Avec 31 sélections internationales, Nicole Goullieux a marqué de son empreinte l’athlétisme français. Spécialiste du 800 m, elles remporta également 4 fois le titre de championne de France de cross. A 83 ans, elle nous fait remonter le temps.
« Mon chien, il est mort en mai dernier, je n’ai plus personne qui m’attend derrière le carreau. Et j’en veux pas d’autre. Au moins quand je partirai, il n’y aura personne pour m’attendre ».
A 83 ans, Nicole Goullieux vit toujours à Boissey Le Chatel, une petite commune de la Haute Normandie. «Oh vous savez, je reste tranquille. C’est dû à la vieillerie ». Puis elle hausse le ton pour ajouter « Mais je conduis encore ».
A Boissey le Chatel, on n’a jamais vraiment su s’il fallait dire Madame, Mademoiselle ou Madame la Pharmacienne. Nicole Goullieux y avait acheté la pharmacie début des années soixante dix. C’était une notable. Un petit bout de femme énergique qui derrière son comptoir ne devait pas s’en laisser conter.
Elle réalise néanmoins 2’09 »5 au stade Jean Bouin, nouveau record de France
Elle avait porté son dévolu sur cette petite officine par manque de moyens après de brillantes études de pharmacie. Elle n’était pas née riche, d’un milieu modeste, un père artisan travaillant à son compte pour Renault, ancien sélectionné olympique sur 800 mètres en 1920 et une mère secrétaire à la fédération de tir. Le couple s’était rencontré à l’occasion d’une fête organisée dans le cadre des Jeux Olympiques de 1924.
Début des années cinquante, la petite Nicole se retrouve naturellement sur la piste en cendrée du stade Colombes. Son physique ne plaide pas pour la pratique de l’athlétisme. A peine 40 kilos, c’est trop peu. « J’ai essayé le 80 mètres haies, mais je ne valais rien ».
En 1951, alors que le père se rend en voiture pour l’inauguration du stade de St Léger des Vignes, il se tue sur la route. En sa mémoire, elle décide elle aussi de courir sur 800 mètres. Elle se souvient : « J’étais faite pour cela. Encore que ! Ah, si je m’étais alimentée normalement. Car 41 kg, ce n’était pas beau ». Elle réalise néanmoins 2’09 »5 au stade Jean Bouin en 1959, nouveau record de France.
Faut qu’en même être bête de courir un marathon
On remonte le temps. Ce sont les premiers numéros du Miroir de l’Athlétisme. Grand format, Michel Jazy en couverture, l’encre qui tache les doigts. C’est également le temps de la RTF où Raymond Marcillac, le fondateur des Coulisses de l’Exploit, joue les reporters zélés et amoureux de l’athlé. Nicole Goullieux précise : « Il était gentil avec nous ». C’est également l’époque des entraîneurs Joseph Maigrot et Jacques Dudal. Ils ont marqué leur époque. « On s’entraînait au Bois de Boulogne à la Croix Catelan. Ils nous disaient : Vous ne courez pas sur le dur. Sinon, on se faisait tancer. C’est qu’en même plus normal que de courir sur la route. D’ailleurs, c’est imbécile de faire ça. Faut qu’en même être bête de courir un marathon».
Nicole Goullieux a des idées toutes faites. Est-ce générationnel ? Elle martèle d’une voix assurée : « Je suis pour les principes de Coubertin. Vous connaissez Coubertin, non ? ». Elle cite l’exemple de Ladoumègue radié pour avoir perçu 1500 francs. Comme une grande mère qui gronde ses petits enfants, elle clame « : Mais c’était normal ». Le sport professionnel, elle le déteste. C’est un sacrilège. Elle monte encore le ton pour se justifier : « Nous nous n’étions pas torturés par le bien et l’argent. Vous savez, lorsqu’on était en Equipe de France, on avait droit à quelques pièces pour acheter des cartes postales et c’était tout. Heureusement, on a connu ce temps».
Elle ne se qualifie pas pour les J.O. de 1960
Le temps des matchs avec les pays de l’Est « Elles, elles étaient obligées de courir, elles étaient malheureuses ». Le temps des compétitions universitaires, Nicole remporte deux fois la médaille d’or. Le temps des déplacements en train pour concourir ici et là, une joyeuse bande de copains. Le temps des cross aussi. Elle ne pesait pas lourd dans les labours mais elle remporte néanmoins quatre fois le titre de championne de France de 1959 à 1963. « On courait dans la campagne, ah oui j’aimais ça. Parfois on gagnait des petits quelque chose ». Elle cherche dans sa mémoire : «comme un service à thé par exemple ».
En 1964, elle décide de raccrocher. « J’étais célibataire, il fallait gagner sa vie. On ne vivait pas de l’air du temps ». Elle n’a pas trouvé l’amour, elle est restée « vieille fille » comme on dit dans les campagnes : « Je n’ai pas eu le temps de me marier, j’ai travaillé ».
De sa fenêtre, Nicole Goullieux regarde le temps chagrin passer. Le village est calme. Les journées sont longues. L’hiver n’en finit pas. Elle ajoute comme un soupir : «Vous savez Monsieur, le souvenir s’impose, il ne se cultive pas ». Le temps du souvenir n’en finit jamais.
> Texte : Gilles Bertrand