Le championnat de France de cross disputé à Castres en mars 1995 restera gravé dans les mémoires des coureurs et des spectateurs présents ce jour là. Car les conditions furent dantesques. Et dans ce torrent de boue, c’est Bertrand Fréchard qui l’emporte au terme d’une course épique.
Il n’y a pas de cross sans boue ! Très franchement laissons ce débat aux puristes des labours, nostalgiques d’un temps qui franchement, n’a jamais existé.
Mais du cross avec de la boue ! Alors là oui ! C’est sacrément bien. Car quel spectacle où acteurs et spectateurs ne font plus dans la nuance. Guerre de tranchées, maquisards, barbouzes, batailles de Verdun, Berezina et j’en passe, du vrai cross quoi ! Lorsque la boue s’invite au festin du cross, il n’y a plus de retenu pour s’enflammer, s’enthousiasmer. Pour jongler avec les mots et anoblir aussitôt ces faits d’armes comme de vraies légendes.
Ils étaient tous là, les Chauvelier, Thiébaut, Le Stum, Arpin, Essaïd, Sghyr, Zeroual, Ezzher, El Amadi, Pantel en moustachu mousquetaire, même le vieux Ahmed Salah toujours combattant vaillant (toujours la même rhétorique !) était là et un certain Fréchard.
Avant eux, hommes et femmes ont creusé, labouré, miné ce champ de cross. Puis la pluie est arrivée. Pissant dru sur ce golf, sur la tête des coureurs et des spectateurs planqués sous de larges parapluies. Un Alex Gonzalez enturbanné gagnait chez les vétérans, un Benoit Z déjà rasé de frais chez les juniors alors que chez les cadets, Chouki, Tahri et Baala formaient déjà un trio infernal. Quant à Annette Sergent, de rouge vêtue, mais maculée de boue, elle sortait le grand jeu pour s’affranchir.
Mais l’homme du jour fut Bertrand Fréchard. Il n’est que 16 heures, la dernière course. Le jour est bas, le ciel est en rase motte. Tout est gris, sombre, noir. La pluie, la boue inondent le golf de Castres. Les spectateurs en oublient qu’ils ont froid, qu’ils sont trempés, qu’ils sont crottés jusqu’aux genoux car devant eux, c’est le cross du siècle qui se joue.
Ce n’est pas un flambeur même s’il rêve de posséder une Porsche
Ils étaient persans, ils ne sont que charolais maculés de boue. Ils portent tous des casques de boue sur la tête, les shorts pèsent le poids d’une aube détrempée. Ils sont missionnaires. Des croisés. Chevaliers du temple, d’un cross qui par la grâce du ciel est renaissant.
La course est attentiste, chacun a peur pour ses fesses. Les masques se creusent, le groupe se délite. Certains résistent. Chauvelier fait le métier avec dans sa foulée Didier Sainthorand, Jean François Bertron, Cezar Guyto et Mikael Dufermont. Puis ils ne sont plus que trois, Mustapha Essaïd qui va perdre son titre conquis à Vittel, un Pantel en pleine renaissance après des mois de poisse. Mais il est trop attentiste face à un Bertrand Fréchard qui a mis un turbo dans son moteur. L’expression est toute trouvée car le Vosgien aime la bagnole, les rallyes, quand ça dérape et que ça dégage. Il aime Didier Auriol. Comme le pilote millavois, c’est un teigneux. Ce n’est pas un flambeur même s’il rêve de posséder une Porsche et mettre U2 à fond dans la caisse.
A Castres, Bertrand Fréchard a joué les Auriol. Michel Delaby son entraîneur avait raison, il peut devenir international. Ce jour là, au pied du podium, les parents ont pleuré, la copine aussi, c’était son anniversaire. Le frangin lui est tombé dessus et tout le club du CS Etival. Des pleurs, des rires mélangés à la boue. La pluie avait cessé. La nuit était déjà tombée. Une légende était née.
> Texte et galerie photos Gilles Bertrand