A 69 ans, André Giraud a décidé de briguer la présidence de la Fédération Française d’Athlétisme. Issu de la course sur route, comme créateur de Marseille – Cassis, il a oeuvré au sein de la FFA, pour construire un athlé pluridisciplinaire et décloisonné. Loin d’une ligne puriste et technicienne de l’athlé, il veut jouer la carte d’une gestion moderne, sur des pratiques qui vont bien au-delà de la performance sportive sans renier les valeurs de l’associatif.
« 16 ans de présidence, c’est beaucoup, on prend des habitudes, on personnalise, des tensions naissent ». Didier Vareecke, l’ancien président de la Ligue de Bretagne, parle ainsi. Sa franchise, son franc parler sont connus, 20 ans en charge du sport UNSS, ça met en forme la façon d’exprimer des idées, ça ouvre les guillemets.
Nous sommes au second jour des championnats de France d’athlétisme organisés sur le stade d’Angers. Sur le ciment des tribunes, de quoi parle-t-on ? De la succession de Bernard Amsalem ? Evidemment.
Didier Vareecke est de ceux là. Le président du club de St Brieuc, 50 ans d’athlé sur son agenda, n’a pas toujours été dans le moule, dissident pas vraiment, bonnet rouge pas vraiment, mais opposant oui, quant il fut nécessaire de parler au nom de la province, des oubliés, la France des petits juges, le râteau à la main en fond de bac à sable, la France des entraîneurs du mercredi après midi qu’on n’appelle pas coach. « Paris, c’est toujours loin, la Fédé, c’est toujours loin, les décisions, c’est toujours loin » cette phrase résonne comme un début de discours électoral pour exprimer ce fossé, ce labyrinthe qui existe entre la maison mère et ces 2200 officines locales, clubs nourriciers de la FFA.
La dialectique est rodée. Didier Vareecke, de par ses fonctions pédagogiques comme prof, affiche un petit côté idéologue du sport. Un esprit Jean Marie Brohm flotte derrière ces mots « Il nous faut un autre type de gouvernance. Il nous faut redonner à la fédération une dimension participative. Le mot clef, c’est la gouvernance partagée, en redonnant de la place aux Ligues, avec des clubs qui font remonter des idées ».
« Il faut que la base se sente concernée, il faut redonner la parole »
On le sait, il en va toujours ainsi lorsqu’une élection s’annonce, les grands mots sont lâchés pour donner du sens, pour fixer des caps. La rhétorique a du bon. Mais dans le concret, ça donne quoi ? Didier Vareecke qui essuya tous les plâtres de la grande maison fédérale insiste à sa façon « Il faut que la base se sente concernée, il faut redonner la parole ».
La parole aurait donc été muselée sous le règne Amsalem, quatre mandats, quatre olympiades, pour un président le plus politique de toute l’histoire de la FFA ? Pour tenter de le savoir, il faut interroger le plus bavard des présidents de club, Gilbert Marcy, l’homme fort et respecté de l’ESFRA. Il parle fort, il tonne parfois. Avec son côté Gabin des stades, il évoque le bilan de Bernard Amsalem en déroulant le tapis rouge pour féliciter ce qu’il appelle une «marche en avant », cette professionnalisation de la fédération, cette modernisation de l’athlétisme.
C’est donc un Amsalem statufié, de bronze ou de marbre qui est décrit par le Rémois qui pourtant en 2012 saute du comité directeur « Bernard n’est pas coercitif, ce n’est pas un patron au sens propre. On construit une pyramide et en haut, ça doit briller. Il faut une vraie politique, il faut un vrai dirigeant, sinon, c’est la guerre tous les jours. Bernard, il est bonhomme, il est rond, mais il a une main de fer dans un gant de velours ». Il avoue juste « la modernisation a été rapide mais les clubs n’ont peut-être pas avancé assez vite. Les clubs ont toujours l’impression que la FFA les pressure, oui, il faut se rapprocher des clubs. Cette marche forcée a provoqué des ruptures, des tensions dans les comités ».
Bernard Amsalem a mis la fédé à ses pieds. Avec son côté notable de province « résauteur ». Il a mis aux plis une fédération sans varier d’un cil pour suivre une ligne politique bien affirmée, écartelée entre deux mondes, associatif et business, deux continents qui se chevauchent, qui s’opposent, qui se frictionnent comme deux plaques tectoniques. Gilbert Marcy estime sans crainte que « son bilan n’est pas à remettre en cause». Ca ferme la porte à double tour lorsqu’il ajoute « on est désormais une fédération respectée ». Il justifie même les débordements financiers d’une fédération passée du statut artisan à celui d’une PME au personnel jugé pléthorique « On a vécu au-dessus de nos moyens ?! Ce n’est pas vrai. On a peut-être pris des habitudes de confort. On a eu l’impression d’avoir créé une armée espagnole mais si on veut être efficace ?! La FFA aux mains du marketing et des communicants au détriment des techniciens ? Tel est le sentiment partagé par la base. »
« Bernard Amsalem fut précurseur, il faut s’en inspirer »
Bernard Amsalem a ainsi mené une double politique, sport loisir et santé et sport professionnel. La quasi-totalité des fédérations y sont contraintes de force ou de gré. 160 000 licenciés à son arrivée avenue Pierre de Coubertin, 300 000 licenciés désormais, soit une croissance annuelle de 5 à 6%, c’est un chiffre non contesté. C’est le golden parachute avec lequel André Giraud, vice président de la FFA, peut quitter sa Canebière pour s’envoler vers le poste suprême.
Dans le détail, Gilbert Marcy, en vieux loup de mer de l’athlé, veut avancer d’autres arguments. Comme l’engagement des athlètes dans un esprit Equipe de France, comme la création de la Ligue Nationale d’Athlétisme en 2007 « ce fut une décision difficile à prendre, il fut précurseur, il faut s’en inspirer ». Il cite encore les contrats d’objectifs dans les Ligues, la concentration des clubs « Nous avons aujourd’hui plus de 15 clubs à 1000 licenciés. A plus de 1000, on a moins de difficultés ».
Si Bernard Marcy a décidé de ne plus postuler pour un mandat au Comité Directeur, Daniel Arcuset à l’inverse s’est relancé dans la course au pouvoir fédéral aux côtés d’André Giraud. A 69 ans, l’ancien directeur des collèges n’a pas tout dit, pas tout fait. On pourrait croire l’inverse après un demi-siècle à enfiler divers costumes de notable de l’athlé, de président de Ligue, l’Aquitaine puis celle des Pays de Loire avant de revenir au bercail, à celui d’élu au CD depuis 1987 lors de l’arrivée de Robert Bobin rue du Faubourg Poissonnière. Daniel Arcuset est un cumulard récidiviste mais assumé à la tête de nombreuses commissions.
Il s’en défend mais cet homme au regard vif a bien été l’un des rares opposants à Bernard Amsalem au point de claquer la porte du Comité Directeur en 2009. En cause, le mode de gouvernance, le manque de proximité avec les Ligues et les clubs. En 2012, il tente même de renverser l’apothicaire normand solidement enraciné à son officine. C’est l’échec. Battu, il reintégre néanmoins la grande maison, reélu avec 57% des voix « pour travailler dans l’intérêt général ».
« Organisé ce qui rapporte », en sachant vendre l’athlétisme sous toutes ses formes au point de faire hurler les puristes »
Lors de cette rencontre, près de six mois avant l’élection prévue le 18 décembre prochain, Daniel Arcuset ne fait secret de ses convictions et de ses ambitions à personne, il est en campagne. Avant tout chose, on débute toujours ainsi, il veut rendre hommage à celui qui en 16 ans a « organisé ce qui rapporte », en sachant vendre l’athlétisme sous toutes ses formes au point de faire hurler les puristes. En intégrant la marche nordique, les courses à obstacles, le trail urbain (sic), le running santé, les Color Run autant d’ouvertures sur un monde qui bouge et qui transpire, si loin de l’athlé d’un Robert Bobin justement.
« Je reconnais le travail fait par Bernard. Ces quatre mandats ont été positifs. Je lui reconnais son professionnalisme, son réseau, ses relations avec les collectivités » c’est dit et ce fut répété dans cette longue période pré-électorale même si le climat ambiant fut loin d’être à la contestation généralisée. L’opposition conduite par Marcel Ferrari a peu investi l’espace public, le succès de Rio à l’actif de Bernard Amsalem, a réduit encore un peu plus le champ (chant) des critiques.
Daniel Arcuset est bien entendu un politique, à sa façon, 38 ans à se frotter au crépi du stade Charléty, il soutient avant d’aborder les vraies questions « il faudra rajeunir les équipes ». Faire le ménage dans les têtes grises du Comité Directeur, c’est comme s’attaquer aux racines du dopage, c’est une tâche difficile, sensible, voire impossible. Dans l’ombre des structures, des groupes de travail, il a réfléchi à de nouveaux statuts, à une nouvelle règlementation de la fédération, à un rapprochement avec les Ligues, à la rénovation du Comité Directeur, à une mutualisation des actions et clubs, il précise « il ne faut plus de décisions verticales, il faut associer les comités départementaux car nous restons une fédération de clubs ». Pour cela, il compte beaucoup sur le passage de 24 Ligues à 13 « on ne peut que travailler ensemble, c’est une démarche partagée. Ces Ligues auront plus de responsabilités à décliner la politique de la fédération, plus de pouvoir aussi, c’est une richesse pour conforter notre mission ».
Lors de l’élection du 16ème président de la Fédération Française d’Athlétisme, il fera donc cause commune avec André Giraud, troisième sur la liste du Marseillais. Ensemble, ils veulent « libérer la parole ». Faut-il croire, à ce point, en un manque de dialogue ? Il faut se souvenir des paroles du président Amsalem haussant le ton pour affirmer « l’info qui remonte mal, c’est faux ».
Bernard Amsalem n’avait pas préparé sa succession. A Angers n’affirmait-il pas lors d’un entretien spontané accordé à SPE15, « ça doit se faire naturellement » puis d’ajouter pour éviter toutes ambiguïtés, «mais André Giraud est le candidat naturel, son passé hors stade pèse pour lui, c’est un défenseur de l’athlé dans tous les sens du terme ». En réalité, le nom de Laurent Bocquillet était plus que marmonné dans les coursives comme dauphin adoubé par le président. En off, André Giraud le confirmait en précisant «mais avant, il doit faire ses preuves ». Dans un club, c’est la base de tout, les mains dans le camboui, pour se frotter à la complexité d’une telle entité. C’est pourquoi le versatile directeur du Meeting du Stade de France a suivi une feuille de route bien tracée, créer l’Entente Sarthe, une sphère réunissant la majorité des clubs du Mans. Il est aujourd’hui numéro 7 sur la liste Giraud, l’avenir dira s’il poursuivra cette route, lui qui a tant pris de chemins de traverse.
« Nous, on a fait le chemin inverse. C’est rare, mais on a construit l’athlé à partir du hors stade ». Lors d’une rencontre à Marseille à l’occasion des Départementaux de cross, c’est ainsi qu’il débutait un entretien, le coude appuyé sur une barrière. André Giraud a construit son parcours à partir d’un club, le Sporting Club Ouvrier, créé en 1936 sur les scories du Front Populaire, un club lié au syndicat métallo du quartier de Ste Marguerite.
C’est en rentrant d’Algérie en 1975, après deux années de coopération que ce prof de maths renoue avec la course à pied et intègre ce club affilié à la FSGT. En 1979, sur le modèle de Marvejols – Mende, il crée Marseille – Cassis. Au-delà de toutes les hypothèses, au-delà de toutes les espérances, André Giraud est loin d’imaginer que ce projet bouleversera sa vie de petit prof.
Cet engagement politique le rapproche de Bernard Amsalem
De ces années, il revendique avec fierté l’étiquette de « militant sportif » au sein du SCO Ste Marguerite. Il le restera dans ce long parcours le conduisant de la Joliette au Stade de France, même si les responsabilités, les mandats, les titres de président vont cacher, et gommer dans les apparences, de fortes convictions sous l’épaisseur du pardessus. Lors de la Coupe du Monde de football, on le détache pour animer des actions de quartiers, porte d’entrée au poste convoité de Directeur des Sports du Conseil Général, un bureau qu’il obtient après avoir été recommandé par le Préfet d’alors. Une fonction sensible qui l’encarte définitivement et publiquement à gauche. Cet engagement politique le rapproche de Bernard Amsalem. Il sera l’homme de l’ombre pour mener au sein de la FFA une mission de décloisonnement de l’athlé, un sport trop étriqué, trop nombriliste, trop élitiste, replié sur les disciplines olympiennes. Le sport comme instrument de lien social, c’est son credo.
André Giraud conduira donc la liste qui, à ce jour, est présentée comme favorite aux prochaines élections. En acceptant cette responsabilité, il ne s’est posé qu’une seule question « suis-je capable ? » suivie de celle-ci « comment remplir une telle mission ? ».
Dans un premier temps, il se rapproche de Daniel Arcuset. « Nous parlions le même langage avec le même esprit fédérateur. Et nous sommes complémentaires. Daniel est plus athlé, moi j’ai une dimension plus universelle, plus ouverte, j’ai acquis beaucoup d’expériences avec les élus, les partenaires privés, l’amicale des parlementaires. Aujourd’hui, il faut être plus politique que technique ».
C’est la force d’André Giraud, un homme d’ouverture et visionnaire, ce n’est même plus à démontrer, comme il le fut en 1979 lorsqu’il réunit un millier de coureurs pour la première édition de Marseille Cassis. Certes dans la ville de Jean Bouin. Dans la cité phocéenne, il fut souvent montré du doigt, accusé d’être juge et partie, accusé de construire à sa guise le sport local. Mais au sein de la maison mère, comme vice président, il a ouvert les vannes. La FFA avait regardé, passive et même agressive, déferler la grande vague du running des années 80, il n’était pas question qu’une telle grossière erreur se reproduise une seconde fois. Ainsi André Giraud a réuni autour d’une table, les uns après les autres, toutes les composantes possibles, voire inimaginables, de la France qui court et qui marche pour recomposer la nouvelle grande famille athlétisme. Au point de choquer et de faire hurler les puristes du mètre/seconde.
Les grands mots sont lâchés, de l’onguent pour grand discours pléinier
Il construit ainsi, dans un premier temps, un « club » de soutien, 130 noms, des anciens athlètes, nombreux, en ordre rangé pour celui qui, avec son épouse dans l’ombre, a organisé plus d’un Club France aux couleurs et aux saveurs provençales, lors des grands championnats. Muriel Hurtis fut l’une des premières à signer son engagement à ses côtés, Odile et Stéphane Diagana ont suivi ainsi que Michel Samper le président du PUC.
Il jette des mots comme s’il menait une vision dans un groupe de prospective « le partage, le respect, la tolérance, l’écoute, ce sont nos valeurs de l’associatif ». Les grands mots sont lâchés, de l’onguent pour grand discours pléinier. Le micro est déjà sur ON.
Présent dans la commission qui a conduit les travaux sur la fusion des Ligues, il mesure à quel point le manque de pédagogie avec les clubs a creusé le fossé séparant les territoires et le siège décisionnel de la FFA « nous avons fait des progrès considérables mais nous avons conduit des projets fédéraux à une vitesse trop forte par rapport à la base ».
Alors quels seront les grands dossiers à mettre en chantier si le 17 décembre prochain la liste Giraud est élue ? Il cite la simplification des mutations, la problématique des étrangers dans les clubs, se tourner vers un modèle économique rénové en engageant une politique de grands évènements sur l’ensemble du territoire pour consolider le budget fédéral et éviter les égarements connus en cette année 2016 lorsque la FFA met ses comptes dans le rouge.
A 69 ans, André Giraud est ainsi prêt à prendre ses responsabilités. Au contact de Bernard Amsalem, il a appris une chose « s’élever au-dessus des petits problèmes. Ca aide à relativiser les situations. Je me souviens, un jour, j’ai perdu mon maillot de club la veille d’une course, j’en avais pas dormi de la nuit. Aujourd’hui, on apprend à s’élever. C’est une question de courage ».
> Texte et photos Gilles Bertrand