C’est devant la Commission d’enquête parlementaire consacrée aux dérives du sport, que Fodil Dehiba est apparu au grand jour pour dévoiler son rôle dans l’anti-dopage. Après le contrôle positif à l’EPO de son épouse, en 2007, et sa condamnation pour importation illégale de produits dopants, l’entraîneur a, en secret, décidé de se mettre au service de la lutte anti-dopage, comme une forme de rédemption. Il évolue ainsi dans l’ombre depuis plus de 16 ans, apportant alertes et conseils aux diverses instances anti dopage, AFLD, OCLAESP, AIU, et également à la presse. Le statut de lanceur d’alerte pourrait prochainement lui être accordé.
Pour la première fois, le 18 octobre 2023, Fodil Dehiba s’est livré publiquement à un témoignage expliquant son véritable rôle dans le domaine de l’anti-dopage. L’ex-entraîneur de 47 ans a saisi l’occasion offerte par un témoignage devant la Commission d’Enquête Parlementaire créée le 20 juin 2023 pour analyser les disfonctionnements du monde du sport. Une enquête lancée à la suite de plusieurs affaires dans le sport afin d ‘identifier les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.
La présidente de cette commission, Béatrice BELLAMY, a introduit l’intervention de Fodil Dehiba par un bref portrait, qui intégrait évidemment deux paramètres majeurs : sa condamnation à 5 mois de prison avec sursis pour importation illégale d’hormone de croissance et la suspension pour contrôle positif à l’EPO de son épouse, Hind. C’est à leur retour des Etats-Unis, d’un long stage à Albuquerque, puis à El Paso, que le couple avait été intercepté à leur arrivée à Paris Roissy.
Fodil Dehiba décide d’aider la lutte anti-dopage
L’épisode marquera un coup d’arrêt brutal pour Fodil Dehiba. Il se décide à contacter Damien Ressiot, alors journaliste pour l’Equipe, spécialisé dans le dopage. Le courant passe entre les deux hommes, et après une période compliquée, où la colère domine, Fodil Dehiba structure ses idées, et il bascule progressivement du côté de la lutte anti-dopage, en devenant un informateur privilégié. D’abord de la presse, puis de l’OCLAESP, lorsque Damien Ressiot rejoint l’office, et de l’AFLD, lorsque celui-ci devient responsable des contrôles. Au fil des années, il deviendra également pourvoyeur d’alertes auprès de l’Athletics Integrity Unit. Tout en alimentant régulièrement divers journalistes, comme Thierry Vildary de France Télévisions, l’Allemand Hajjo Seppelt, la référence en matière de dopage, ou moi-même !
C’est un lundi de Pâques, en 2017, que Fodil Dehiba m’appelle. Je l’ai contacté via FB quelques jours plus tôt, le 12 avril 2017, pour l’interroger sur ses liens avec Aissa Dghoughi. Celui-ci vient juste de courir au semi-marathon de Nice, après avoir complètement disparu des compétitions en France. Et Aïssa Dghoughi et Fodil Dehiba ont été en grande proximité dans les années 2006-2008, s’associant pour livrer des noms d’athlètes douteux à l’IAAF.
Fodil Dehiba m’a expliqué en avril 2017 son véritable rôle
Ce lundi 17 avril 2017, Fodil Dehiba me livre un témoignage qui me surprend complètement. Il m’explique avec forces détails être en réalité actif dans l’anti-dopage, en fournissant diverses informations obtenues à travers la multitude d’entraîneurs et d’athlètes qu’il connaît. Je l’avoue, je suis complètement déboussolée à l’écouter, et totalement perplexe sur sa fiabilité. Je me situe alors dans une époque où les mondes du dopage et de l’anti-dopage sont blanc et noir…. J’ai du mal à croire tout ce qu’il me raconte, et la conversation dure probablement deux heures. Le lendemain matin, à la première heure, je joins Damien Ressiot, qui se voit obligé de me confirmer le vrai rôle de Fodil Dehiba !
Dès lors, des liens se tissent avec Fodil Dehiba, que j’ai tellement conspué pour son rôle d’entraîneur-dopeur. Je découvre finalement un personnage complexe, ultra-connaisseur de toutes les facettes du dopage, et très souvent visionnaire sur les dérives des institutions. C’est ainsi qu’en juin 2007, il avait sollicité un rendez-vous avec le Docteur Dolle, alors le directeur du département anti-dopage à l’IAAF, pour livrer diverses informations sur les mauvaises pratiques d’athlètes français, avec l’objectif d’obtenir une réduction de peine pour son épouse. Mais le Docteur Dolle accueille avec hostilité ces révélations : il est en réalité un médecin corrompu, capable de dissimuler des contrôles positifs pour de l’argent, et son rôle de protection des athlètes de la Russie sera révélé bien plus tard.
Fodil Dehiba sera ainsi précieux dans de nombreuses affaires de dopage, en fournissant les petites informations, ou analyses techniques, utiles aux acteurs de l’anti-dopage, d’abord AFLD, puis à l’OCLAESP, avec Jean Savarino, puis de l’AIU, avec Kyle Barber.
Fodil Dehiba, victime de représailles
Certaines affaires vont le propulser en paria pour la FFA, qui n’accepte pas son volte-face, et conteste aussi sa version, selon laquelle le DTN de l’époque (Franck Chevalier) l’aurait incité à recourir au dopage pour booster la préparation de son épouse, après qu’elle ait terminé 4ème au Championnat du Monde 2006. Les choses vont encore se durcir après l’affaire Calvin, où Fodil Dehiba compte parmi les informateurs de l’OCLAESP et des journalistes, puis à la faveur de sa dénonciation du passe-droit accordé à Teddy Tamgho, encadrant l’équipe de France junior au Mondial ou en stage officiel aux Etats Unis alors qu’il est officiellement suspendu pour 3 no shows.
Bientôt un statut officiel de lanceur d’alerte ?
Toutefois, très prochainement, le Défenseur des Droits devrait lui accorder le statut de « lanceur d’alerte » qu’il peut légitimement revendiquer… C’est dans cet espoir qu’il a choisi de témoigner, devant caméra et après avoir prêté serment, pour expliciter les dérives au sein de la FFA.
En parallèle de cette implication permanente dans l’anti-dopage, Fodil Dehiba a embrasé avec brio une carrière de professeur d’économie gestion, spécialisé dans le domaine de la sécurité et prévention, enseignant à des BTS, membre du jury du concours de professorat d’économie gestion pour le Ministère de l’Education Nationale, et actif également dans son lycée de Villeneuve St Georges pour mettre sur pied des projets d’innovation visant à développer et à transmettre les valeurs républicaines, tout en promouvant la laïcité.
Depuis quelques années, il s’est également impliqué dans le Service National Universel, dirigeant à plusieurs reprises, avec son épouse, les séjours de cohésion de jeunes volontaires d’Ile de France. Au printemps, lors du grand débat autour de l’avenir du SNU, il était d’ailleurs apparu sur plusieurs chaînes de télé pour témoigner et promouvoir l’intérêt pour les jeunes d’intégrer ces séjours dédiés au SNU.
Texte : Odile Baudrier
Photo : D.R.