Le Conseil d’Etat a penché en faveur de Clémence Calvin, autorisée à courir le marathon de Paris, malgré la suspension à titre conservatoire prononcée par l’Agence Française Anti-Dopage. L’athlète est pourtant sous le coup d’une enquête de la justice pour « suspicion de détention de produits dopants ». La justice sportive est bafouée.
Par Odile Baudrier
L’agence anti-dopage d’un côté. Les gendarmes de l’anti-dopage de l’autre. Au milieu, Clémence Calvin. Et nouvel acteur, le très vénérable Conseil d’Etat. Au final, un quitus pour Clémence Calvin, autorisée à prendre le départ du marathon de Paris. Motif : la suspension a été notifiée trop tard à la marathonienne, qui n’a pu ainsi préparer sa défense.
La justice sportive se voit bafouée. L’AFLD et l’OCLAESP, les deux instances concernées par la lutte anti-dopage en France, n’ont pu stopper Clémence Calvin, qui se révèle une adversaire particulièrement coriace. On a ainsi découvert ce vendredi qu’elle avait effectué 13 changements de sa localisation en 15 jours… Et s’était même localisée un jour à Ourzazate, ville du désert sud du Maroc. Une bougeotte plus que surprenante pour une athlète de haut niveau jouant sa qualification pour les J.O. sur marathon et une mère de famille soucieuse du bien-être de son enfant comme le révèle sa conférence de presse !
Cette versatilité en dit long sur une probable volonté d’échapper aux contrôleurs de l’AFLD, et aussi aux gendarmes de l’OCLAESP. Tous la pistaient. Les uns pour prélever un échantillon. Les autres pour découvrir des produits dopants qu’elle et Samir Dahmani, son compagnon-entraîneur, auraient pu détenir.
Calvin, une opération AFLD et gendarmes en 2015
Mais l’opération Calvin ne s’est pas dupliquée sur celle menée pour Laila Traby, en novembre 2014. Ce jour-là, au petit matin, débarque au chalet de Font Romeu une préleveuse mandatée pour l’AFLD pour un contrôle. Avec derrière elle, les gendarmes et une équipe de l’OCLAESP, intégrant Damien Ressiot, membre alors de l’unité d’Arcueil. Avec en final, un contrôle positif et la découverte de produits dopants.
Un an plus tard, en novembre 2015, à quelques semaines du Championnat d’Europe de cross d’Hyères, la même opération a été montée pour Clémence Calvin, également à Font Romeu, Elle reçoit au petit matin la visite d’un préleveur AFLD et des gendarmes de Prades. Des faits qu’elle confirme lors de sa conférence de presse. Une opération qui ne mène nulle part.
Toutefois quelques années plus tard, l’union sacrée AFLD/OCLAESP n’a pas fonctionné autour de Clémence Calvin. L’OCLAESP était partisane d’une opération large, englobant l’athlète, son compagnon, et permettant de remonter sur d’éventuels fournisseurs. L’AFLD et son directeur des contrôles, Damien Ressiot, souhaitaient taper fort, avec dans le viseur, le marathon de Paris, où la qualification pour les JO de Tokyo apparaissait très à la portée de la jeune femme.
Un athlète dopé a-t-il donné son adresse ?
En final, en coup de force, l’AFLD a effectué un contrôle anti-dopage. Grâce à un sacré joker, celui de la localisation exacte de Clémence Calvin à Marrakech, obtenue grâce à une information d’un athlète, mis en cause dans des faits de dopage.
Celui-ci aurait ainsi fourni l’adresse du logement qui était prêté au couple Calvin-Dahmani. Il ne restait plus qu’à la « cueillir » pour un prélèvement, mais l’affaire tournait mal, avec cette fuite qui empêchait le contrôle d’être effectué.
Les arguments délivrés par Clémence Calvin cette semaine à son retour du Maroc n’ont pas convaincu dans le monde du running. Des préleveurs travestis en faux policiers. Des préleveurs violents. Un enfant blessé et choqué qu’on emmène juste à la pharmacie, puis au restaurant, et qu’on couche à minuit. Une plainte qui n’est déposée que 12 jours après cet incident. Une Fédération qui n’est pas informée de ce grave problème.
Au Conseil d’Etat, Clémence Calvin n’a pas dérivé de sa version. Elle a été agressée. Elle est victime du harcèlement des journalistes. Et c’est d’ailleurs sur la base des articles de presse parus après qu’elle ait renoncé à son record de France que le tribunal de grande instance de Marseille s’est décidé à ouvrir une enquête contre elle, avec la suspicion de détention de produits dopants.
Les lanceurs d’alerte réagissent à ses performances
Le terme de suspicion s’applique parfaitement pour Clémence Calvin. Toute son année 2018 a été scrutée à la loupe par moult spécialistes, estimant que les résultats affichés manquaient de cohérence.
Dès le mois de mars 2018, des informations étaient parvenues aux gendarmes de l’OCLAESP pour attirer leur attention sur le come-back de Clémence Calvin après sa maternité. Trois semaines après le France de cross, où elle a fini 7ème, elle boucle le mondial de Semi-marathon en 1h11’51 », à quelques secondes de son record personnel.
Yoyos chronométriques et physiques
Surtout la démonstration apparaît éclatante à la mi-juin 2018 lorsqu’elle établit le record de France de 31’20’’ à la mi-juin 2018. Plusieurs lanceurs d’alerte se manifestent alors pour réfuter le caractère possible de ce chrono, et pointer aussi du doigt sa très brutale perte de poids. Les plus avertis établissent des analyses de performances et dressent un panorama de son entourage. La tension monte après son titre de vice-championne d’Europe de marathon, et son chrono de 2h26’, qui interroge pour une première expérience, et de plus en grand championnat. En parallèle, son absence du groupe cible AFLD interpelle. Elle se voit ainsi totalement libre de ses mouvements sans aucune obligation de se localiser jusqu’au début septembre 2018.
La fin d’année 2018 ne contribue pas non plus à diminuer le scepticisme, avec des chronos la ramenant à un simple niveau national. Sa piètre prestation au Cross d’Allones, et surtout son résultat à la corrida de Houilles en décembre interpelle avec près de 3 minutes d’écart sur son record de France de juin.
Ces yoyos chronométriques et physiques alimentent les questionnements de certains. Au semi de Paris, son chrono de 1h10’15’’ signifie une quasi résurrection de la jeune femme après près de sept mois de grande disette… Le pronostic d’une marque sous les 2h25’ pour le marathon de Paris apparaît plus que réaliste. Qu’en sera-t-il ce dimanche 14 avril ?
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : Gilles Bertrand