Cédric Thomas, le coach de Christelle Daunay porte un regard attentif aux méthodes d’entraînement américaines. Nous l’avons interrogé sur la fameuse séance où le coureur enchaîne compétition + séance rapide. Voici son analyse.
Le 27 janvier 2014, la petite communauté du demi fond américain se tortille sur son arrière train. Galen Rupp a encore fait des siennes. Le protégé d’Alberto Salazar, sur la piste de l’Armaury Track Club de New York, non seulement bat le record américain du 2 miles en salle en 8’07’’41 mais celui-ci enchaîne sur le même parquet la séance suivante, 5 fois un mile en 4’21 », 4’20 », 4’20 », 4’16 » et 4’01 » pour finir par 3 x 150 mètres.
Un an plus tard, presque jour pour jour, c’est au tour de Cameron Levins de réaliser une autre version de cette séance. Lors du même meeting, sur la même piste New Yorkaise, le canadien, lui aussi membre de la même structure professionnelle coachée par Alberto Salazar décide d’enchaîner deux courses en moins de trente minutes, sur un mile puis sur deux miles.
Ce coureur de 29 ans, 11ème aux J.O. de Londres sur 10 000 mètres et médaillé de bronze l’an passé à Glasgow lors des Commonwealth Games, s’attaque à un exercice que les accros des forums qualifient de « ridiculous ». En l’accueillant dans l’Oregon, Alberto Salazar lui avait remis les pendules à l’heure pour revenir à des charges et des intensités jugées « normales ». Car dans un passé encore récent, « The mileage junkie » bouffait des bornes de façon vorace, avec au compteur 300 kilomètres semaine (190 miles), en s’entraînant parfois jusqu’à 4 fois par jour..
Sur la piste de l’Armory, Cam exécute le premier mile en 3’54’74 à 52 centièmes du record national. 32 minutes s’écoulent, il remet les pointes et après 16 tours et des peanuts, il bloque le chrono à 8’15’’38 soit un temps aux 3000 mètres de 7’36’96.
Uniquement en début de préparation hivernale pour travailler les points faibles
Son assistant Steve Magness, conseiller scientifique au sein de la structure Nike Oregon Project apportait déjà en 2011 (article du 25 octobre 2011 – Running Times) un éclairage sur l’intérêt physiologique d’une telle séance. Selon le physio (qui depuis a quitté le groupe Salazar), les taux hormonaux sont tels après une compétition inférieure à 5 km, qu’ils permettent de travailler sur des seuils de fatigue et de bénéficier d’effets qu’il ne serait pas possible d’obtenir en temps normal. D’autant plus que les taux d’endorphine sont au plus haut et le système cérébral dans une situation d’hyper sollicitation, favorable pour absorber une telle intensité.
Pour l’heure le scepticisme l’emporte sur l’intérêt réel de tels schémas d’entraînement utiles selon Steve Magness (auteur du best seller Science of Running), uniquement en début de préparation hivernale pour travailler les points faibles.
Cédric Thomas, le coach de Christelle Daunay, championne d’Europe sur la distance reine du marathon à Zurich l’an passé, porte depuis longtemps, un regard attentif sur toutes les méthodes de préparation notamment aux Etats Unis. Ce type de séances n’a pas été sans le titiller. Il s’est interrogé sur l’intérêt et le bien fondé de celle-ci, voici son explication.
On cherche avant tout l’effet psychologique
« Avec l’expérience de Christelle, je dirais qu’il y a une certaine logique. D’ailleurs Hicham El Guerrouj et Salah Hissou étaient déjà dans cette idée de mixer les distances et derrière toujours terminer sur des répétitions courtes.
C’est surtout valable l’hiver car en période estivale, c’est impossible. Et c’est surtout légitime si cela s’inscrit dans un bloc de travail, dans un bloc de surcompensation, dans un bloc d’acquisition. Par exemple sur un bloc de cinq jours avec les deux jours d’avant du travail sur interval dynamique, rapide. Mais pour ma part, je ne le vois pas dans le cadre d’une compétition mais sous forme de charge de travail à l’entraînement.
En surcompensation, on récupère plus vite car l’organisme possède un pouvoir tampon. Il y a un phénomène de mémorisation de l’allure car derrière, on mémorise de bonnes sensations.
Dans le cas de Christelle, j’ai mis au point une séance 10 km + 2 km. Une idée qui a été explorée par Jacques Maréchet (marathonien qui a réalisé 2h 13’47’’ à Séoul en 1987). Dans une semaine à 180 km, la séance se déroule ainsi : le 10 km se court à une allure équivalant à 95% du record de Christelle. Elle termine même un peu plus vite, à 3’06’’ au km. Après 3 à 4 minutes de récup., elle enchaîne par un 2000 m à allure critique soit 20 km/heure, pour elle. Concrètement, elle réalise 3’05’’ puis 3’00’’. On cherche avant tout l’effet psychologique ».
> Texte et photo Gilles Bertrand