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Chaltu Negasa, première Ethiopienne victorieuse au France de cross

Chaltu Negasa est la première Ethiopienne à s’imposer à un Championnat de France de cross, où elle remporte le cross long devant Christelle Daunay, la championne de France. Cette jeune athlète de 24 ans évolue depuis deux saisons sous les couleurs de l’Amicale Athlétisme du Roumois dans l’Eure, un nouveau club à la recherche de reconnaissance.

Chaltu Negasa

Chaltu Negasa

Au fil des années, les victoires de coureurs étrangers se sont succédées sur les Championnats de France de cross, et l’édition 2016 n’a pas fait exception, avec sur le cross court, le Belge Tarik Moukrine et la Tunisienne Habiba Ghribi, qui a si souvent brillé sur le cross long dans le passé.

Mais pour la première fois, une Ethiopienne apparaît sur le podium d’un France de cross long. Avec cette victoire, Chaltu Negasa crée une certaine surprise. Après un hiver très dominateur dans les grands cross, la Kenyane Susan Jeptoo était plus attendue. Finalement, celle-ci se blessait au dos sur les passages de troncs d’arbre durant la course, et c’est la jeune athlète originaire d’Assala, village de référence pour l’athlétisme éthiopien, qui s’est illustrée sur ce parcours de St Galmier.

A ses côtés, un homme discret ne dissimule pas sa satisfaction devant cette réussite. Jean Marc Fernandez en est en grande partie le maître d’oeuvre. C’est lui qui a été l’instigateur de la venue en France de Chaltu, à la demande de son ami éthiopien de longue date, Getinet Gedamu, qu’il avait rencontré il y a près de 10 ans sur un stade à St Ouen l’Aumône, et avec lequel il est parti à la découverte de l’Ethiopie il y a trois ans.

Au printemps 2016, Jean-Marc Fernandez accepte de prendre sous son aile Chaltu, pour lui permettre de courir en France. Elle a bien effectué sa première course internationale, en 2013, au semi de Lille, où à 19 ans, elle établit son record sur la distance, en 1h13’42’’, mais elle est ensuite restée près de trois ans sans sortir d’Ethiopie. Comme l’explique Jean-Marc : « En Ethiopie, elle n’est pas assez forte pour qu’un manager s’intéresse à elle ».

Un an plus tard, les donnes ont changé. Chaltu Negasa enchaîne les victoires et podiums à travers toute la France. En deux sessions, printemps et automne, elle dispute 24 épreuves, sur 10 km, semi, et cross, et a retenu l’attention de la manager italienne Monica Pont Chafer, qui va désormais gérer sa carrière. Jean-Marc Fernandez a lui-même été recruté par l’Italienne pour l’épauler pour le transport de ses athlètes sur les compétitions en France.

L’ancienne marathonienne espagnole reconvertie dans le management en Italie voulait alors prendre de la distance avec Salim Ghezielle, mis en cause dans l’affaire du dopage de Laila Traby, qui avait joué ce rôle pour elle pendant quelques années.

Jean Marc Fernandez s’est mué en assistant pour ces Ethiopiens. « Par passion », me précise-t-il, m’affirmant effectuer cette mission bénévolement. Ce coureur à pied les héberge aussi occasionnellement dans sa maison du Val d’Oise, alors que Chaltu Negasa, son amie Adanech Mekonnen, et le jeune Gekinet, y vivent durant leurs longs séjours.

Au nouveau club du Routot, commune rurale de 400 habitants

Une relation plus privilégiée s’est nouée avec Chaltu Negasa. Et c’est ainsi qu’il incite les deux jeunes femmes à prendre une licence dans l’Eure, au club de l’Amicale Athlétisme du Roumois, un tout nouveau club, il a été créé au printemps 2016, à l’initiative de Stéphane Liaudet, l’ancien président du club de Val de Reuil.

Son départ de Val de Reuil vers Routot, petit village de 300 habitants, n’a pas diminué ses ambitions. Au contraire. Stéphane Liaudet ne rêve que de revivre les grands moments connus dans son ancien fief, et la victoire de Chaltu Negasa à Saint Galmier l’a sublimé, comme il me le confie : « J’avais connu un titre de champion de France au VRAC. Quand on a connu ça, vous voulez vivre encore ces émotions ! C’est la récompense du travail fourni. »

Chaltu Negasa, aux côtés de Christelle Daunay et Sophie Duarte

Chaltu Negasa, aux côtés de Christelle Daunay et Sophie Duarte

Et surtout pour ce nouveau club, une belle image et un excellent outil de communication. Stéphane Liaudet m’explique : « A Val de Reuil, le club était passé de 274 à mon arrivée à 650 à mon départ, en 7-8 ans. Mais ici à Routot, le temps me manque. Il faut se faire connaître pour aller chercher les partenaires privés, montrer aux partenaires publics que nous réussissons. Et c’est bien aussi pour les jeunes du club ».

Si à Routot, Stéphane Liaudet part de zéro pour créer cette nouvelle structure, il ne manque pas d’ambitions, et applique dans ce nouveau cadre les recettes pratiquées durant sa présidence de Val de Reuil, comme l’intervention en milieu scolaire, la définition de conventions d’accompagnement des jeunes talents éventuels, dans leur scolarité ou formation, le recrutement d’athlètes de haut niveau, la formation de juges et d’entraîneurs.

Il dispose tout de même au Routot d’un sacré atout : une piste d’athlétisme rutilante, créée à l’initiative d’Hervé Morin, et qui était jusqu’alors inexploitée. Sa rencontre avec le Président de la Région lors du Téléthon 2015 l’incite à tenter l’aventure d’optimiser ce bel équipement, et lui offre la porte de sortie du club de Val de Reuil, où il estime que le climat local s’est dégradé suite à des élections municipales tendues.

Au Routot, d’autres compétences le rejoignent, comme Michel David, ancien dirigeant de Rouen, l’ex-sprinter du Val de Reuil, Emmanuel N’Gom Priso, l’entraîneur Frédéric Deglos. En quelques mois, il compte déjà 120 licenciés, et l’objectif est de monter à 250 dans un an. Une équipe de jeunes du village se forme et deux juniors vont jusqu’au Championnat de France de cross.

Les Ethiopiennes paient leur licence à Routot

Pour ce France de St Galmier, ce petit club peut compter sur ses deux Ethiopiennes pour faire briller ses couleurs. Les jeunes femmes ne sont pourtant que très rarement présentes dans ce petit village de l’Eure, elles rechignent à quitter leur fief du Val d’Oise. C’est sur la proposition de Jean-Marc Fernandez qu’il connaissait depuis quelques années après une rencontre au marathon de Sénart que Stéphane Liaudet a intégré Chaltu Negasa et Adanech Mekonnen. Sans aucune contrepartie financière, m’affirme-t-il : « Le club n’a pas d’argent ! »

negasa peloton

 

Alors, pourquoi ces athlètes se licencient-elles en France ? Jean Marc Fernandez m’explique : « C’est plus simple pour les inscrire sur les compétitions, elles n’ont pas besoin de certificats médicaux, les organisateurs peuvent facilement vérifier leurs performances ». Et bien sûr, les visas s’avèrent plus faciles à obtenir, avec par exemple pour Chaltu, un visa d’une durée de six mois.

Elles peuvent ainsi aisément effectuer de belles campagnes en France, puisque comme l’admet Jean Marc Fernandez, les séjours de ses protégées obéissent à une seule stratégie, celle d’accumuler le maximum de primes… Sa licence française va aussi permettre à Chaltu Negasa de s’adjuger la 3ème place du challenge FFA de cross, et les 1500 euros qui l’agrémentent.

Après cette ultime épreuve hivernale, Chaltu a remis le cap sur l’Ethiopie, pour y disputer l’une des rares épreuves organisées dans ce pays, sous les couleurs de son club éthiopien. Elle sera de retour en France au printemps, pour les Interclubs, et le Président Liaudet ne dissimule pas ses attentes pour ce sacro-saint rendez-vous des clubs français…

 Texte : Odile Baudrier
 Photo : Gilles Bertrand