséminées sur les réseaux par Morhad Amdouni laissent à croire à de vraies séances. Lors de son déplacement à Font Romeu vers le 20 juillet, Jean Claude Vollmer, lui-même, concède une gêne qui entrave la préparation.

Malgré tout, Morhad Amdouni se présente le mercredi 7 août au point presse olympique avec les autres marathoniens. Et ce n’est que le vendredi 9 août qu’il déclare renoncer à prendre le départ du marathon ! Officiellement parce que son dernier entraînement lui a provoqué une douleur au mollet que les examens réalisés qualifient de décollement inter-aponévrotique. Il ne reste plus à Romain Barras qu’à appeler Hassan Chahdi le vendredi à 17 h pour lui demander de remplacer Amdouni !!

Une situation indécente pour Hassan Chahdi et que la FFA aurait pu éviter en utilisant les garde fous prévus dans ses règles de sélection : la vérification de l’état de forme bien avant le début des Jeux, comme elle l’a exigé pour la perchiste Margot Chevrier et le coureur de 400 m haies, Ludvy Vaillant. Mais force est d’admettre que Morhad Amdouni a bénéficié, lui, de passe droits contraires à l’équité sportive.

Une protection trop longue pour Mehdi Frère

Mi mai 2024, l’annonce de la sélection olympique par la FFA pour le marathon est reportée. Mehdi Frère est en difficulté avec les instances antidopage pour des problèmes de localisation irrégulière. Débutent alors plusieurs semaines d’incertitudes pour déboucher sur une suspension de deux ans confirmée in extremis le 2 août par le Tribunal Arbitral du Sport. C’est alors Félix Bour qui remplace Mehdi Frère. Car pour la première fois sur marathon aux JO, des remplaçants ont été nommés pour palier aux défaillances.

Pourquoi un tel imbroglio ? Parce que la FFA a accepté sa nomination en Équipe de France en dépit de la procédure. Cela même si les critères de sélection définis en mai 2023 prévoyaient bien le refus de sélection « en cas d’ouverture d’une procédure disciplinaire dûment notifiée à l’athlète pour une infraction aux règles relatives à la lutte contre le dopage ».

Mais sans définir la date exacte à laquelle serait analysée la situation ! Un gros manquement qui va permettre à Mehdi Frère de revendiquer sa sélection jusqu’à la décision finale du TAS, exigeant même que lui soit accordée la présomption d’innocence.

Là encore, la protection a été garantie quasiment jusqu’à la dernière minute. Pourtant dans le passé, des athlètes ont été sortis dès le début du déclenchement d’une procédure et sans attendre la décision officielle. Ce fut le cas de la Nigériane Blessing Okakgbare aux JO de Tokyo à quelques heures de sa demi-finale du 100 mètres. Pour le Mondial d’Eugene en 2022, l’Athletics Integrity Unit exclut 3 athlètes en 4 jours : Nijel Amos, sur 800 mètres, Lawrence Cherono, sur le marathon, et Randolph Ross, sur le 400 mètres

Interdits de compétition avec effet immédiat, la mesure est radicale mais protège les athlètes qui, eux, n’ont pas connu de dérives. C’est le minimum de respect qu’on doit à ces remplaçants !

  • Analyse : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.