Ce record était annoncé mais personne n’y croyait. A Monaco, l’éthiopienne Genzebe Dibaba a effacé le vieux record du monde du 1500 mètres de la chinoise Yunxia Qu, en réalisant 3’50’’07.
Un record du monde est battu, là devant vos yeux…et vous restez le cul sur votre siège. Le silence vous inonde, vous enveloppe. Seul au monde, sans voix, sans pensées construites, les deux mains sous le menton. Sans rien voir, ni entendre de cette hystérie collective, cette stupeur, cette émotion, cette dévotion qui l’emportent et transportent la foule. Le stade tremble, je tremble comme une vieille ampoule accrochée à un vieux fil de laiton. Rien ne s’allume en moi. Des chiffres reviennent, Kazankina 3’54’’ et quelques choses à Zurich, déjà 35 ans. Yunxia Qu, les Jeux Nationaux, Pékin, 1993, 3’50’’ et une fraction de secondes. Qu’importe les décimales.
Lorsqu’un record du monde tombe, il y a le concret, il y a l’affect. Il y a les faits et le subjectif.
Il y a donc les faits. Genzebe Dibaba, dans la lignée de ses deux sœurs, Tirunesh et Ejegayehu, déjà détentrice à 24 ans de trois records du monde, le 1500, le 3000 et le 5000 en salle. Du concret encore, trois fois championne du monde chez les juniors, deux fois en cross, une fois sur piste et deux fois médaillée d’or en salle. Du concret toujours, 14’15’’41 sur 5000 il y a deux semaines lors du meeting Areva, ses 14’18’’86 cartonnés en salle cet hiver lui laissaient espérer mieux, le record du monde tout simplement qui lui échappe faute à une course mal construite. Sans oublier les 3’54’’11 réalisés, quatre jours après Areva, à Barcelone, la base arrière de Jama Aden. Depuis 18 ans, aucune femme n’avait réussi à descendre sous les 3’55’’ sur 1500. Seule, en déroulant, avouant être capable de mieux, de bien mieux, pensant déjà au doublé 1500 – 5000 à Pékin.
Des faits encore, Genzebe Dibaba est entraînée par Jama Aden, cet entraîneur d’origine somalienne formé au coaching via l’université de Fairfax en Virginie aux Etats Unis. Il dirige aujourd’hui un team international hétéroclite allant du Djiboutien Souleiman, aux Qataris Haroun et Balla à l’Ethiopienne Dibaba. Un entraîneur de plus en plus jalousé, sur lequel circulent toutes les rumeurs alimentées notamment par les affaires de dopage liées à Laila Traby et Hamza Driouch. Comme encore dernièrement lorsque Dibaba, en route pour Font Romeu, se fait arrêter par la police espagnole, l’Ethiopienne, annulant semble-t-il dans la précipitation, son séjour dans le cité d’altitude des Pyrénées françaises.
3’50’’07, nouveau record du monde, en apnée mais avec volupté
Du solide encore, cette course de Monaco cousue de fil d’or avec comme lièvre diamanté, dans une Principauté baignée de chaleur, Chanelle Price, capable de tracter l’Ethiopienne en 60 secondes au premier tour puis en 2’04’’ aux 800. Mission accomplie, 60’’3 et 2’04’’5, il ne restait plus qu’à Genzebe Dibaba à s’enfuir, 59’’79 dans le dernier tour pour réaliser 3’50’’07, nouveau record du monde, en apnée mais avec volupté.
Genzebe Dibaba est ensorceleuse et envoûtante, dévorante et alléchante. Yeux de biche, yeux de hyène. Ange et peut-être démon ? Une athlète de charme et de beauté. En séduction. Le sublime pour vous submerger, l’affect, pour chasser toutes les interrogations, pour emmurer les voix dissonantes, pour endiguer une marée de doutes. Genzebe Dibaba est dévorante et alléchante.
On est parfois seul dans ses convictions. A dériver comme sur le radeau de la Méduse. A ne pas croire en ce record. Comme avec les chinoises, comme avec les russes, comme avec les roumaines qui avant Dibaba, ont flirté avec le bien et le mal, avec le beau et le déroutant, le désolant, l’exaspérant. Au royaume de l’hypocrisie, cet athlé de l’impossible qui alimente la complaisance mais ruine les consciences, les espérances. On a crié à l’échafaud pour les chinoises de Stuttgart en 1993, faut-il rappeler le bourreau ?
> Texte et photo Gilles Bertrand
https://www.youtube.com/watch?v=SjOrUCGNhpI&feature=youtu.be