6 médailles lors des récents Jeux d’Afrique disputés à Brazzaville au Congo, sans oublier les succès de Murielle Ahouré depuis 2012, la Côte d’Ivoire pointe son nez dans le concert du sprint mondial. Est-ce enfin la naissance d’une grande nation d’athlétisme ?
En Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire pourrait être un grand pays d’athlétisme, tout comme le Nigéria ou le Cameroun. Sauf que l’instabilité politique, une pauvreté sans cesse croissante, une forte criminalité et une insécurité généralisée ont retardé voire anéanti les fragiles efforts de développement entrepris depuis plus de 30 ans.
Pourtant quel potentiel que les entraîneurs de sprint ont tôt fait de mesurer dans les années soixante alors que le pays accède tout juste à son indépendance. En 1964, Gaoussou Koné, découvert et entraîné par le français Georges Ricard, sera le premier sprinter ivoirien à émerger au niveau international. A Tokyo, il rentre en finale olympique du 100 mètres. L’année suivante, il remporte le titre mondial universitaire devant l’Américain Tommie Smith, le même qui deux ans plus tard, pointe dans le ciel de Mexico un poing levé pour l’éternité sur le podium du 200 mètres. Lors de cette olympiade, toujours sur 100 mètres, la finale échappe de peu à Gaoussou Koné. Rencontré quelques années plus tard, il déclarait : « Je n’ai pas réalisé sur le champ la portée historique de la révolte noire. Nous, nous n’étions pas politisés. Avec le recul, j’ai compris que nous étions frères et du même univers ».
Les années post-décolonisation sont des années de construction. L’école est une priorité, le sport en bénéficie mais c’est insuffisant pour échafauder une vraie politique de détection, de formation des entraîneurs, de gestion des élites, comme on le constate au Kenya. Dans ce pays tropical, les pistes sont rares, ceinturée d’une cendrée qui se transforme en bourbier lorsque la saison des pluies inonde ces contrées d’Abidjan à Bouaké, autre obstacle majeur pour le développement de l’athlétisme.
Dans un tel contexte, Gabriel Tiacoh tient de l’exception. C’est un fils de bonne famille, élevé en France, son père, notable ivoirien et politicien reconnu comme fondateur du parti démocrate a placé ses chérubins à l’abri du tumulte et du besoin. Le grand Gaby découvre l’athlétisme en banlieue parisienne puis une université américaine le recrute, avec laquelle il est sacré 4 fois champion NCAA. En 1984, à 21 ans, il remporte en aveugle, au couloir 7, la médaille d’argent des J.O. de Los Angeles, première médaille en athlétisme pour un pays d’Afrique de l’Ouest. A 29 ans, celui que le vieux Houphouet Boigny considérait comme modèle de l’identité africaine, décède à Atlanta d’un mal étrange, cancer, méningite… ? Un secret qu’il emporte dans sa tombe, à Toumodi, son village natal.
Murielle Ahouré est elle-aussi une enfant de bonne famille, née d’un père Général des armées
« Gabriel Tiacoh reste un modèle pour cette jeunesse. On garde de lui l’image d’un homme qui accomplit une vie, le sport et les études, c’est ce que l’on enseigne à tous nos jeunes ». Charles Haroun, un industriel d’origine libanaise, alors président de la fédération est convaincu de l’impact de cette médaille pour le développement de l’athlétisme local. Ces « jeunes », on les voit arriver dans les clubs français. Point de chute, Poitiers sous la conduite de Gérard Lacroix, les Meïté, Waota, Womplou, Zerignon et Bogui, fruit d’un plan de détection lancé à cette époque par la Confeges, cette institution intergouvernementale des pays de la zone francophone oeuvrant pour la jeunesse et le sport. Mais les résultats restent encore modestes, Ibrahim Meïté, le plus doué de cette génération, finaliste d’un Mondial à 16 ans avec le relais 4 x 100 mètres Ivoirien en 1993 ne franchira pas les portes de la gloire internationale.
La Côte d’Ivoire traverse alors un long tunnel. Le potentiel est là mais la rébellion qui ensanglante le pays au début des années 2000, ne contribue pas au développement de ce sport. Dans un tel chaos, la survie est l’unique priorité.
Dans un tel contexte, l’émergence de Murielle Ahouré bousculant du coude, Jamaïcaines et Américaines sur 100 et 200 mètres, tient là aussi de l’exception. Ce n’est qu’une simple coïncidence, mais les similitudes avec Gabriel Tiacoh sont évidentes. Elle aussi, c’est une enfant de bonne famille, née d’un père général des armées, vivant en France ses plus tendres années avant de rejoindre, à l’adolescence, les Etats Unis où elle découvre l’athlétisme. En 2012, elle émerge à Istanbul lors du Mondial en salle sur 60 mètres, médaillée d’argent tout comme à Moscou en 2013 sur 100 mètres puis à Sopot en 2014 à nouveau sur 60 mètres.
La machine s’enclenche, la fédération ivoirienne avec son DTN, Dramane Djiguiba, admet les carences flagrantes d’un système bancal, la priorité est donnée à la formation des entraîneurs et à la détection dans la tranche d’âge des 13 – 14 ans. Les effets sont tangibles, le jeune Arthur Gué Cissé devient champion d’Afrique junior en 2014 à Addis Abeba alors que sur le plan international, c’est la confirmation de nouveaux talents, Wilfried Koffi Hua et Ben Yousef Meite chez les hommes et Marie José Ta Lou chez les femmes qui lors des récents Jeux d’Afrique disputés à Brazzaville au Congo, crève l’écran en s’imposant sur 100 – 200 et rouage essentiel du relais 4 x 100 mètres. Wilfried Koffi Hua et Marie José Ta Lou ont pris leur destin en main, Wilfried Koffi Hua choisissant Shanghai pour étudier et s’entraîner alors que Marie José Ta Lou opte pour Dakar et son centre d’entraînement IAAF. Car Abidjan n’est pas encore en mesure de former sur place une élite internationale comme c’est le cas désormais en Jamaïque. A terme, c’est bien sûr l’espoir d’une fédération qui doit encore consolider les murs pour que la Côte d’Ivoire soit enfin la grande nation de sprint qu’elle pourrait être.
> Texte : Gilles Bertrand