Lors des J.O. de Los Angeles en 1984, Nawal El Moutawakel est sacrée championne olympique et devient un symbole pour les femmes du monde arabe. 32 ans plus tard, toujours sur 400 mètres haies, l’américaine Dalilah Muhammad de confession musulmane est devenue elle aussi championne olympique sans que son appartenance religieuse ne soit débattue. Explication.
« Je suis souvent sur les stades, dans les forums où il y a une majorité masculine. Je suis dans des endroits où il y a rarement des femmes. Mais j’ai toujours refusé de servir le thé dans les réunions, je refuse de faire les photocopies, je refuse d’accompagner les femmes des responsables pour le shopping. Si je suis là, c’est pour donner de mon temps pour une évolution vers un avenir meilleur ».
C’est ainsi que s’exprime Nawal El Moutawakel dans un entretien que nous réalisons début des années 2000 à Rabat. La championne olympique du 400 mètres haies est devenue ministre des sports, elle s’exprime avec sincérité pour affirmer «Il est impensable de faire évoluer le Maroc sans que la femme ne fasse partie de cette évolution ».
Lorsque cette jeune Marocaine, étudiante dans une université américaine est sacrée championne olympique à Los Angeles en 1984, elle devient la première femme d’une nation musulmane à remporter une médaille d’or. Les verrous sautent. Enfin. Elle est saluée comme une pionnière, au-delà des traditions et des préjugés, cheveux au vent, portant fièrement de son bras gauche, le drapeau national dans un tour d’honneur emblématique.
« Je veux simplement faire évoluer la pensée de l’homme. Pour ouvrir des espaces, pour faire évoluer la participation de la femme dans la société. C’est un combat de militant. Car il reste un grand chemin à parcourir ». Ces propos sont tenus par Hassiba Boulmerka lors d’une rencontre à Alger au siège de sa société HBI nouvellement créée.
La double championne du monde du 1500 m sacrée à Tokyo puis à Göteborg et championne olympique en 1992 a son franc parler. Direct et incisif comme ses courses, elle aussi cheveux au vent, le poids rageur frappant le ciel à chacune de ses victoires. Elle dit « je ne suis pas évolutionniste, je suis révolutionniste » pour que le statut des femmes algériennes et musulmanes évolue, ajoutant « J’ai essayé d’accompagner mon pays. De donner une image, celle de l’Algérie que je veux. Une manière de démontrer que la religion n’est pas contradictoire avec ce que je fais. Et cela d’une manière marquante ».
Une jeune américaine musulmane assumant son sport, non voilée, « libre de toute fatwa »
Trente-deux ans plus tard, Dalilah Muhammad, une athlète de confession musulmane et de nationalité américaine a remporté lors des J.O. de Rio de Janeiro, cheveux au vent, la médaille d’or sur 400 mètres haies, la même discipline que Nawal El Moutawakel.
Mais étrangement, les médias américains ont boudé cet exploit et n’ont accordé qu’une place mineure à cette victoire dans les unes et dans les flashs des news infos. Même sur Twitter, les messages n’ont pas été déferlants pour saluer cette victoire d’une jeune américaine musulmane assumant son sport, non voilée, « libre de toute fatwa » comme s’est exprimée l’intellectuelle et journaliste Asra Nomani.
A l’inverse, celle qui a concentré toute l’attention de la presse américaine généraliste fut Ibtihaj Muhammad, une escrimeuse américaine spécialiste du sabre portant le hijab sous son masque et présentée comme la première athlète US à concourir aux J.O. les cheveux voilés. Cette histoire a transpiré dans toute la grande presse outre atlantique présentant cette athlète, médaillée de bronze par équipe, comme le visage de l’islam progressiste.
«Ma religion ne définit pas qui je suis en tant que personne» s’est ainsi que s’est exprimée Dalilah Muhammad sur le site Fittish et de poursuivre par cette réflexion «Je ne suis pas allée aux Jeux Olympiques en essayant d’être le visage des femmes musulmanes. Car vous devenez une athlète musulmane et non pas juste une athlète. Pour moi, être un athlète, c’est ce que je suis, il est ce que je veux représenter. Il n’est pas un secret que je suis musulmane, il est juste que je ne présente pas comme telle sur la piste. La religion est personnelle pour moi, tout comme pour les autres femmes qui ont disputé ma finale ». Pour étayer son propos, elle cite l’exemple des volleyeuses iraniennes présentes sur la scène internationale en 1974 en short et non voilées alors qu’aujourd’hui, 40 ans plus tard, elles ont délaissé l’uniforme occidental de la période impériale de la dynastie Pahlavi pour une tenue classique corps et chevelure intégralement couverts, conforme au dikat du régime islamiste.
C’est censé être un choix personnelle mais cela dépend vraiment de votre environnement
Dalilah Muhammad est aujourd’hui californienne et s’entraîne aux côtés de Yolanda Demus, la mère de Lashinda Demus médaillée d’or à Daegu en 2011 et seconde aux J.O. de Londres sur 400 m haies, elle aussi. Mais elle a grandi à New York où elle découvre l’athlétisme, dès l’âge de 7 ans. Son père est imam dans le Queens mais il n’y a pas de blocage pour que sa fille s’exprime ainsi. Même lorsque les premiers résultats arrivent et que la jeune Dalilah porte la tenue officielle du collège, son père ne cache pas ses réticences à voir sa protégée vêtue si légèrement mais il abdique et laisse la future grande spécialiste des haies basses se vêtir comme elle le souhaite, refusant par ailleurs de porter le voile. A propos du hijab, Dalilah s’exprime ainsi : « Certaines filles musulmanes commencent à se couvrir vers l’âge de 16 ans. C’est censé être un choix personnel mais cela dépend vraiment de votre environnement ».
Dalilah ne fut pas dans la symbolique d’une victoire telle que l’a connue Nawal El Moutawakel devenue par la suite l’un des notables du Comité International Olympique. La « petite sœur » de la championne marocaine n’a jamais reçu de critiques de la part de la communauté musulmane sur le fait de ne pas se couvrir. Sur ce point, son jugement est le suivant : « La communauté musulmane, d’origine américaine, est plus libérale qu’ailleurs car très tôt j’ai été identifiée comme une athlète ». Aujourd’hui les J.O. sont devenus une tribune pour les nations affichant un islam conservateur, en témoigne l’orchestration médiatique autour de la Saoudienne Sarah Attar, lancée sur la route du marathon olympique dans les rues de Rio, couverte de pied en cape, illustration d’un islam politique où la problématique posé par le port du voile brouille la question essentielle : quelle est la place de la femme musulmane dans les sociétés arabes traditionnelles ?
> Texte et photo Gilles Bertrand