2016, c’est la 20ème saison internationale pour l’américain Bernard Lagat. A Eugene, lors des sélections américaines, à 41 ans, Mister Master remporte le 5000 m et se qualifie pour ses cinquièmes Jeux Olympiques.
« Il veut bien parler de tout mais pas de dopage ». Telle était la réponse de James Templeton, le manager de Bernard Lagat à notre demande d’interview.
Car Bernard Lagat en avait soupé de réécrire son histoire, de s’excuser, d’esquiver la polémique, de se justifier après cette longue bataille le disculpant d’une affaire de dopage à l‘EPO survenue à quelques heures de l’ouverture des Mondiaux de Paris en 2003. Il sauve sa tête d’un cheveu après analyse de l’échantillon B qui lui est négatif. Il tire un rideau de fer sur cet épisode, seule ombre à son tableau de chasse qui aujourd’hui résonne encore comme une vieille douille ricochant sur le pavé.
Car Bernard Lagat est un guerrier des pistes. Et cette affaire de dopage n’est jamais bien loin, toujours à portée de main, le tiroir toujours entre ouvert, pour venir refroidir les ardeurs dès lors que le Bernard dégaine et met dans le mille.
Et encore une fois, à 41 ans (42 ans en décembre), Bernard Lagat a dégainé. Il a mis dans le mille et l’histoire de ce contrôle positif à l’EPO lui a été agitée sous le nez comme un vieux ticket de loto, peu après sa victoire aux trials.
Car le coureur américain, d’origine kenyane, a réalisé l’exploit de remporter les sélections américaines sur la distance du 5000 mètres. Le mot n’est pas trop fort, c’est un exploit, quitte à le répéter, car le vétéran du mile s’est qualifié pour ses cinquièmes Jeux Olympiques de suite. Deux fois sous le maillot kenyan, en bronze à Sydney puis en argent à Athènes puis trois fois sous le maillot américain après qu’il obtienne la nationalité US. Il se classe 9ème à Pékin sur 5000 m et 4ème à Londres sur cette même distance.
Cette longévité au plus haut niveau mondial est remarquable car depuis son arrivée aux Etats Unis comme étudiant à WSU, l’Université de l’Etat de Washington, il remporte en 1997 trois titres NCAA, il n’a jamais quitté la sphère mondiale accumulant cinq titres de champion du monde dont un doublé 1500 – 5000 en 2007 à Osaka et 11 podiums en championnats du monde (salle et été)
Entre 1998 et 2013, il a toujours couru le 1500 sous les 3’35’’ dont six années sous les 3’30’’ dont bien sûr 2001 et ses 3’26’’34
Mais les résultats de ce dur à cuire font débat car traverser ainsi le temps est toujours passé au crible de la critique. D’autant plus que Bernard Lagat n’a jamais connu le creux de la vague laissant penser que la fin approche. Quelques exemples, entre 1998 et 2013, il a toujours couru le 1500 sous les 3’35’’ dont six années sous les 3’30’’ dont bien sûr 2001 et ses 3’26’’34 à 34 centièmes du record du monde de Hicham El Guerrouj. Sur 5000 m, il compte six saisons sous les 13’ avec un record à 12’53’’60 en 2011. A 39 ans, à l’approche de la catégorie vétéran, il était encore crédité de 12’58’’99.
A 41 ans, ce professionnel des pistes qui aujourd’hui en est à sa vingtième saison internationale, a encore démontré que sa pointe de vitesse, sa soif de victoire, sa science de la course n’étaient pas émoussées. Bien au contraire.
En arrivant à Eugene pour les qualifications olympiques, personne n’aurait osé miser un billet vert sur le crâne luisant de Mister Master. En réalisant 27’49’’35 sur 10 000 en ce début d’année, il ne semble guère se soucier de cette ribambelle de coureurs américains sous les 13’30’’ qualifiés en cette année olympique pour les trials. Ils sont 16 dont le talentueux Hassan Mead, ce coureur d’origine somalienne crédité de 13’04’’17. Mais pour autant, personne n’aurait donné cher du scalp de Lagat. Sauf que ce renard des pistes a plus d’un tour dans son sac et dans une course faite sur mesure pour ses vieilles jambes, sur une base de 13’35’’, il exécute ses adversaires dans le dernier tour qu’il tourne en 52’’82 assorti d’un dernier 200 en 25’’2. Galen Rupp lâche prise, il ne termine que neuvième (ndlr : il remporte le 10 000 m de ces sélections et peut désormais prétendre courir le marathon et le 10 000 aux J.O.) et le jeune Eric Jenkins, nouvelle coqueluche du demi-fond US, passé pro l’an dernier, peut s’en vouloir de ne pas avoir osé. Pour six centièmes et malheureusement quatrième, il écope de la place du mort.
Bernard Lagat allongé sur le dos, les bras en croix, sur le tartan de la piste Bowerman pouvait savourer son extrême bonheur. Le vieux is not dead.
> Texte et photos Gilles Bertrand