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Analyse : les chronos vacillent avec la Vaporfly. Bientôt interdite ?

A travers le monde entier, le constat est le même : les chronos vacillent avec la Vaporfly et la Next. Cette tendance se confirme au fil des semaines, avec une succession de records personnels à mesure que les compétitions se succèdent. Ce mouvement pourra-t-il se poursuivre ? A voir puisque la rumeur se fait insistante d’une prochaine interdiction de la chaussure par World Athletics (IAAF)…

« Et bien en ce moment, il y a les chaussures, les VaporFly, alors je ne me sens pas spécialement bouleversé par mon résultat ! » C’est le Japonais Rei Yonemitsu qui parle à l’arrivée du Hakone Ekiden, un évènement de référence au Japon puisqu’il fêtait son 100ème anniversaire. Et pour ce vénérable anniversaire, Rei Yonemitsu a réussi une énorme performance, établissant le 2ème chrono de tous les temps sur le segment d’ouverture. D’autres coureurs ont brillé, quatre équipes ont battu le record de la course, un gars a couru sur une allure de 58’35’’ sur semi-marathon. Mais les Japonais ne sont pas dupes. Ces chronos qui chavirent, c’est à la Vaporfly qu’il faut les imputer.

Et le constat est le même, dans des proportions plus ou moins fortes selon les distances, et selon les niveaux. Une statistique impressionnante le dévoile, celle de la progression des chronos des meilleurs marathoniens mondiaux durant l’année 2019, avec une diminution de 1’45’’, soit 1.5% et de 3 minutes pour les femmes, soit 2%.

1 million de résultats et 110.000 données STRAVA

Autant d’éléments tangibles s’ajoutant à d’autres études réalisées depuis 18 mois, et concernant la « masse » des coureurs. La toute première, celle publiée dans le New York Times de juillet 2018, avait conclu à un gain de performances de 3 à 4% pour des coureurs portant les Vaporfly par comparaison à des coureurs de niveau similaire chaussés d’autres modèles, et de plus de 1% que la chaussure de compétition la plus performante. Une analyse basée sur des éléments chiffrés collectés sur environ 500.000 chronos sur marathon et semi-marathon depuis 2014, et intégrant également les données issues de l’application Strava.

L’étude actualisée en décembre 2019 révèle des éléments encore plus forts : la différence de performances est évaluée entre 4 à 5%, et le différentiel par rapport à la deuxième chaussure de compétition la plus rapide s’élèverait à 2 à 3%.

Pour arriver à des tels résultats, le travail n’a pas été mené à la légère par Kevin Quealy et Josh Katz, qui ont utilisé plus de 1 millions de données issues de marathons et semi-marathon, et ont eu accès aux données Stava de 110.000 coureurs uploadant leurs données sur plus d’un marathon, et 47.000 pour 3 marathons et plus.

Et à partir de ce magma de données, ils ont mesuré les effets de la chaussure, par plusieurs méthodes : en utilisant des modèles statistiques, en étudiant des groupes de coureurs disputant les mêmes épreuves, en suivant des coureurs lors de leur changement de chaussures, en mesurant la probabilité d’un record personnel avec une paire de chaussures.

Comme le souligne le duo : « Aucune de ces approches n’est parfaite, mais elles convergent toutes vers la même conclusion : quelque chose se passe dans les courses avec les Vaporfly et les Nike Next% qui ne se produit pas avec la plupart d’aucune autre chaussure. »

65% de chances d’établir un Record Personnel avec les Next !

Et quelques chiffres apparaissent implacables. Comme celui des 40% de coureurs sous les 3 heures sur marathon et chaussés de la Vaporfly ou de la Next. Et surtout celui de la probabilité d’améliorer son record personnel avec ces modèles au pied : c’est carrément 65% de chance de voir les secondes s’effacer pour obtenir un nouveau R.P. !

Une tendance qu’on a vue se dessiner d’abord au niveau l’élite mondiale, avant que la diffusion massive permette à tous et toutes d’en bénéficier. Ces dernières semaines, les records personnels sur 10 km de coureurs français ont été battus dans d’énormes proportions, que ce soit à Houilles, la Prom Classic, ou à Barcelone et tout récemment à Valence.

Le record du monde du marathon féminin de Birgid Kosgei doit aussi beaucoup à cette nouvelle technologie. La jeune Kenyane a éclipsé mi-octobre à Chicago avec 2h14’4’’ la marque antérieure de Paula Radcliffe, un monument de la course sur route et une égérie Nike de toujours.

Ce record-a-t-il trop heurté dans les hautes sphères de l’IAAF, jusqu’ici très indifférentes à adopter la moindre mesure pour ralentir l’utilisation des chaussures Nike ? Peut-être à en juger par l’information publiée ce jour par la presse britannique dans « The Times » d’une possible interdiction des modèles Vaporfly et Next.

La perspective de voir Nike diffuser très prochainement une pointe de sprint dotée du même mécanisme de boost a probablement également donné le frisson à Usain Bolt, avec la quasi-certitude que son record du monde du 100 mètres pourrait, lui aussi, être sacrifié sur l’autel de ces modifications radicales de technologie.

Une interdiction du modèle ?? A voir

Une telle mesure a-t-elle la moindre chance d’aboutir, compte tenu des intérêts très étroits entre Nike, Sebastien Coe, et l’athlétisme mondial, à travers les nombreux athlètes en contrat avec la marque de l’Oregon et les multiples fédérations également soutenues par celle-ci ?

Un autre élément pourrait contribuer à ralentir cette décision, celui du récent nouveau record du monde du 10 km, battu à Valence par  Rhonex Kipruto, chaussé des Adizero d’Adidas. La performance confirme que même en adidas, un record du monde peut être battu…

Quoi qu’il en soit, même si un revirement brutal se faisait, comme cela avait été le cas pour les combinaisons de natation, les records établis dans les derniers mois ne pourraient plus être invalidés. A la déception des puristes, choqués de voir une performance mécaniquement améliorée. Et au plus grand bonheur des coureurs concernés par cette envolée des chronos !

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.