Le spécialiste de trail, Jaouad Zeroual, a été contrôlé positif après avoir absorbé du Diamox à la veille de sa participation à la 6000 D en 2017, où il avait terminé deuxième. Ce médicament utilisé pour contrer le mal des montagnes en altitude figure sur la liste des substances interdites au niveau des règles anti-dopage. Son utilisation durant une épreuve de trail présente aussi des risques sur la santé.
Par Odile Baudrier avec Pierre Sallet
La sanction prise par l’AFLD à l’encontre de Jaouad Zeroual révèle quelques détails sur la prise de Diamox par le coureur avant de disputer la 6000 D en juillet 2017. Celui-ci a expliqué lors de l’audience l’avoir utilisé, « non pour améliorer ses performances, mais pour prévenir des vertiges et une forte augmentation du rythme cardiaque, auxquels il est sujet au-delà d’une certaine altitude (*), et éviter ainsi de subir un malaise, voire une crise cardiaque durant la course, sur les conseils d’un ami alpiniste ». Et compte tenu de son absence de titre de séjour, et donc d’accès au système de soins, c’est sur internet qu’il a acheté le médicament livré avec une notice en anglais, qui n’indiquait pas que le produit était interdit.
Pierre Sallet, spécialiste anti-dopage, analyse les raisons pour lesquelles ce médicament est classé comme dopant et rappelle qu’avec le programme QUARTZ, créé pour mettre en place une surveillance des trailers de haut niveau dans une optique santé et de contribution à la lutte anti-dopage, un coureur utilisant du Diamox n’aurait jamais pu prendre le départ; bien sûr au regard du réglement antidopage (la substance est interdite en permanence, c’est à dire aussi bien en et hors-compétition) mais aussi sur le fait que son absorption durant une compétition de trail n’est pas sans comporter des risques pour la santé.
Pourquoi le Diamox est-il interdit pas les règles anti-dopage ?
La substance Acetazolamide est présente en France dans trois médicaments : une crème le Défiltrant pour traiter les oedèmes locaux et le Diamox, en comprimés ou en poudre pour une préparation injectable.
Il figure sur la liste des interdictions éditée par l’Agence Mondiale Anti-Dopage, dans la catégorie S5 des diurétiques et agents masquants. Les diurétiques facilitent l’élimination des déchets de l’organisme et la filtration au niveau des reins, et amènent à une élimination plus rapide des substances.
La plupart des diurétiques sont interdits pour leur qualité d’agent masquant. Ils sont en effet utilisés pour accélérer le « wash out », c’est à dire le fait de ne plus pouvoir détecter la présence de la substance dans l’organisme même si ses effets peuvent eux perdurer : le diurétique facilite l’élimination de la substance, il y a un gain de temps très important dans l’élimination, et c’est un atout en cas de contrôle anti-dopage après l’absorption d’un produit interdit.
Quel est l’impact du Diamox sur la performance ?
Le Diamox est donc un agent masquant. Mais il présente aussi la particularité d’agir sur la performance.
Une étude réalisée par Posch et al. a été publiée en 2018. Elle se base sur 17 articles qui étudient les effets de l’ Acetazolamide sur la performance. Elle s’appuie sur des études réalisées au niveau de la mer et également en altitude, puisque ce médicament est très utilisé pour s’adapter à l’altitude, et contrer les effets du mal des montagnes, et en particulier les maux de tête.
Il ressort de cette compilation que les effets du Diamox sur la performance sont plutôt des effets négatifs au niveau de la mer. La plupart des études montrent une altération des performances, dans le temps de soutien à l’effort, et une diminution de VO2 Max. Cela révèle que la prise d’Acetazolamide au niveau de la mer est plutôt contre-productive sur la performance.
Par contre, dès que les études s’intéressent à l’impact de la molécule lors d’une utilisation en altitude, la littérature n’est pas du tout claire. Il existe peu de données, et il apparaît difficile de conclure si l’effet est ergogénique ou délétère sur la performance. En clair, améliore-t-il ou diminue-t-il la performance ??
Pourquoi utiliser du Diamox ?
Le Diamox s’utilise pour soigner plusieurs pathologies. Pour une hypertonie oculaire, c’est-à-dire une augmentation de la pression sanguine au niveau de l’œil. Pour les alcaloses métaboliques. Pour le traitement symptomatique du mal aigu des montagnes, car l’exposition à l’altitude peut entraîner beaucoup de symptômes, des céphalées…
Les indications du Diamox sont le traitement symptomatique du mal aigu des montagnes : une personne ne se sent pas bien lors d’une ascension, elle a recours au Diamox.
Mais le problème se pose lorsqu’on se situe dans la prophylexie, c’est-à-dire la recherche de prévenir une pathologie. Dans le cas de Zeroual, il apparaît qu’il n’a pas pris le médicament pendant la course, mais avant, pour prévenir une possible apparition du mal des montagnes. On peut dire qu’il est utilisé pour s’adapter à l’altitude.
Or le problème est qu’il n’est pas possible d’avoir une idée précise des effets ergogéniques, de savoir si elle améliore ou pas la performance. En plaine, l’effet est connu, il est délétère. En altitude, la littérature n’a pas pu conclure de savoir si elle améliore ou pas la performance. Mais je sais par expérience que les athlètes savent pourquoi ils utilisent un médicament précis. En bref, un médicament qui n’aurait pas d’effet sur la performance ou qui aurait un effet délétère ne serait bien sûr pas utilisé par les sportifs… Si on indique à un athlète que le Diamox lui retirera son mal de tête pendant la course, mais qu’il courra moins vite, bien sûr qu’il ne prendra jamais le Diamox…
C’est exactement la même chose dans le cas de certaines associations de médicaments qu’on peut observer chez des sportifs : on ne les comprend pas, mais le retour terrain n’est pas à négliger car les sportifs douteux ont une grosse expertise de l’usage des médicaments, et ils perçoivent l’effet du médicament par les sensations.
Pour le Diamox, la littérature scientifique ne conclut pas, mais les athlètes ont conclu avant la littérature… Selon moi, au vu des éléments de ce dossier, la substance ne paraît pas être utilisée pour son aspect masquant, mais sur le versant performance.
Pourquoi un coureur ne doit pas utiliser le Diamox ?
La philosophie du programme QUARTZ est in fine de pouvoir disputer une compétition en ne prenant aucun médicament; surtout si ce sont des médicaments ambigus qui améliorent la performance.
Si un coureur a les symptômes du mal de l’altitude, qu’il prend du Diamox, il ne doit pas, pour notre équipe Quartz, participer à une compétition en altitude; cela va bien au delà du seul aspect de la lutte anti-dopage.
En effet le Diamox présente un risque lié au déclenchement d’une insuffisance rénale aïgue. Lors d’une épreuve d’une durée de six heures, il apparaît toujours un phénomène de déshydratation, même si l’hydratation par l’athlète est correcte. Difficile de compenser toutes les pertes en eau et en sels minéraux. De plus, si une personne est adepte de la consommation d’AINS, type Ibuprofène… le cocktail déshydratation +Diamox+AINS se révèle explosif !
Le programme QUARTZ, une solution à de telles situations
Le programme QUARTZ peut s’appliquer à tous les sports et s’est très fortement développé dans le trail sous l’égide de l’ITRA et grâce à la Fondation Ultra Sports Science (USS) afin de mettre en place une surveillance des trailers de haut niveau dans une optique santé et bien sûr de lutte anti-dopage.
Dans le cadre des analyses du programme QUARTZ 30 jours avant et la veille du départ, tous les médicaments pris doivent être déclarés par le coureur. Des analyses toxicologiques dans le sang, l’urine ou la salive permettent de vérifier que des médicaments pris n’aient pas été déclarés…
Ensuite deux cas de figures dans le cadre du DIAMOX. Soit le coureur nous informe de la prise de ce médicament avant la course, ce qui plaiderait pour sa bonne foie et une complète négligence; dans ce cas une « NO START RULE » serait immédiatement prononcée. L’athlète serait donc mis hors-compétition et même en cas éventuel d’un contrôle hors-compétition, la gestion par le programme QUARTZ aurait permis de l’aider dans la procédure juridique en expliquant cette erreur. Par contre, si le coureur ne nous informe de rien, il est clair que la prise de DIAMOX aurait été parfaitement calculée dans une optique d’amélioration de la performance. En absence de contrôles anti-dopage, nos analyses toxicologiques auraient montré aussi la prise de DIAMOX et cette information aurait été transmise aux autorités de la lutte antidopage. En cas de contrôle anti-dopage en parallèle, nous aurions bien confirmé que ce n’était pas une négligence mais une volonté délibérée de tricher.
La situation n’est évidemment pas la même pour tous les médicaments. Récemment, un athlète souffrant d’une infection avait pris de l’amoxycilline, un antibiotique. Pour cette substance, que la quantité absorbée soit de 1 cachet ou 5 cachets, cela ne va pas améliorer la performance. L’Equipe QUARTZ lui a conseillé de ne pas partir, car le traitement n’était pas fini et l’infection pas terminée. Il n’était pas pour nous possible qu’il soit performant, mais ce n’était pas assez grave pour que la commission médicale lui interdise de courir, car il n’y avait pas de risque vital. Finalement, il a pris le départ, et il a abandonné très vite, il était à plat.
Avec le programme QUARTZ, la situation de Zeroual ne se serait jamais produite. Et il est dommage que l’athlète ne fasse pas partie du programme QUARTZ à titre individuel, et que l’épreuve n’ait pas intégré ce programme, comme l’ont fait toutes les courses de l’Ultra Trail World Tour (UTWT), du Golden Trail Séries (GTS), les Championnats du Monde de Trail (TWC) et des événements majeurs comme les Templiers.
Ce schéma pose questions autour de l’athlète et de son environnement. L’athlète a-t-il partagé cette information avec d’autres athlètes ? au niveau de son TEAM ? L’athlète peut certes plaider la négligence mais dans le haut-niveau il existe en France un outil « Sport protect » qui permet de connaître très simplement le statut d’un médicament à savoir, interdit ou non. Dans le cas contraire, on peut l’imaginer prendre des risques pour gagner la course, car la substance est très facilement détectable en cas de contrôle anti-dopage. Par contre pour un TEAM, la répercussion négative sur l’image est énorme, et c’est dommage puisque dans le trail, il existe une solution simple pour éviter cette situation…
Pourquoi le Diamox est-il utilisé en altitude ?
Une étude très intéressante a été conduite en 2013 puis publiée par Paul ROBACH et al. Leur équipe avait placé des dispositifs de recueil d’urine, sur les refuges du Goûter et des Cosmiques présents lors de l’ascension au Mont Blanc. Les alpinistes ne savaient pas malgré la présence d’affichettes que leur urine allait être analysée. Cette équipe a pu analyser 430 échantillons dont 22,7% contenaient des diurétiques comme le DIAMOX.
La littérature scientifique décrit d’ailleurs très bien les différents mécanismes d’adaptations qui se mettent en place dès une exposition à une altitude de 1000m et bien sûr au delà . Il est également acquis que sans acclimatation pour des altitudes au-delà de 2500 mètres, il y aura une perte de performances. Pour l’atténuer, deux moyens principaux existent : l’acclimatation à l’altitude ou le DIAMOX qui n’a pas encore probablement livré tous ses secrets mais qui reste très utlisé…
Dans le cas Jaouad Zeroual dans sa déclaration, il indique que le DIAMOX a été utilisé à titre préventif, sur le conseil d’un spécialiste de la montagne, et qu’il a acheté le produit sur internet.
Notre seule réponse est que cela confirme que le programme QUARTZ doit maintenant être appliqué encore à plus grande échelle, pour amener plus d’organisateurs et de teams à appliquer cette solution pour éviter de tels cas.
Par Odile Baudrier avec Pierre Sallet
(*) Les décisions prises par l’AFLD sont anonymes. Toutes les données sont dissimulées. Le contexte permet de comprendre qu’il s’agit du cas de Jaouad Zeroual. Toutefois l’altitude précise n’apparaît pas sur la décision.