A 65 ans, Guy Jouvenelle ancien président de l’AS Pierrefitte brûle encore d’une énergie folle à la moindre escapade de ses troupes. Arrivé dans cette banlieue Nord en 1970, il ne l’a jamais quittée s’investissant sur deux fronts qui parfois ne font qu’un, le sport à travers ce club d’athlétisme et la politique, il est élu conseiller municipal. Rencontre.
Guy Jouvenelle s’habille comme un élu communiste, d’une veste grise, le col du tee-shirt qui dépasse du polo vert. Décontracté.
Guy Jouvenelle parle comme un élu communiste. Il faut pouvoir suivre son débit, son phrasé, ses pensées. Il vous embarque dans des chicanes, il poursuit dans une impasse, volte face, il retrouve le fil droit de son discours.
Mais Guy Jouvenelle n’est pas communiste, il est socialiste. Tendance Chevènement, il tape sur son bureau pour clamer fort : « Je suis souverainiste de gauche. En fait, je suis Gaulliste. Mais parents l’étaient, jeune, je les ai suivis, puis à Nanterre, je suis devenu gauchiste ». Un bref silence s’installe, il ajoute : « En fait, j’ai toujours été Gaulliste ». Un indice le confirme, sur son bureau, un livre défraîchi, il a pour titre « De Gaulle ».
Guy Jouvenelle est un élu de la République, conseiller municipal de la ville de Pierrefitte depuis 1977. A une année près, quarante ans au service de la citoyenneté aux côtés de Roger Fréville, le maire de l’après-guerre, de Daniel Bioton et de Catherine Hanriot, ils étaient tous les trois encartés communistes et depuis 2008, aux côtés du socialiste Michel Fourcade.
« On m’en colle toujours plus », Guy Jouvenelle était au sport de 2003 à 2008, mais pour son dernier mandat, les dossiers ont changé de mains, il s’est vu confier ceux des retraités et des anciens combattants. Son bureau, il est au second étage d’une mairie coincée dans un triangle formé par la N 1, la ligne de Tram et la rue de Paris. Au mur, un poster vieilli du Marathon de Chicago, une affiche « Ordre de Mobilisation Générale », deux porte-manteaux, des piles de dossiers et des chemises en vrac que l’on espère bien organisés, au sol un « Bipède » année 92 avec Jean Marc Bellocq en couverture. Il bouge des bras, il s’enfonce dans son siège, il porte sa main au menton pour réfléchir, guère plus d’une fraction de seconde, il s’appuie sur l’accoudoir, à gauche, à droite. Magnéto…Guy Jouvenelle est un homme de la parole : « Je déteste en politique les activistes. Moi, je suis un élu de terrain. On m’apostrophe « Dis Jouvenelle, pourquoi ce n’est pas réparé ? ». Il faut savoir dire oui ou non. Je ne sais pas si l’époque est plus violente mais elle est plus médiatisée avec une psychose qui se développe ».
Pierrefitte, c’est une ville en souffrance. Certes, la ZAC du quartier des Poètes, la construction des Archives Nationales, l’ajout de la ligne T5 du Tram, le réaménagement de la Butte Pinson, sont au crédit des élus mais cette cité fragmentée pleure sa misère sociale. Guy Jouvenelle n’est pas derrière un paravent de soie pour affirmer : « Oui, la ville est pauvre, nous avons 1500 demandes de logement en attente. Nous, nous avons la double peine. Nous subissons les deux crises, la crise économique et la crise liée au manque de logement ».
« J’ai deux défauts, je suis provocateur et je suis joueur »
Guy Jouvenelle s’est installé à Pierrefitte en 1970. Un premier poste d’enseignant, français et histoire-géo, avec des idées, des convictions, un engagement politique affirmé « A 18 ans, j’avais déjà une culture politique, je connaissais les institutions, la charte de la République, l’histoire de la guerre d’Algérie ». Mais c’est la grande dame du sport qui le prend par l’épaule et qui le pousse dans le dos. Le vent est trop fort, il se laisse guider, aspirer. La course à pied le mène par le bout du nez. Déjà au lycée Chaptal, il se mesure à lui-même. C’est l’époque Jazy, le modèle est tout trouvé. Les duels Jazy – Bernard le font vibrer, il l’avoue « J’ai deux défauts, je suis provocateur et je suis joueur ». A l’armée, les gradés se frottent les mains sous le drapeau, les couleurs de son régiment, basé à Fribourg, brillent grâce à lui. Car Guy Jouvenelle s’affirme comme un bon coureur. Rustique, il adore le cross et ne craint pas les hivers de la forêt Noire.
En arrivant à Pierrefitte, il signe donc tout naturellement au club local, l’ASP, créé en 1963 par Joel Krolik. 30’47’’ sur 10 000 à St Maur, 14’41’’ sur 5000, il bat tous les records du club et les titres FSGT tombent à grelot. Les Foulées de Pierrefitte sont créées le 31 mai 1975 et il remporte naturellement cette première édition. Et comme les compétentes psycho-pédagogiques ne lui font pas défaut, bien au contraire, on lui confie l’entraînement des cadets puis au départ du président, il devient entraîneur-coordinateur en 1979. C’est le début d’un engagement « d’une vie atypique, c’est comme cela que l’on me juge » et d’ajouter « J’aime faire ce qu’il me plaît. Je n’aime pas les contraintes. Je fais souvent le parallèle avec le fait de courir. Etre libre, indépendant. Moi, le matin, je prends mon petit café et puis je cours au lever du soleil ».
Milieu des années 70, on ne parle pas « running » on parle « course populaire ». Tout un symbole. Guy Jouvenelle est dans cette mouvance, l’idée directrice est simple, rendre accessible à tous et toutes la pratique de la course à pied. Le marathon comme acte politique, chez certains, la réflexion débouche sur cette affirmation. Ca sent le slogan qui peut s’écrire sur un drap blanc. Guy Jouvenelle est bien sûr de ceux-là et en 1977 avec cinq lascards, il créée la revue « Courir ». Leurs noms, Léon Yves Bohain, Raymond Pointu, Alain Lunzenfichter, Jean Marie Wagnon et Claude Hiver. « Une belle époque, liée à notre jeunesse, à notre enthousiasme qui nous habitait. Nous étions dans la force de l’âge ». Les 10 000 abonnés sont vite atteints. De l’artisanat pur, de l’article à rédiger à l’expédition en léchant l’enveloppe, Guy Jouvenelle, le gérant, au volant de sa 4 L camionnette à livrer les magazines « Nous étions fiers de gérer cela de A à Z ». En 1987, le titre est vendu, la transmission est un échec, fin de l’aventure journalistique.
Milieu des années 70, toujours, on parle déjà de mixité sociale et culturelle. « C’est la France « Black Blanc Beur » retrace Guy Jouvenelle. Le grand mythe des B3, une illusion, des espérances ? Le club de l’AS Pierrefitte se forge une identité en luttant contre la ségrégation sociale, contre les déchirements humains. On ne parle pas encore de fracture sociale alors que sur le terrain, le fatalisme est déjà rampant. Guy Jouvenelle, entraîneur puis comme président du club, colmate. Des mille combines, avec de l’humain, entraîner, c’est aussi et surtout trouver un boulot à l’un, un appartement à l’autre pour qu’il puisse fonder une famille, c’est aussi le suivi scolaire pour les plus jeunes, se rendre au tribunal comme caution morale, c’est parfois héberger chez soit pour dépanner, l’élu de préciser en moulinant des bras : « Je suis célibataire ». Certains ont accroché, d’autres n’ont pas eu le cran, le courage, la fierté, piégé par leur milieu « Je me souviens, Mickael Etienne travaillait à la BAC à cette époque, il nous prévenait lorsque Ali déconnait ». Ali était doué, mais il a décroché, Fred Massol aussi, d’autres ont vissé les deux coudes sur le bureau et ont bossé, Youssef Ameri, il est aujourd’hui principal d’un collège, Lahcen Salhi directeur sportif de la Lifa, Slim Ghomrasni, directeur du service des sports de la ville de Pierrefitte. C’est peu ? Est-ce suffisant ? Avec ces noms, sans oublier Jan Luc Jarvis, Stéphane Machon, Diony Jacqueray, David Romany, Olivier Guery, Pascal Thébault, Vincent Rousseau, Riad Guerfi, Mehdi Akaouch, Hicham Rias, Herman Kimba, il est aujourd’hui le président du club, les gars en vert et rouge ont chassé, en cross et sur la route. Près de 80 podiums cumulés au championnat de France lors de ces 25 dernières années, il n’y a que Guy Jouvenelle et sa mémoire d’historien pour se souvenir de cette compilation.
La scission AS Pierrefitte et Pierrefitte Multi Athlon, de ces temps parricides, Guy Jouvenelle en parle avec ses mots bien à lui. Il y a un petit côté syndicaliste fatigué : « Youssef Louahchi considérait que j’étais usé. Les coqs étaient dans la basse cour ». Huit ans après cette douloureuse séparation, les plaies ont fini par sécher. « Il fallait du temps pour apprendre à se respecter ». Aujourd’hui, les relais sont là, dans les deux camps, quelque soit la couleur du maillot, entraîneurs mais aussi médiateurs, agents sociaux d’un Pierrefitte en état de crise. Guy Jouvenelle ajoute : « Ils reproduisent ce que nous faisions, avec leur personnalité ». Il ajoute : « Je les ai vus grandir, ce sont aujourd’hui des hommes accomplis »
> Texte et photos Gilles Bertrand
> A lire également : Mehdi Akaouch, je ne peux pas me diviser en 40