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Damien Ressiot, journaliste à l’Equipe, devient gendarme anti-dopage

Le nom de Damien Ressiot compte parmi les références de l’anti-dopage mondial. Ce journaliste à l’Equipe s’est fait connaître par sa révélation dès 2005 du dopage de Lance Amstrong, et il compte à son actif de nombreux scoops sur ce thème. Le journaliste a choisi récemment d’intégrer l’OCLAEPS, aux côtés des gendarmes de l’anti dopage, auxquels il apporte son expertise et son réseau.

RESSIOT BIS

Vous avez choisi de quitter votre poste de journaliste à l’Equipe, pour devenir conseiller des gendarmes de l’OCLAEPS, l’office de lutte contre le dopage. Quelle est la raison de cette modification fondamentale de parcours ?

C’était tout simplement une possibilité de faire autre chose dans ma vie professionnelle. Je suis resté 25 ans à l’Equipe et France Football. J’ai eu une opportunité, je l’ai saisie. Comment dire ? Ma motivation première était, après avoir écrit ou investigué sur tout ce qui se faisait en matière de dopage, d’aller sur le terrain avec de vrais enquêteurs pour voir la réalité du terrain, la réalité exacte du travail, les moyens dont ils disposaient, la procédure pénale, les difficultés rencontrées. Pour ça, je ne regrette absolument pas, on voit les choses d’une manière complètement différente.

Qu’est-ce qui a été le plus surprenant ?

L’étendue des dégâts au niveau amateur. C’est quelque chose qui par définition, ne nous «intéressait » pas dans l’Equipe, puisqu’on était rivés sur le haut niveau et l’élite. Découvrir le nombre d’amateurs qui se dopent, le nombre de produits qui transitent, qui s’échangent et se vendent, le voir physiquement, c’est impressionnant ! Je n’avais jamais pris de stéroïdes dans ma main, je ne savais pas qu’une grosse quantité de stéroïdes sentait mauvais. Aujourd’hui, quand je participe à une perquisition, et qu’on rentre dans une chambre avec des cartons de stéroïdes, l’odeur même qui se dégage, vous savez que vous les avez trouvées. Ce sont des choses pratiques, pragmatiques que j’ai découvertes en venant à l’Office avec des gens spécialisés. Et c’est très très enrichissant.

A l’Equipe, vous étiez « Monsieur Dopage », vous étiez dans l’ombre, vous sortiez les affaires., et vous avez sorti en particulier le scoop sur le dopage de Lance Amstrong, puis sur l’équipe Cofidis. Le contexte de travail était-il difficile ?

Forcément un peu difficile. Vous êtes dans un quotidien sportif, dont le business est de légender le sport, (c’était d’ailleurs un slogan de marketing), alors, vous avez du mal à légender les travers du sport ! Donc vous avez quelqu’un qui s’en occupe, qui est là pour donner bonne conscience à tout le monde. Après, il ne faut pas non plus exagérer et fantasmer : on m’a toujours laissé travailler. Le Tour de France était évidemment un sujet sensible. Mais cette adversité m’allait très bien même si elle était parfois interne. On m’a laissé travailler, et moi, je me faisais fort de gérer au quotidien cette adversité. Après, il y a eu des points culminants qui ont été particulièrement délicats. Le plus sensible a été Laurent Jalabert. Quand vous commencez à toucher des icônes nationales et non plus internationales, que c’est un Français adulé, c’est plus compliqué. Quand c’est un Bulgare, vous pouvez le décapiter sur la place publique, c’est très simple.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser de cette manière au dopage ?

C’est un manque historique au sein de la rédaction de l’Equipe. On y a été confrontés lors des affaires de nandrolone qui ont secoué le football, dans les années 97-98. On s’est rendu compte qu’on n’avait pas l’expertise, qu’on écrivait n’importe quoi ou qu’on ouvrait nos colonnes à des gens qui disaient n’importe quoi sans qu’on puisse les contredire ou les faire taire. Ensuite Festina a précipité le mouvement. On m’a donné l’opportunité de me former, j’ai passé le DU Dopage à Montpellier avec le professeur Audran, qui est quelqu’un que je respecte beaucoup. A partir de là, nous n’étions pas légion à l’Equipe à être intéressés par ce sujet. Moi, ce sujet m’a de suite beaucoup plu : j’ai une formation de sociologue, d’ethnologue, j’adore le sport, mais je n’ai jamais été dans le copinage avec les sportifs. Donc avoir un peu de distance et traiter de sujets qui ne sont pas les plus simples et valorisants, cela ne me dérange pas du tout. Je n’ai pas besoin d’embrasser un sportif pour exister !

Utiliser ses réseaux pour la lutte anti-dopage

Vous avez donc intégré l’OCLAEPS après avoir été recruté par le Ministère des Sports ?

Cela a été un choix compliqué car le confort de l’Equipe, tout le monde le connaît dans la presse. Je suis passé à un statut complètement différent, même si le Ministère m’a donné toutes les possibilités de travailler confortablement et l’OCLAEPS aussi. Mais j’ai un contrat de trois ans. Et je ne suis pas tout jeune. C’est quelque chose auquel on réfléchit forcément quand on est à l’Equipe, et quand on voit le manque de moyens de la Gendarmerie. Mais ça ne me dérange pas du tout car c’est tellement enrichissant.

Peut-on évoquer des affaires sur lesquelles vous avez travaillées depuis votre arrivée ?

Je ne peux pas évoquer les détails, mais je peux dire que j’ai travaillé sur Traby, Moulinet. Et aussi sur des affaires de trafic, où j’apporte mon expertise à des enquêteurs qui ont un niveau très élevé. C’est quelque chose de très surprenant pour moi, je pensais arriver avec un background qui faisait la différence, mais ce sont des gens qui connaissent très bien le sujet. Donc c’est une sorte de machine de guerre, avec des gens très pointus, qui n’ont pas toujours les moyens de travailler correctement. Et qui sont confrontés à la procédure pénale qui est très contraignante. C’est une autre découverte. Je pensais que quand on est policier ou gendarme, tout était possible, et je suis en train de me rendre compte que c’est très compliqué, qu’on ne peut pas travailler à la sauvage. Heureusement ! On est en démocratie, on ne peut pas faire n’importe quoi. Et du coup, il faut trouver des moyens de travailler différemment.

Heureusement ou pas, il faut respecter certaines règles ?

Oui heureusement. Si on pouvait mettre tous les gens suspectés de dopage sur écoute, on résoudrait les affaires en 15 jours ! Mais on ne peut pas, on vit en démocratie.

Ce cadre juridique strict vous explique-t-il mieux certaines affaires dont vous aviez eu connaissance à l’Equipe et qui n’ont jamais abouti ?

Absolument. C’est très compliqué d’additionner des preuves directes, indirectes. J’ai affaire à des pros, donc même s’ils travaillent dans l’ombre, ils travaillent très bien. Mon rôle, où j’apporte un plus, est que moi, je peux faire le lien entre les Fédérations et l’Office, entre l’AFLD et l’Office. On travaille beaucoup avec l’Agence anti-dopage, son département des contrôles, et juridique, et ce sont des gens que je connais très bien. Le niveau international est très intéressant aussi, on travaille avec toutes les polices du monde, les gendarmes, Interpol. On échange des informations. Au niveau international, l’OCLAEPS a une visibilité énorme.

De la compassion pour Bertrand Moulinet

Vous m’avez dit tout à l’heure que vous aviez ressenti de la compassion pour Bertrand Moulinet. Est-ce qu’on peut en parler ?

J’ai toujours eu de la compassion pour les gens qui se dopaient. Y compris quand j’étais à l’Equipe. Dès lors qu’ils se comportaient de manière honorable, c’est-à-dire qu’ils ne faisaient pas de subterfuge, soit de procédure, soit de déni. Même si je peux aussi comprendre la position de déni. Mais je n’ai jamais considéré les dopés comme des truands, et à partir de là, j’ai toujours essayé de comprendre comment le système sportif pouvait générer qu’on puisse être tenté de se doper. Et j’ai toujours noté quand j’étais journaliste que le système sportif ne s’interrogeait pas assez sur sa responsabilité dans toutes ces déviances. Et je continue de le penser.

Vous utilisez maintenant tous les réseaux constitués en tant que journaliste. Est-ce qu’il y a eu des réactions face à ce changement de statut quand vous interrogez les gens ?

Non. J’avais un petit peu peur d’une sorte de crispation ou de peur du gendarme, qui s’installe. La famille sportive n’aime pas voir débarquer des képis. Même si je ne porte pas de képi et mes collègues non plus ! Mais en fait, les choses n’ont pas changé : mes témoins privilégiés sont toujours mes interlocuteurs. Je pense que tout simplement, que ce sont des gens, dans les Fédérations, par exemple à la FFA, qui sont par définition des passionnés de l’éthique. Ils ont gardé le même comportement avec moi. Et moi, je leur rends vraiment hommage car je peux compter sur eux pour tout. Dès que j’ai un souci, un problème, que je veux vérifier une information, s’ils peuvent m’aider, ils m’aident : cela n’a pas changé.

Donc pour vous, votre mission quotidienne repose sur un gros travail de réseau, pour collecter du renseignement ?

Oui. Faciliter le travail des enquêteurs. Et cela repose sur un travail de réseau, qui existe à tous les niveaux, institutionnel, terrain, avec des sportifs.

Globalement, les gens ont envie de parler de ce sujet ou bien se situe-t-on plutôt dans le domaine du secret ?

Les gens ont envie. Et certains ont intérêt à parler. Peu importe leur motivation. L’important est qu’ils parlent, d’avoir de l’info, du renseignement.

Dans une affaire comme celle de Moulinet, votre rôle a-t-il été particulièrement important lors de la perquisition pour le faire parler ?

Je ne veux pas parler de cette affaire en particulier. Mais quand vous êtes face à un sportif, connaître comment fonctionnent les sportifs est très important. Psychologiquement, c’est très important, ça aide. Savoir comment ça va se passer au niveau disciplinaire, c’est important. Au niveau pénal, on les met de suite au courant. Leur parler d’une possible collaboration, comme cela est prévu par le code mondial, est très important, et évidemment, je ne m’en prive pas .

Votre job sur le terrain vise donc surtout à les inciter à collaborer ?

Je participe. Je suis toujours en retrait, car les officiers de police maîtrisent l’enquête, ils ont le pouvoir et la légitimité judiciaire. Je suis comme un « sachant » à leurs côtés, j’interviens quand ils ont besoin de moi, quand il faut identifier les produits, poser des questions plus techniques sur la discipline, ou alors plus simplement quand je peux apporter une plus value à l’audition, à la perquisition. Mais ils connaissent très bien leur job et je suis là pour les aider !

Interview réalisée par Odile Baudrier