Les échantillons urinaires et sanguins collectés lors d’un contrôle anti-dopage ne sont pas tous destinés au même traitement. Surtout, il faut oublier l’idée que chaque prélèvement est soumis à la recherche d’EPO, ou de testostérone. C’est ce qui explique pourquoi il a été découvert a posteriori que l’échantillon d’Ophélie Claude-Boxberger prélevé à Doha contenait en réalité de l’EPO.
Ce fut à coup sûr l’élément le plus inédit révélé à l’occasion de l’audience d’Ophélie Claude-Boxberger devant la Commission des sanctions de l’AFLD. Celui de la présence d’EPO dans un deuxième échantillon, après celui du 19 septembre. Celui-ci avait été prélevé le 23 septembre à son arrivée à Doha pour le Championnat du monde.
Une information qui n’aurait été portée à la connaissance d’Ophélie Claude-Boxberger et de son avocat Maître Clauzon qu’à la mi-février, au moment où le rapport rédigé par l’expert suisse Martial Saugy leur est transmis avec les conclusions de l’AFLD. Et Maître Lauzon n’a pas manqué de pointer du doigt cette réception trop tardive de ce rapport. Avec en réponse par le représentant de l’AFLD, Antoine Marcelaud, un rappel que les règles prévoient une communication possible de pièces jusqu’à 6 jours avant la commission.
Cette découverte « a posteriori » d’EPO n’a pas manqué de susciter beaucoup de questions. Maître Lauzon a ainsi interpellé Martial Saugy : « Etait-elle positive à l’EPO à Doha ? » Ce à quoi l’ancien patron du laboratoire anti-dopage de Lausanne a répondu : « Pour qu’un échantillon soit considéré comme positif, plusieurs conditions sont requises. Les conditions légales étaient-elles remplies pour décider d’une sanction ? Je ne connais pas toute l’histoire de l’échantillon. Mais je peux affirmer qu’il y a de l’EPO recombinante. » Et ce deuxième échantillon l’autorise à évoquer la grande probabilité d’une cure d’EPO et pas d’une injection isolée.
Le docteur Jean-Michel Serra n’a pas non plus dissimulé son incrédulité, et a, lui aussi, mis la pression sur Antoine Marcelaud : « Pourquoi on nous sort un contrôle positif du 23 septembre ? Pourtant l’AMA n’a mentionné aucun contrôle positif à DOHA. »
Un échantillon non analysé avant l’enquête
Et pour cause. L’échantillon sanguin du 23 septembre 2019 n’a pas été soumis au « screening », », c’est-à-dire à la recherche de produits interdits. Il avait été prélevé à Doha en vue d’enrichir les informations du passeport biologique d’Ophélie Claude-Boxberger. Comme il est maintenant l’habitude lors des Championnats de Monde, où des prélèvements « de masse » sur des athlètes du monde entier sont effectués dans l’optique du passeport biologique, qui permet un suivi au fil du temps des valeurs biologiques susceptibles de révéler indirectement l’utilisation de produits dopants.
Toutefois qui dit passeport biologique ne dit pas « screening ». Un paradoxe qu’explicite le spécialiste anti-dopage Pierre Sallet : « Un prélèvement sanguin pour le module hématologique du passeport biologique, c’est en fait comme une analyse normale dans un laboratoire, avec calcul des valeurs biologiques. Les variables étudiées sont aussi classiques que dans une analyse pour une personne « lambda ». Il n’y a pas de recherche biologique spécifique pour ce module hématologique. L’échantillon du passeport est fait pour créer un profil biologique, pas pour servir de matrice au contrôle anti-dopage. »
Mais l’échantillon de la jeune Française a finalement été analysé par le laboratoire de Chatenay Malabry. Comme l’a explicité Antoine Marcelaud devant la commission des sanctions du 15 mars : « L’échantillon a été prélevé par World Athletics, mais il n’a pas été analysé immédiatement. Il a été analysé à la demande de l’AFLD pendant l’enquête. Et il a permis d’éclairer l’enquête. »
Un rappel d’un élément très méconnu : l’AFLD peut se saisir de toutes les analyses qu’elle souhaite pour établir les faits relatifs au dopage. C’est ainsi que cet échantillon se retrouve sur le devant de la scène dans l’affaire Claude-Boxberger.
Les analyses classiques ne recherchent pas l’EPO et les facteurs de croissance
Plus globalement, tous les échantillons ne sont pas soumis à une recherche systématique de tout. Pierre Sallet, le patron du programme Quartz, s’en est souvent indigné : «Sur un contrôle normal, il y a très peu de recherches en routine et notamment l’EPO et facteurs de croissance, qui sont actuellement les substances utilisées dans le dopage de « haut niveau ». Dans un schéma classique de contrôle, on recherche toute la famille des agents anabolisants, béta 2 agonistes, glucocorticoïdes et stimulants interdits en compétition, comme toutes les drogues : narcotiques, cannabidoïdes. Par contre, dès que l’on s’intéresse à tout ce qui est bio-similaire, ou hormonal pour simplifier, c’est-à-dire les hormones peptitides, EPO, et autres hormones, les analyses ne sont pas faites en routine. »
Et de souligner également que le volume urinaire d’un échantillon ne peut en réalité pas permettre de balayer l’ensemble des classes d’EPO, des facteurs de libération de l’hormone de croissance, les bio-similaires, la testostérone, qui est difficile à distinguer entre endogène et exogène.
Pas de testostérone chez l’équipe SKY ??!!
L’affaire de l’équipe cycliste Sky illustre parfaitement les limites d’une certaine lutte anti-dopage. Leur médecin, le docteur Freeman, vient d’être condamné pour avoir acheté de la testostérone. Et Pierre Sallet s’interroge : « Les cyclistes ont plus de 20 contrôles annuels, et la testostérone n’a jamais été trouvée ? Alors, soit ils n’en ont pas eu, soit on ne l’a pas trouvée, soit on ne l’a pas cherchée ! »
D’où le doigt pointé par le monde du cyclisme sur la CADF, la structure chargée jusqu’à fin 2020 des contrôles anti-dopage pour l’UCI, et qui compte à son actif un tout petit nombre de contrôles positifs sur des cyclistes de haut niveau.
A l’opposé, l’Athletics Integrity Unit est montée en charge depuis deux ans avec une explosion du nombre d’athlètes mis en cause pour des faits de dopage. Le profilage par passeport biologique est l’une des bases de cette réussite. Et ces échantillons ainsi collectés peuvent en réalité être aussi utilisés à charge dans une procédure contre un athlète. Comme l’ont découvert Ophélie Claude-Boxberger et le Docteur Jean-Michel Serra.
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : D.R.