En 1989, Dominique Chauvelier crée un meeting spécifique pour que soit battu le record de France de l’heure sur la piste de La Flèche, il réunit les meilleurs français sur 10 000 mètres. Début d’une histoire passionnelle pour un record mythique.
Le short moulant, le débardeur tout autant, sur la poitrine, le V de la victoire cousue main, en ce 14 octobre 1973, Lucien Rault est sur orbite. Sur la cendrée du stade de Colombes, l’allemand Philipp est à ses trousses, plus loin, les anglais Adler et Holden dodelinent de la tête. 1’10 » aux 400, 2’55 » au kilo, le petit breton est régulier, la tête légèrement penchée, les rouflaquettes bien épaisses, le regard sombre. Farouchement déterminé.
Lucien Rault est en piste pour établir un nouveau record de France sur les 20 km piste et sur l’heure. A 37 ans, ce gardien de piscine, quinze fois champion de Bretagne de cross a une revanche à prendre sur les encostumés de la fédération qui l’année précédente l’éjectent de la sélection olympique. Comme une arête plantée dans la glotte, la pilule passe mal et le coureur de Plouguenast fomente sa revanche. « Non, à 38 ans, je ne suis pas fini » déclare-t-il au reporter du Miroir de l’Athlétisme qui s’émeut de cette non sélection.
Les Jeux de Munich se déroulent sans lui. Les images du belge Emile Puttemans remportant le 10 000 m et de Franck Shorter vainqueur du marathon, l’encouragent à prendre les armes pour corriger cette injustice, cette meurtrissure. L’hiver est alors studieux, besogneux, le printemps tout autant. Arrive alors le championnat de France du 10 000 mètres. Pour la première fois de sa carrière, Lucien Rault remporte un titre national en s’imposant face à Noël Tijou. Mais cela ne suffit pas pour calmer une colère qui bouillonne en sourdine. A l’automne, il établit son premier record de France, sur 20 km en 59’11 » et quelques encablures plus loin, celui de l’heure avec 20,305 km. Et la saison de cross qui arrive le voit sacré pour la première fois champion de France à 39 ans.
« Un gars comme Lucien Rault, ça me faisait rêver »
Lorsque Dominique Chauvelier décide en 1989 de monter une tentative de record de France de l’heure, il invite tout naturellement Lucien Rault comme parrain. Pour transmettre le témoin entre deux générations : « Gamin, j’étais lecteur du Miroir. Et un gars comme Lucien Rault, ça me faisait rêver ».
Courir, pédaler, rouler, chevaucher, le record de l’heure a de tout temps déclenché les fantasmes. Dans les années 80, ce sont les tentatives de Francesco Moser sur l’anneau de Mexico qui passionnent. L’homme est trouble, ses 51,151 km font polémiques. « Savoir ce que l’on est capable de courir en une heure, moi ça m’a toujours fait rêver. J’ai toujours eu envie de savoir ce que je valais. Tu imagines Rault et Tijou à plus de 20 kilomètres/heure !? ».
Fin des années 80, Dominique Chauvelier se met en dispo de la Banque Populaire. Il dénoue la cravate, range les souliers vernis et devient athlète pro, enfin libre de gérer sa carrière et de mener des projets personnels comme celui de monter un meeting pour battre le record de Lucien Rault. Son copain Yves Nonin dit banco. Les partenaires ne se font pas prier, les athlètes non plus et Pierre Fula alors présentateur sportif sur Stade 2 accepte n’animer la soirée prévue fin mars. « C’était la date idéale, juste après la saison de cross » confirme Dominique Chauvelier qui s’attribue lui aussi un dossard et une prime d’engagement : « Et attends, à cette époque déjà, ça ne se faisait plus de courir gratuitement. Oui, je me suis attribué une prime de départ car j’étais aussi le Chauvelier coureur ». Le montant de celle-ci ? Il n’y a pas de secret, un coup de fil à Yves Nonin alors trésorier de l’affaire, est donné, pour que notre Chauchau se rafraîchisse la mémoire : «L’équivalent de 2000 euros. Et pour le budget total du meeting, ça devait monter autour de 100 000 euros ».
Sur la ligne de départ, ils sont tous là. Les Itsweire, Lucas, Levisse et les deux frères Chauvelier devant un public venu en masse soit 3000 spectateurs réunis dans le stade de La Flèche chauffé à blanc par un 10 fois 300 mètres à l’américaine, un prologue remporté par Pascal Thiébaut qui fait le show. Ce soir là, Pierre Lévisse bat le record de France avec 20,429 km en repoussant les assauts d’un Itsweire combatif second avec 20,416 km et Dominique Chauvelier réalise enfin son rêve avec 20,269 km.
Dominique Chauvelier de conclure un brin nostalgique : « L’heure, c’est magique »
Mais l’aventure ne s’arrête pas en si bon chemin. L’année suivant le tandem Chauvelier – Nonin têtes de pont du club local donnent rendez vous pour une nouvelle tentative. La Flèche remet les pendules à l’heure. Cette fois, c’est le record de Jos Hermens qui doit tomber. Le budget double, on monte une tribune supplémentaire pour accueillir 5000 spectateurs. Souvent en stage au Portugal, Dominique Chauvelier a tissé des liens avec les frères Castro. Dionisio se met à l’heure française et l’emporte. Il bat le record d’Europe des 20 km mais échoue d’une semelle sur l’heure. Quant à Bertrand Itsweire, il efface le record de Pierre Levisse en couvrant 20,601 km avec au passage 58’18»4 sur 20 km. C’est coup double.
Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? L’heure tourne, le record du monde doit vraiment tomber. Alors on s’adresse au détenteur même, le hollandais Jos Hermens, l’homme le plus rapide au monde sur 60 minutes avec 20,944 km. Devenu un influent manager dans le milieu du demi fond et du marathon, il réclame une enveloppe de 5000 euros pour que le mexicain Arturo Barrios soit au départ. 24 ans plus tard, Dominique Chauvelier se souvient encore de cette tentative comme d’un acte de mariage que l’on n’oublie jamais. Il raconte : Barrios, il me met un tour. Et là, je relance, je le tire, je lui sers de lièvre. Sur le côté, à chaque tour, tu entends «plus 5 secondes, plus 3 secondes». Il faut avoir vécu cela ». Arturo Barrios remplit le contrat en réalisant 21,101 km. Et Dominique Chauvelier de conclure un brin nostalgique : « L’heure, c’est magique ».
Texte Gilles Bertrand. Photos archives Dominique Chauvelier
. Temps de passage en 1989 : 14’43 » aux 5000 m – 29’22 » aux 10 000 m et 44’10 » aux 15 000 m. Dernier km en 2’52″9.
. Les perfs de Dominique Chauvelier sur l’heure : 20,269 km en 1989 – 20,106 km en 1990 et 20,238 km en 1991
. Dominique Chauvelier est toujours détenteur des records de France des 25 000 m piste en 1h 15’56 » et des 30 000 m en 1h 31’52 » (1992)