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Faut-il croire au projet Breaking 2 de Nike ??

C’est entre le 6 et le 8 mai, sur le circuit de Monza, en Italie, que le trio Kipchoge-Tedesse-Desisa s’attaquera à la barrière des 2 heures, dans le projet « Breaking 2 » bâti par Nike. Faut-il croire à ce projet ? Les opinions divergent, et jusqu’entre les spécialistes, de l’entraîneur Renato Canova, très enthousiaste, au manager Madonna, plus que réticent.

 

nike-breaking2

 

Le projet « Breaking 2 »approche de son grand jour. Ce sera entre le 6 et le 8 mai que Nike programme cette tentative de descendre sous les 2 heures sur marathon, orchestrée autour de Kipchoge-Tedesse-Desisa. Le circuit de Monza accueillera le trio infernal, comme il l’a déjà fait en mars dernier, pour une répétition sur semi-marathon.

Faut-il croire à ce projet ? Les opinions divergent. Et les avis des uns et des autres n’obéissent pas toujours à la logique. Ainsi est-il étonnant d’entendre l’enthousiasme incroyable de Renato Canova. L’entraîneur italien a chapeauté la préparation de quelques-uns des meilleurs pistards et marathoniens mondiaux, et on s’attendrait plutôt à une certaine réticence de sa part face à un projet se proposant d’allègrement torpiller les minutes…

Renato Canova, très enthousiaste

Mais il n’en est rien. Au contraire. En réalité, Renato Canova est très impliqué dans le projet, en charge de la préparation des futurs « pacers » de l’opération. Et le coach justifie : « Avant, je ne croyais pas que cela soit possible. Maintenant, je connais beaucoup plus de choses sur ce projet, et je pense que compte tenu de cette situation, c’est possible de réussir. On ne parle pas de plusieurs personnes, on ne parle que d’Eliud Kipchoge. Les deux autres ne sont là que pour faire le nombre.

Eliud Kipchoge
Eliud Kipchoge

L’analyse à faire tourne autour d’Eliud. Il faut bien prendre en compte que l’année dernière à Londres, il a perdu autour de 25 secondes, quand il a couru avec Stanley Biwott, en ne se poussant pas l’un l’autre. Probablement qu’il aurait pu courir 2h02’40’’ dans des conditions normales. Londres est à 100% plus lent que Berlin, d’environ 20 à 30 secondes. Donc la même situation à Berlin aurait pu donner un chrono de 2h02’20’’ ou 2h02’10’’. En réalité, il doit donc gagner environ 2 minutes 30 secondes environ, ou moins.

Pas de souci de tactique pour Eliud Kipchoge

Selon moi, l’avantage le plus important est qu’il n’aura aucun problème tactique, puisqu’il court contre le chrono sur un rythme parfait, donné par une voiture électrique, qui est devant lui, réglée sur l’allure parfaite. Il y a 5 athlètes, qui peuvent changer pratiquement tous les 5 km, qui font le lièvre pour lui. Mais ce sont des pacers qui sont eux aussi rythmés par la voiture, et qui ne font pas des choses fantaisistes… S’il y a du vent, ils peuvent le protéger. Tous les 5 km, ils peuvent sortir, ce qui n’est pas autorisé dans une compétition normale.

Ensuite, la nouvelle donnée de ce projet est celle de la boisson, qui a été créée par une société suédoise. C’est complètement nouveau, car elle peut aller directement dans le sang, et donner très rapidement l’énergie pour continuer.

La chaussure Nike, un sérieux avantage

Et la dernière chose est bien sûr la chaussure. Il y a des polémiques pour savoir si la chaussure est valide ou pas, on ne connaît pas encore la réponse. Mais pour moi, plus que les fibres de carbone insérées dans la chaussure, qui peuvent donner une réaction élastique, le problème vient du gradian de la semelle : pour le coureur, c’est comme s’il courait en descente. La position du corps devient différente avec ce nouveau type de semelle, avec une nouvelle géométrie.

Eliud Kipchoge et l'équipe Nike
Eliud Kipchoge et l’équipe Nike

Si on calcule tout, je ne suis pas surpris qu’il soit possible pour Eliud de courir en moins de 2 heures. Et peut-être qu’après cela, la prochaine étape sera de tenter le record du monde à Berlin. Bien sûr, si Eliud est le premier homme à courir sous les 2 heures dans ces conditions, mentalement, pour lui, ce sera plus facile d’accepter de courir en 60’30’’ ou 60’40’’ pour le premier semi dans un marathon normal. »

Renato Canova l’avoue, il est très impatient de voir la suite de ce projet. Avec une seule petite réticence, celle qui concerne la date, qui n’est pas encore fixée de manière définitive, puisque dépendante des conditions climatiques. Et l’entraîneur souligne : « Sur un plan psychologique, les athlètes peuvent accepter mentalement une différence d’un jour, mais pas de 3 jours. Si vous êtes prêt pour un jour, qu’il y a des problèmes ce jour-là, vous accepterez de reporter au lendemain. Mais il me paraît impossible de leur demander de reporter 2 jours plus tard. »

Gianni Di Madonna, « c’est trop tôt »

Pour Gianni Di Madonna, les réticences sont bien plus nombreuses et le manager italien ne dissimule pas une certaine exaspération face à ce projet qu’il qualifie tout simplement : « C’est une campagne de marketing. Ce sont des shows ! »

A son hostilité, deux raisons majeures. La première est la précipitation autour de ce concept : « Le projet de 2 heures peut être un bon projet, mais pas maintenant. Il y aura un homme qui court moins de 2 heures, mais pas maintenant. Bien sûr que si on donne de l’EPO aux athlètes, peut-être qu’ils feront 2h01’, mais pas 2 heures. A Monza, ils vont tout contrôler, la voiture, les lièvres. Mais 2h03’, son record, et 2h, cela fait 3 minutes de différence ! C’est beaucoup. Peut-être qu’il va courir 2h02’ ou 2h02’20. »

Mais surtout, Gianni Di Madonna est opposé à l’utilisation des nouvelles chaussures créées par Nike, qui intègrent des fibres de carbone dans la semelle : « Si les chaussures sont dans les magasins, que tu peux les acheter, c’est OK. Mais si il y seulement les athlètes Nike qui peuvent les utiliser, ce n’est pas correct. La Fédération Internationale doit dire quelque chose (*). Car la semelle en fibre de carbone, c’est comme Pistorius, cela donne des avantages, cela rebondit. Je ne crois pas que la chaussure peut faire gagner 3 minutes, mais elle avantage. Par exemple, Bekele l’a utilisée à Berlin l’an dernier, il a fait 2h03’, et il a bien dit que les jours suivants, il n’a pas de douleurs dans les jambes. C’est un sacré avantage, c’est mieux pour les muscles, tu récupères mieux, tu risques moins la blessure. »

Des avantages évidents, dont tous les marathoniens aimeraient bien pouvoir profiter, et il est certain que le projet sera très suivi par la communauté du running très impatiente d’assister à cette incroyable expérience. Avec le regret tout de même que l’évènement se déroule sans présence du public, seulement invité à le suivre via un direct internet. Et l’annonce de la date choisie par Nike n’a pas manqué non plus de susciter quelques questionnements sur le suivi biologique effectivement effectué sur le trio, compte tenu, entre autres, de l’état réel du laboratoire anti-dopage du Kenya. Mais dans le contexte du contrôle positif de la championne olympique Sumgong, de telles réserves pouvaient-elles être évitées ?

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.

(*) L’IAAF avait annoncé il y a environ 3 semaines que ce nouveau modèle Nike allait faire l’objet d’une validation quant à la possibilité d’être utilisée en compétition. Mais aucune information officielle n’a encore été dévoilée sur ce point, et il paraît pratiquement impossible à ce stade que ce modèle se voit refoulé par l’instance internationale.