L’étude récemment réalisée au Danemark concernant l’effet dopant des transfusions sanguines de petit volume confirme de nombreux travaux réalisés sur ce thème dans le passé. Pierre Sallet, expert anti-dopage au sein de Athletes for Transparency, qui a lui-même réalisé deux études cliniques sur ce domaine spécifique de l’auto-transfusion, dresse un bilan alarmant de l’utilisation des auto-transfusions et de leur caractère indétectable, y compris dans le passeport biologique…
Par Odile Baudrier avec Pierre Sallet
Une étude de plus, pour dire quoi ?
Tout d’abord, juste une précision sur cette étude. En effet, pour moi, si la communauté scientifique en est encore à seulement réaliser des études pour vérifier si l’EPO ou la transfusion sont efficaces pour améliorer la performance, j’estime qu’ils ont trente ans de retard ! Oui, le monde du sport et de l’anti-dopage sait que ces produits fonctionnent. Aujourd’hui, l’auto-transfusion, comme l’EPO, sont assez utilisées par les athlètes, et il existe déjà suffisamment de protocoles qui démontrent qu’il y a une amélioration de la performance. Que le gain soit de 2%, 4% ou 8%, là n’est pas l’essentiel !
La méthodologie de l’étude est-elle correcte ?
A partir de la seule lecture du résumé de l’étude, on note que le protocole a été réalisé « en cross over et en double aveugle ». Dans notre milieu, on peut parler de « Rolls Royce » pour une étude. En effet, le même individu est testé sous la condition placebo et sous la condition traitement, ici une auto-transfusion. Cela permet d’obtenir des résultats très intéressants. Une partie du groupe a été soumis au traitement, alors que le groupe placebo ne recevait rien, et trois mois plus tard, les deux groupes ont été inversés.
Le nombre de participants est-il suffisant ?
L’étude a été réalisée sur 9 sportifs, tour à tour, soumis au prélèvement puis à une restitution (auto-transfusion) en 2 temps, à savoir 135ml de globules rouges seuls (sans plasma) le premier jour puis le lendemain 235ml de globules rouges (toujours sans plasma), pour la partie placebo il s’agit d’un prélèvement et d’une restitution simulée. Ce nombre n’apparaît pas trop petit pour conclure sur le plan scientifique. Les chercheurs travaillent selon des méthodes relatives aux des statistiques inférentielles.
Imaginons qu’on veuille savoir si les Chinois sont plus grands que les Français. Il faut alors mesurer le 1,4 milliard de Chinois, et les 67 millions de Français. Une conclusion sur cette comparaison pourra être effectuée à partir de la moyenne, sans faire de statistiques. Mais pour travailler à partir d’un petit échantillon, par exemple 100 Français et 100 Chinois, la moyenne ne permet pas de conclure, il faut alors appliquer un modèle statistique.
C’est identique pour une étude de ce type, où le plan statistique est à fixer préalablement, des tests de normalité sont à réaliser, afin de pouvoir générer une conclusion sur un petit échantillon de 9 sujets. Si la méthode statistique est correctement appliquée, il est donc à fait correct de bâtir des conclusions sur 9 personnes
Une transfusion faiblement dosée, c’est efficace et indétectable
Cette étude ne présente pas en réalité de données nouvelles. L’auto-transfusion est utilisée depuis longtemps. Pour ma part, j’ai publié en 2008 un travail réalisé sur l’auto-transfusion, il y était présenté une liste d’études déjà publiées, portant sur des transfusions avec pour certaines des quantités inférieures à 150 ml.
La tendance au micro-dosage n’est pas nouvelle, elle est utilisé pour l’auto-transfusion, l’EPO, l’Hormone de croissance. L’équilibre que le dopé voudra trouver est de savoir quelle est la quantité minimum de sang à se restituer utiliser pour bénéficier d’un effet positif et présenter le moins de fluctuations possibles dans le passeport biologique; puisque côté contrôle aucune méthode de détection n’existe encore.
Sur un évènement unique, comme sur un marathon, il apparaît plus efficient de réaliser 3 restitutions de 50 ml espacées qu’une restitution de 150 ml. Les fluctuations du passeport seront plus discrètes.
La faillite du passeport biologique
La voie du passeport biologique est la bonne, il s’agit d’un suivi intra individuel, identique à celui déployé au sein du programme Quartz. Mais l’outil du passeport biologique, lui, ne tient pas la route sur le plan juridique, avec de très nombreux biais qui ont été utilisés par exemple jusqu’à maintenant par Kreuziger en cyclisme, et plus récemment le marcheur slovaque Toth pour se défendre et gagner. Le jour ou l’on voudra introduire le passeport dans des sports avec des moyens financiers, donc de défenses importants, comme le football ou le tennis par exemple, l’outils se fera descendre en flamme. Dans le même registre c’est ce qui s’est exactement passé dans l’Affaire Froome et le salbutamol; le château de carte n’a pas tenu face à la puissance financière et les expertises scientifiques. Pour moi à titre personnel, le « job » est fait car dès 2006, quand je travaillais déjà sur le passeport biologique j’avais informé l’AMA de ces biais juridiques..
Sur le plan scientifique, avec l’outil du passeport, il est possible par contre d’identifier des fluctuations qui montrent qu’un sportif a triché. C’est plutôt un outil de « screening » pour cibler des contrôles anti-dopage.
Mais avec le micro dosage, il s’avère impossible de faire le lien entre une variation normale et une auto-transfusion. Avec des quantités de sang très faibles, les performances sont améliorées, tout en restant dans la légalité avec des variations qui demeurent dans la logique intra-individuelle annuelle.
Dans certaines de nos études, il apparaît des différences intra-individuelles sur une année qui montent jusqu’à 10% sur l’Hématocrite et/ou Hémoglobine sans que le sportif soit dopé donc. Pour un taux d’hématocrite à 40%, la variation annuelle permet d’observer des valeurs jusqu’à 44, de manière normale. Le contexte évolue dans l’année : l’athlète peut être fatigué dans la saison, être allé en altitude, il existe également des variations consécutives à la chronobiologie, à la méthode de prélèvement, à l’état de la déshydratation… Avec en conséquence des variations de 10% voire au delà et de manière complètement naturelle donc. Dans le cas d’une variation de 10% enregistrée à travers 10 prélèvements dans l’année, la situation peut être tout à fait normale.
Une variation forte dans un délai court n’est pas normale
Mais si l’écart de 10% apparaît entre deux valeurs très proximales dans le temps, c’est un problème.
A partir des éléments de l’étude menée en 2006, sur des dosages de 400 ml de poches de sang, des seuils avaient été fixés : des prélèvements espacés de moins de 15 jours, dans le même état d’hydratation, effectués dans les mêmes conditions analytiques, par le même labo, ne devraient pas conduire à une variation de l’hématocrite supérieure à 6%, et du taux d’hémoglobine supérieure à 4%. Dans le cas d’une variation supérieure à ces taux, il est acquis qu’elle est liée à une auto-transfusion.
Si la quantité de sang prélevé et réinjecté est inférieure aux 400 ml, il semble logique que la variation de hémoglobine et hématocrite soit moindre.
Le cocktail EPO+TRANSFUSION+ALTITUDE
C’est la méthode actuelle des sportifs dopés. La situation est très préoccupante. Avec d’abord, la recherche d’un lieu de stage où le contrôle ne pourra avoir lieu. Or, ce sont environ 70% des zones du globe où le sportif ne pourra être contrôlé. Pour ma part, je plaide pour la transparence et pour l’athlète rendre sa localisation publique dans la période précédent un record du monde, ou autre projet d’envergure, comme pour le SUB 2 par exemple…
A l’arrivée en altitude, une poche de 400 ml est prélevée. Cela fatigue l’organisme. Pour une récupération plus rapide, un protocole à partir de micro-dose d’EPO est mis en place, sur la base d’un dosage de 10 unités internationales par kilo. A ce stade, à environ 4 à 6 semaines d’un grand rendez-vous, l’EPO ne sert pas à s’améliorer sur le plan sportif, elle facilite uniquement la reconstitution hématologique pour revenir à des valeurs normales.
Au bout de 15 jours, le stage se termine, l’entraînement a pu être effectué en bénéficiant de l’effet EPO et de l’effet altitude. Sur le plan physiologique, l’athlète est revenu aux niveaux de départ. A l’approche de la compétition, il n’est même plus utile de prendre de l’EPO, la transfusion suffit, à partir de la poche de 400 ml stockée au début du stage.
La transfusion remplace l’EPO : l’équivalent d’une transfusion à 400 ml, c’est une cure d’EPO complète de 3 semaines. Dans le cas d’une cure à 150 ml, le sportif évite une cure d’EPO de 10 jours, avec injections tous les jours. Et pour restituer 150 ml, il faut seulement 10 minutes !
Les dangers de l’auto transfusion
L’auto-transfusion présente trois risques majeurs sur le plan de la santé
Le risque le plus important se situe au moment du prélèvement de la poche de sang, dans le cas où l’athlète souffrirait d’une pathologie comme un rhume, sans que les symptômes ne soient visibles. En fait, la charge virale passe dans la poche de sang, et durant le stockage, la charge virale se multiplie, sans que le système immunitaire puisse directement intervenir. Au moment de la réinjection du sang, qu’on appelle la restitution, il survient le risque d’un choc anaphylactique, provoqué par l’arrivée brutale d’une énorme charge virale dans l’organisme. Ce fût le cas de Ricardo Ricco, un cycliste, victime d’un coma après une transfusion.
D’ailleurs, en raison de ce risque, les protocoles pour des études cliniques sur les transfusions sont les plus draconiens, les poches sont retestées avant la restitution. Mais dans le milieu sportif, ces précautions ne sont pas respectées, les restitutions se font à la va vite…
Un autre danger de cette méthode est tout simplement celui de l’inversion de poches. Les images de l’opération Puerto nous ont fait découvrir des poches posées à terre, non réfrigérées, avec des noms de code notés au marqueur. Le risque est réel d’effectuer une erreur de groupe. Cela peut se tourner en une véritable catastrophe.
Le dernier danger des transfusions ou auto-transfusions provient du matériel employé et des éventuelles carences sanitaires.
Toutefois, d’un point de vue médical, dans le cas d’hormone de croissance ou EPO, certaines études démontrent un lien entre ces prises et le risque, parfois élevé, de développer un cancer. Par contre, la transfusion apparaît relativement « secure » sur le plan du développement des maladies. Dans certains pays, la transfusion est d’ailleurs utilisée pour rebooster des chefs d’entreprise, des artistes… A titre personnel, j’ai déjà dirigé de nombreux programmes de recherche autour de la lutte antidopage, j’ai été aussi deux fois cobaye et ai ainsi pu tester l’auto-transfusion, l’EPO, l’hormone de croissance, les corticoïdes. L’effet de la transfusion est immédiat, y compris sur la vie quotidienne, et dure environ trois semaines …
Quelle progression avec l’auto transfusion ?
Le chiffre de l’étude danoise est d’environ 5% pour des poches de 130 ml. Pour ma part, dans le protocole réalisé en 2014 à partir de 250 ml de sang total restitué couplé avec des prises en micro-doses d’EPO, d’Hormone de croissance et de corticoïdes les progressions sont en moyenne de 6,1% sur un test d’effort, 2,3% sur contre la montre simulé en cyclisme et 2,8% sur un 3000 m sur piste.
Les meilleures progressions individuelles ont été de 7,1% sur le test d’effort, 5% le contre montre simulé en cyclisme, 3,9% sur le 3000 m sur piste. C’est énorme, et très préoccupant…
Mes études sur les transfusions sanguines
J’ai mené deux études sur ce thème, en 2006, et 2014. Le travail réalisé en 2014 avait fait l’objet d’une diffusion sur Stade 2. Plusieurs critiques avaient été formulées, et surtout le fait que l’étude portait sur un seul groupe de sportifs, sans que l’étude soit réalisée en cross-over et double aveugle
Mais en réalité, notre étude ne s’intéressait pas à la mesure de la prise de produits dopants sur la performance. Comme dans tout protocole de recherche, un critère principal avait été fixé : il s’agissait de tester les méthodes de détection (contrôles) et le passeport biologique ? Dans ce cas, une seule cohorte suffit et que le sportif soit informé ou non ne change pas la détection…La question était de savoir si les contrôles et/ou le passeport biologique donnaient des résultats quand on utilise plusieurs substances en micro-doses et une méthode donc, celle de l’auto-transfusion ? En réalité, l’aspect performance n’était qu’un critère secondaire qui ne nous importait pas mais a permis un certain électrochoc pour le grand publique à l’époque. Dans notre étude, il était donc inutile d’avoir un groupe placebo, puisqu’on cherchait à identifier les limites de détection des contrôles et du passeport biologique, ce qui est malheureusement une dure réalité…