Invaincu en grands championnats depuis 2009 sur 3000 mètres steeple, Ezekiel Kemboi a débuté en force sa saison 2015 en réalisant 8’01’’71 à Eugene. Rencontre surprise à Eldoret dans son fief.
« Alors c’est qui le patron du navire ? « 8’01’’71 pour son premier steeple, le marin d’eau douce Ezekiel Kemboi a déjà fourbi les rames pour s’extraire du courant et mettre dans le tourbillon les Birech, Kipruto et Jager candidats au trône et à ses strapontins.
Une semaine avant cette rentrée victorieuse à Eugene, Ezekiel Kemboi, casquette en jean vissée sur le crâne, prenait du bon temps assis dans l’herbe des travées bordant le stade d’Eldoret, le petit dernier sur les genoux, mesurant une vraie popularité.
Au Kenya, ils ne sont qu’une petite poignée de coureurs à mener une carrière longue et exemplaire. A l’image d’un Moses Kiptanui qui fut l’un des premiers à construire une carrière sur le long terme en capitalisant sur son talent, saison après saison en résistant à toutes les tentations. Ce n’est pas un hasard si Ezekiel Kemboi s’est inscrit dans cette veine, depuis 2009, il suit les conseils de Moses Kiptanui, surnommé le « capitano », lui-même steepler survolant la discipline une décennie durant.
Ezekiel Kemboi a dépassé quant à lui ce bail d’une décade. Depuis son premier titre olympique à Athènes en 2004, il s’est installé au bord de la rivière pour en maîtriser tous les courants. Mais ce n’est vraiment qu’en 2009, qu’il domine son sujet, lorsqu’il rejoint justement Moses Kiptanui comme conseiller technique. La pêche au gros est lancée, Ezekiel Kemboi maîtrise technique et tactique et réalise le grand chelem, invaincu depuis Berlin en championnat du monde et de nouveau médaillé d’or à Londres en 2012.
Ezekiel Kemboi n’est pas un coureur ordinaire, un simple coureur comète, one shot ou kleenex comme le Kenya en compte tant. C’est un coureur de fond qui assume son métier, parfois grande gueule, un brin espiègle, bagarreur, show man. Il aime bien cette étiquette de show man pour donner du plaisir, pour prendre du plaisir comme lorsqu’il danse, le corps dénudé, le sourire pastèque et les hanches dérouillées sur la piste de Berlin.
Mahiedine Mekhissi portant comme un bébé, sur sa hanche gauche le corps maigrelet d’Ezekiel Kemboi, c’est encore du Kemboi tout craché. Les deux loustics du steeple enlacés pour un tour d’honneur symbolique après cette rude bataille moscovite. Mahiedine dans la rédemption, Kemboi dans l’explosion, les deux dans l’émotion.
Kemboi et ses coiffures insolites, il avoue : « c’est mon secret d’avant finale » comme pour vaincre le signe indien. Pour ne pas se laisser prendre dans la nasse d’une course où les carnassiers nagent en surface.
Mais il y a aussi Kemboi et les affaires dans un Kenya où la lame de couteau aiguisée scintille à tout coin de rue, même dans Eldoret où les voyous ont pignon sur rue. En 2012, on l’accuse d’agression à l’arme blanche lors d’une attaque à main armée dont il semble être victime. Un sale coup peu avant les J.O. de Londres. Finalement, on le libère sous caution. L’affaire est renvoyée en septembre devant les tribunaux. La vérité ne percera jamais au grand jour.
A Eugene, Ezekiel Kemboi a placé ses filets au bon endroit. Objectif, Pékin « pour la médaille, que la médaille, chaque année une médaille » explique-t-il, ajoutant « finalement courir, ce n’est que mental pour rester concentré sur ce que l’on a à faire pour réussir. Et surtout, il ne faut rien changer, le même entraînement, les mêmes objectifs, les mêmes courses ». Et un sixième championnat du monde à son programme, Pékin sans Mahiedine Mekhissi opéré du pied à Doha au Qatar en mars. « Oui, je suis au courant, il m’a appelé, mais on se retrouvera à Rio » souligne-t-il.
Sur la piste d’Eldoret, c’est l’heure du steeple. Pour les femmes, on baisse la barrière de la rivière. Pour les hommes, on la remonte. On s’acharne sur la barre bloquée sur ses rivets. On tire, on pousse, on tape, on ausculte. Le public rigole. Les minutes passent. Ezekiel Kemboi observe la scène et se lève pour courir au secours des bénévoles empêtrés et perplexes. Kemboi pose sa casquette sur l’herbe. Il soulève un côté de la barre, puis le second, les officiels restent les bras ballants, le public applaudit, Kemboi salue de la main, et remet sa casquette. Il est bien l’artiste et l’artisan du steeple.
> Texte et photo Gilles Bertrand