Entraîneur au pôle demi fond de Montpellier et au Montpellier Agglo Athlétisme Méditerranée, Sofiane Alkhaliki est également médiateur social. Dans l’une des cités les plus difficiles de Montpellier, il a créé une sous section d’athlétisme au Petit Bard en s’appuyant sur la notoriété d’Hamid Oualich, originaire de ce quartier et grand espoir du 800 qui se relance en vue des J.O. de Rio. Rencontre.
La rencontre a lieu Maison pour Tous, quartier Petit Bard. Un vendredi ordinaire, jour de prière, le Petit Bard est en éveil. Un livreur de pizza Kosmos fonce dans la poussière, une nuée d’ados s’accrochent aux grilles de la médiathèque, la mosquée Abdou Sina se vide, c’est la plus vaste de Montpellier avec ses 2000 fidèles, la plus influente aussi, la plus turbulente aussi.
Sofiane s’est garé au parking du Géant Casino. Il est arrivé en s’excusant d’un léger retard. Nous avons marché. Rue des Araucarias, le long du dernier immeuble à raser puis à reconstruire dans cette cité construite début des années 60 qui, au fil des décennies, s’est paupérisée. Le Petit Bard, c’est un ghetto ethnique, environ 5000 habitants, une population à 60% au chômage, 95% des enfants d’origine marocaine, dont pour nombre d’entre eux, le français n’est que la troisième langue après l’arabe et le berbère. Les tensions y sont vives parfois extrêmes. Régulièrement la police se prend des volées de caillasse, les trafics se lisent à ciel ouvert et depuis un mois, des mères de famille ont pris en otage les écoles du quartier pour dénoncer l’inexistence de mixité sociale. Régulièrement, elles sortent les banderoles, deux piquets, un drap blanc, de la peinture rouge, pour crier leur colère, « les exclus de la République », « Mixité bla bla », « école ghetto », les messages sont clairs, aux abords du collège Las Cazes, l’horizon est sombre.
Passé la rue des Araucarias, nous débouchons sur l’avenue du Petit Bard puis la rue des Aconits. Aux abords de la boucherie Bouazza, ça discute, des jeunes hommes assis sur des chaises de plastique blanc. « salem, salem », Sofiane précise « ici, c’est le nom de code ». Nous croisons Azdin, il traîne dans le quartier « salem, salem ». Ca discute. Sofiane le médiateur social souffle « il avait tapé dans l’œil de Jocelyn Pia, mais ça n’a pas suivi ». Plus loin, un jeune homme se penche à l’oreille de Sofiane « salem, salem ». Il vient juste de sortir de prison, il cherche un stage, un quelque chose pour signifier au juge que le chemin se redresse devant lui. Sofiane commente : « il a fait une bêtise, il veut se racheter ». A l’ombre d’un immeuble en construction, un maçon sort, le casque sur la tête. Sofiane lui tape dans les mains « salem, salem ». C’est un footeux, il s’est battu pour trouver un emploi dans le quartier. Il était de ceux qui ont bloqué les chantiers pour que soit respectée la règle des 20% des postes revenant aux jeunes de cette zone défavorisée. Nous passons devant le groupe scolaire, Sofiane Alkhaliki s’arrête presque pour expliquer : « J’aime le terrain. Ici tout le quartier se sent seul. On voit le découragement. On intervient comme solutionneur de problèmes. Nous, nous ne sommes pas des politiques, nous, on doit proposer une possibilité de solution à leurs problèmes. Les jeunes existent avec leur force. Il faut établir des liens comme avec les entrepreneurs, les institutions ».
Lorsqu’il parle, on reconnaît bien, à demi cachées, de petites intonations qui ne trompent pas sur ses origines alsaciennes. Un peu de foot, un peu de boxe, un peu d’athlé, Sofiane est surtout un élève studieux. Il se voyait prof de sport mais le père, originaire de Errachidia au Maroc, voit plus grand pour son fils « alors j’ai fait droit ». Pour cela, il quitte son quartier, la cité des Ecrivains à Schiltigheim car « j’étais un des seuls à penser à ne pas traîner ». Alors, entre la fac d’ASSAS et Montpellier, il choisit le soleil et reprend l’athlé. 3’48’’ au 15 et un diplôme d’entraîneur en poche, un jour, il croise Mehdi Baala, ils sont de la même génération. Il lui lâche « Ah, tu fais de l’athlé maintenant ».
Cet emploi de médiateur social, Sofiane Alkhaliki se l’est construit. Trois années de tractation, de négociation avec les pouvoirs publics et son club, le MAM. On lui rabâchait « tes jeunes, ils vont mettre le Bronx ». Finalement, Sofiane articule son projet avec un exemple en tête, celui de Jean Michel Dirringer, l’entraîneur de Mehdi Baala qui fut en son temps un précurseur dans la cité troublée de Hautepierre à Strasbourg.
Il lui donne également du sens en créant une sous section du M2AM au cœur même du Petit Bard « à l’époque je m’entraînais avec Mustapha Oualich qui fut champion de France de steeple et j’ai connu tout petit son frère Hamid qui s’entraînait avec Rachid Esmouni. Cela avait donc du sens. Ils étaient des têtes de proue pour le quartier ».
Nous revenons sur nos pas, nous longeons à nouveau les bâtiments de la rue des Araucarias. Au 8, les volets sont tirés, c’est là que Hamid Oualich résidait, il y a encore peu, face au petit marché et ses boutiquiers. Sofiane parle de Hamid ainsi : « Il est devenu comme un petit frère. Je l’ai suivi dans le bon et le pire. Il n’a pas su se prendre au sérieux et il n’a pas été suivi par les institutions. C’était un électron libre. Aujourd’hui, je le trouve plus sérieux, plus posé avec plus de maturité ».
Hamid Oualich devait être présent au rendez vous. En urgence, il s’est envolé pour le Maroc, le pays de ses racines, le pays pour lequel il pourrait prétendre à une qualification pour les J.O. de Rio. La fédération Française d’Athlétisme ne l’a pas retenu, elle lui a signé sa lettre de sortie. Mehdi Baala est intervenu dans le débat « il faut lui donner la possibilité de choisir ».
Le grand espoir du 8, finaliste aux Europe de Barcelone en 2010 et un record à 1’45’’96 en 2012 à Ostrava, avant l’arrivée de la comète Bosse, s’est donc relancé, toujours entraîné à distance par Jean Baptiste Congourdeau et chaperonné par Sofiane Alkhaliki. Après des années yoyo, écartelé entre deux mondes, celui de l’athlé de haut niveau, celui du quartier où il a investi dans un snack, le Minute Burger au coin de la rue Paul Rimbaud, managé par trois salariés. Il vient d’enchaîner deux stages, Ifrane puis Font Romeu. La réponse est pour bientôt.
Sofiane reçoit des coups de fil, il est en retard. Nous fonçons pour rejoindre le petit stade Alain Delylle, un écrin de verdure dans le quartier des Cévennes. Une piste de 333 mètres, sa tribune en ciment, un gymnase, le tout adossé au lycée Jules Guesde. Le camion de Sport Hérault diffuse de la dance Fun Radio. Sur la piste, sur la pelouse, des scolaires se défoulent à des jeux de ballons, à des initiations. Tout ce petit monde se retrouve pour partager des biscuits, on leur offre une casquette orange. Fin de semaine, les instits rassemblent leur ribambelle. Le stade retrouve son calme.
Ali Oussaa est président de la section athlé du Petit Bard. Cet entrepreneur en maçonnerie nous attend en compagnie d’Abderramane Anou, un espoir algérien du 1500 nouvellement licencié au M2AM et de Nasreddine Khatir, sélectionné aux Europe espoir sur 800 en 2015. Ali Oussaa, c’est le beau frère d’Hamid Oualich, c’est aussi un militant engagé dans le quartier de la Paillade, comme membre du Conseil Citoyen, de l’association des 4 Chemins et de Ecole et Familles. Il nous prend en photo, on se prend par les épaules, c’est pour Facebook. Ali explique : « On travaille pour la mixité sociale et contre les discriminations raciales, pour faire sortir les jeunes, comme d’organiser des rencontres avec les villages pour des classes de CM2». Il ajoute : « Pour rapprocher les entreprises avec les jeunes qui errent dans le quartier. Pour profiter de la zone franche, car encore aujourd’hui, ce n’est que du virtuel ».
Il s’est engagé dans le projet de Sofiane « pour créer des vocations, pour que les parents s’engagent. Là aussi, le projet, c’est la mixité sociale pour que les jeunes du quartier cohabitent avec les jeunes du M2AM». Aujourd’hui, cette section, ce sont 30 adhérents, 9 licenciés, un ambassadeur avec Hamid Oualich et un médiateur-entraîneur avec Sofiane qui auprès des élus, de la préfecture, des institutions joue de toutes ses casquettes pour faire avancer les dossiers « je pense que l’on est moins découragé, moins révolté que les éducateurs de quartiers car nous on vient du M2AM. Si je n’étais que du Petit Bard, je n’aurai pas la même écoute».
La première réussite de ce « petit » club, avoir permis à deux jeunes de rentrer au centre Sport Etudes de Gilles Garcia. Des cadets qui ont le potentiel pour disputer le championnat de France et en capacité de rentrer en seconde. Il s’agit de Souheil Bel Fassi et de Ibrahim Oussaa, le fils de Ali, le président du club et neveu d’Hamid Oualich. Sur la piste, tous les deux réalisent quelques éducatifs. Sofiane simule des montées de genoux pour leur expliquer le bon geste. L’entraîneur croit en eux mais plus que tout c’est « créer de l’activité » qu’il veut pour ces jeunes.
Nous sommes la veille du meeting de M2AM, Souheil Bel Fassi a un 1000 au programme. A grands pas, Sofiane compte 67 mètres pour se situer au 1000. « Relâche toi, relâche toi ». le coach observe, il ajoute «parfois, on a envie de crier, il ne faut pas perdre espoir, le chantier est immense ».
> Texte et photos Gilles Bertrand