Il est très rare que Bruno Le Stum s’exprime sur son passé d’athlète de haut niveau. Car en 1999 après avoir été sacré champion de France de cross chez les VH, il décide de tourner la page pour se consacrer à sa carrière de pompier professionnel dans les quartiers Nord de Montpellier et assouvir sa passion pour les arts martiaux. Flash Back sur une carrière prolixe sur les trois fronts, la piste, le cross et le marathon.
Nous sommes en 1988. Certes les mesures de sécurité ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui. Mais n’empêche, Loulou Nicollin est un malin. Au stade d’échauffement de l’enceinte olympique de Séoul, il se faufile pour encourager son poulain. La demi-finale du 3000 mètres steeple est proche. Bruno Le Stum se souvient : « Il est venu m’embrasser ».
Louis Nicollin n’est pas encore le personnage public que les médias sportifs s’arrachent. Sa réputation d’investisseur, de magnat du foot et de provocateur à coup de vannes homophobes reste à construire. Son petit empire prend du volume avec pour base le Montpellier Paillade Sport Club qu’il rachète en 1974. Et c’est au sein de cette structure qu’il crée une section athlétisme. Le normand Bruno Le Stum, il venait de disputer les Mondiaux de 1987, est ainsi l’un des premiers à rejoindre ce club du Sud dont les ambitions sont avouées. « J’avais le choix entre le Racing et Montpellier, j’ai choisi ce club car je pouvais garder mon métier de pompier. Il était dans l’évolution logique de l’athlé». D’autres vont suivre, Monique Ewanje Epée, Raymond Pannier, Nadia Ouaziz. Une époque bénie ? Presque, Bruno Le Stum ajoute : « Louis Nicollin était un mécène, il était très passionné, c’était un homme de cœur ».
1987, le cross français est dominé par Paul Arpin. A Pascal Thiébaut le 15, quant au steeple, le fauteuil est à prendre alors qu’un Joseph Mahmoud médaillé d’argent à Los Angeles prend de l’âge. Au bord de la rivière, deux hommes chassent dans les mêmes eaux, Raymond Pannier et Bruno Le Stum.
Bruno Le Stum, c’est l’athlé des 4 x 15, c’est l’athlé des soirées St Maur : « Christian Geffray était notre locomotive avec Sylviane Lévêque. On montait souvent à St Maur, on faisait des allers et retours. C’est comme cela que l’on a progressé ». Puis il ajoute comme pour s’excuser : « Ma carrière, ça fait partie de mon passé, ça fait nostalgie. A vrai dire, je n’ai plus de lien avec le milieu ».
La carrière de Bruno le Stum fut longue. Pour ne faire aucune erreur, il sort une feuille résumant celle-ci, 24 sélections, 26 ans de carrière, 15 ans en équipe de France et deux records à son actif, 8’13’’80 à Koblenz mais il manquait une barrière, la première, et 8’15’’28 à Nice en 1991, le vrai avec 35 barrières. Une carrière longue qu’il explique par un démarrage en douceur, des années juniors à ne pas dégainer « Je n’étais pas feignant mais je n’aimais pas trop les kilomètres ».
Il met finalement un doigt sur la gâchette au France de cross organisé au Touquet en 1984, 13ème, aux portes de l’équipe de France « Ca m’a propulsé » vers une carrière internationale du cross au marathon, pour cet autodidacte de l’entraînement « C’était empirique mais j’avais confiance en ce que je faisais ». Et ça marche, les titres nationaux s’accumulent, en cross et sur steeple, au total quatre sans oublier cette médaille d’argent par équipe au Mondial de cross de Boston en 1992. La plus belle ? Il n’est plus temps de faire le tri.
Je négociais mal les demi-finales, alors j’ai bifurqué sur le marathon
Quel bilan en tire-t-il ? « Oui, il y a un petit côté amer, un arrière goût de pas fini. J’aurais aimé avoir une médaille individuelle. Sans le dopage qu’aurions-nous faits ? Les meilleurs auraient-ils été vraiment devant ?» analyse-t-il. A Split, à Tokyo, à Rome, il y a toujours ce petit grain de sable qui bloque la machine ». Explication : « Je négociais mal les demi-finales, alors j’ai bifurqué sur le marathon ». Il réalise à Venise 2h 13’40’’ mais la distance ne convient pas à ce pompier pro qui n’a jamais cessé de travailler dans ces quartiers de la Paillade où les ambulances hurlantes sont régulièrement caillassées : »La distance rentrait bien dans ma physio, mais ce n’était pas compatible avec ma vie de pompier. Je travaillais sur les nerfs ».
En 1999, il met un terme à sa longue chevauchée, avec un dernier titre de champion de France, en cross, chez les vétérans, le cercle se referme, il peut dévisser les pointes. Pour penser à se faire plaisir, à sa famille, à son métier, il y a des galons à prendre. En 2000 et 2001, il s’offre deux belles virées en participant par deux fois au Raid Gauloise en Equateur puis au Tibet et se consacre enfin aux arts martiaux, le ninjutsu, une passion longtemps gardée secrète. Après 15 ans à esquiver sabres, couteaux et senbans, il est 2ème dam et élève instructeur.
Chez les Le Stum, il n’y a aucune photo au mur, ni coupes à astiquer, elles ont toutes été redonnées. Quant aux médailles, elles sont rangées, les rubans emmêlés. Cela fait dire à l’ancien international : « Je ne m’accroche pas à cela. Finalement, on banalise ». Une page s’est tournée. L’essentiel est ailleurs. Invité il y a deux ans pour les 40 ans du Cross Sud Ouest, dont il est le recordman des victoires, il n’a pas reconnu son petit monde. La course des AS est désolante, quelques Kenyans à l’avant puis le désert. Il demande à Thierry Watrice et à Eric Dubus, présents eux aussi : «Eh, pincez moi, c’était comme cela de notre temps ?».
> Texte et photos Gilles Bertrand
> En bref :
. 2 fois champion de France de cross en 1991 et 1999 (chez les VH)
. 2 fois champion de France du 3000 mètres steeple en 1990 et 1991
. Mondial de cross : 9ème en 1987, 11ème en 1989, 10ème en 1992. Médaillé d’argent par équipe en 1992 (au total 6 sélections)
. Championnats d’Europe : 8ème à Split en 1990 sur 3000 m steeple, 14ème en 1994 sur marathon à Helsinki
. Sélectionné aux Mondiaux sur 3000 m steeple en 1987 à Rome et en 1991 à Tokyo
. Jeux olympiques : demi-finaliste en 1988 à Séoul
. Record personnel : 8’15’’28 sur 3000 m steeple et 2h 13’40’’ sur marathon