A quelques mois de leur fin de suspension, c’est la justice qui a rattrapé Clémence Calvin et Samir Dahmani. Le couple a été placé en garde à vue à Marseille durant 48 heures, dans le cadre de l’enquête lancée en mars 2019 pour infraction à la législation sur les produits dopants. Une procédure très longue qui s’est justement accélérée à la perspective d’un come back de la marathonienne pour les Jeux Olympiques de Paris 2024.
Quatre ans d’une enquête très discrète ont brusquement émergé au grand jour avec le placement en garde à vue de Clémence Calvin et Samir Dahmani. L’information a été révélée par Romain Donneux de l’Equipe, et confirmée ensuite par d’autres sources. Le couple Calvin-Dahmani a ensuite passé deux jours en garde à vue, les mercredi 2 août et jeudi 3 août. Avec en objectif, une mise sous pression forte pour obtenir d’autres éléments pour la procédure.
Une accélération tardive mais brutale qui crée sensation alors qu’il semblait, encore très récemment, que l’enquête débutée en mars 2019 demeurait en stand by complet. Mais au Pôle Santé Publique de Marseille, diligentateur de l’instruction, il est apparu urgent d’intervenir à quelques mois de la reprise sportive de Clémence Calvin.
C’est le 17 décembre 2023 que s’achèveront les quatre ans de suspension de la marathonienne et de son compagnon, Samir Dahmani. Si pour Samir Dahmani, il semble peu question d’une reprise sportive, la situation n’est pas la même pour Clémence Calvin.
Clémence Calvin prépare son retour
Les témoignages sont nombreux pour confirmer qu’elle se prépare déjà depuis plusieurs mois pour un come back, avec en ligne de mire la qualification pour les JO de Paris 2024. Dès l’été dernier, elle était apparue à Font Romeu, pour des footings. Mais c’est surtout une photo publiée sur les réseaux sociaux qui avait confirmé sa présence en entraînement aux côtés de Samira Mezeghrane, Fatiha Sanchez, toutes les deux vétéranes très performantes et Nora Vicancos-Boudhiaf, 50 ans, ancienne internationale sur 800 m, présente dans quelques compétitions en 2021.
L’Agence Française de Lutte contre le Dopage avait d’ailleurs saisi cette occasion pour la réintroduire en octobre 2022 dans le groupe cible contraint à une localisation quotidienne. Car dans un premier temps, au printemps, Clémence Calvin avait soutenu à l’AFLD qu’elle avait définitivement renoncé à toute carrière sportive pour se concentrer sur son rôle de mère de deux enfants et sa profession.
Une affirmation démentie à la fois par son physique très affûté et par les propos vindicatifs qu’elle a pu tenir auprès de diverses personnes. Elle n’y dissimulait pas son esprit de revanche pour revenir au plus haut niveau, et son animosité contre les médias, estimant avoir été harcelée.
Le refus de contrôle à Paris confirme les soupçons de l’OCLAESP
Or justement, l’enquête ouverte en mars 2019 par le parquet de Marseille l’avait été à la faveur de la polémique autour de son record de France du 5 km réalisé le 10 mars 2019 durant le semi-marathon de Paris. Clémence Calvin avait renoncé à l’homologation de ce record pour ne pas se soumettre au contrôle anti-dopage exigé. Le 15 mars 2019, SPE15 dévoile cette information, qui sera alors reprise par de nombreux médias. En toute logique puisque Clémence Calvin est vice-championne d’Europe du marathon depuis l’été 2018, qu’elle vaut 2h26’ sur marathon et qu’elle veut se qualifier quelques semaines plus tard à Paris pour le marathon olympique de Tokyo.
Mais ce refus de contrôle et son relais médiatique constituent seulement le « petit plus » pour que le pôle de Marseille se décide à ouvrir une enquête. Car en réalité, l’OCLAESP avait commencé à constituer un dossier sur Clémence Calvin depuis le printemps 2018, à la faveur d’informations transmises par des lanceurs d’alerte, ulcérés de constater la puissance du retour de Clémence Calvin après sa maternité. A peine de retour, elle avait terminé 7ème au France de cross, puis réalisé 1h11’ au Mondial de Semi-marathon, puis le record de France du 10 km (31’18’’). L’OCLAESP sollicite alors de nombreux informateurs pour dresser une situation complète de l’implication du couple dans le domaine du dopage, car Samir Dahmani se voit relié à plusieurs relations douteuses. Avec en filigrane, la conviction que la surveillance du couple pourrait permettre de déboucher sur une affaire beaucoup plus vaste.
Toutefois les choses sont s’emballer avec la décision de l’AFLD de procéder à un contrôle sur place à Marrakech, où Clémence Calvin est en stage pour quelques semaines avant le marathon de Paris. Damien Ressiot, patron de l’époque du département des contrôles, Olivier Grondin et une jeune préleveuse se rendent eux-mêmes sur place et s’en suivra un contrôle rocambolesque où Clémence Calvin prend la fuite pour éviter de fournir ses échantillons.
L’OCLAESP veut attendre, l’AFLD veut agir
L’épisode provoque alors de fortes tensions entre l’OCLAESP et l’AFLD. Les gendarmes de l’Office n’apprécient pas que ce contrôle brouille leur enquête. Pour eux, il était primordial de laisser Clémence Calvin et Samir Dahmani poursuivre leurs mauvaises pratiques pour pouvoir remonter la chaîne des pourvoyeurs. Mais à l’AFLD, la justice sportive prime, et le plus urgent était bien de stopper la jeune femme dans son accumulation de performances.
Deux versions qui s’opposent, mais le temps de la rancœur passé, l’enquête des gendarmes va s’alimenter avec les informations collectées par l’AFLD pour confirmer les dérives du couple. Avec en particulier la mise en évidence de mouvements de fonds suspects sur leurs comptes bancaires. Un élément troublant qui s’ajoute aux découvertes effectuées durant la perquisition d’avril 2019 à leur domicile de Martigues. Des produits médicamenteux, vitamine C, Fer, non dopants, mais suspects car potentiellement utilisables en parallèle d’une cure d’EPO, y trônent aux côtés de matériel d’injection par intraveineuse d’ordonnances vierges à l’entête d’un médecin de Montpellier, très proche du club de Martigues, et connu justement pour sa facilité à effectuer des injections de fer.
Une fin d’enquête en pleine période JO ??!!
L’OCLAESP poursuit alors ses investigations et auditions, mais la justice ne bouge pas jusqu’à ce début août 2023. Le pôle de Marseille a réalisé récemment que le scandale serait vraiment énorme dans le cas où l’enquête aboutirait lorsque Clémence Calvin serait en pleine reprise, voire même qualifiée pour les JO de Paris 2024.
Avec des Jeux à domicile, l’emballement médiatique sera encore plus fort qu’habituellement, et Clémence Calvin bénéficierait à coup sûr de l’écoute attentive de médias peu scrupuleux de l’éthique sportive. Les donnes sont évidemment modifiées avec cette garde à vue qui propulse à nouveau son nom dans la rubrique Dopage.
Sur un plan strictement judiciaire, quels sont les risques encourus par Clémence Calvin et Samir Dahmani ? Il est évidemment bien trop tôt pour les évaluer, sans connaissance précise des faits reprochés. A titre de comparaison, Laila Traby, qui avait été positive à l’EPO en novembre 2018, a été jugée, également, à Marseille pour détention et acquisition de produits dopants, avec en final une peine d’un an de prison avec sursis et 3000 euros d’amende. Ses deux complices, Salim Ghezielle, son manager, a reçu 18 mois de prison dont 12 avec sursis et 3000 euros d’amende, et Charaf Belamkaddem, son masseur, (il a été également celui de Clémence Calvin !) a reçu 18 mois de prison avec sursis et 3000 euros d’amende.
Mais tout de même, ces peines ont été prononcées huit ans après les faits !
- Analyse : Odile Baudrier
- Photo : G.B.