A l’occasion des championnats nationaux de cross kenyan, Yannick Perroteau, manager hors stade et athlé a retrouvé la trace d’Abraham Kiprotich qui en octobre 2013 tombait pour dopage. Il mène une vie paisible de notable de campagne. Récit.
Eldoret – Kapsabet, le trajet prend une grosse demie heure depuis que la route a été refaite. Une belle route de campagne qui ondule et qui serpente entre petits champs de maïs et bananeraies pour rejoindre cette grosse bourgade qu’est Kapsabet.
La ville s’est transformée. Ce n’est plus un gros village isolé qui s’anime les jours de marché. C’est une ville avec ces supermarchés, ces vendeurs d’écrans plats, ces hôtels qui se disputent des étoiles et qui sentent encore le ciment frais. Dans un ciel bleu immaculé, des immeubles aux échafaudages incertains émergent au dessus d’un entremêlât anarchique de boutiques, de baraques, de maisons bricolées caractérisant si bien la ville africaine en pleine mutation.
Abraham Kiprotich vit non loin du centre. Juste avant de plonger vers le cœur de ville. Points de repère pour trouver son domicile, ce sont l’église et l’hôpital. Il a toujours vécu là, dans un petit et très modeste chez soi, de la taille d’un billard. C’était avant qu’il ne rentre à la Légion Etrangère. Puis le confort est arrivé. Le compte en banque s’est arrondi, les primes de course, la solde de trouffion de base et le coureur devenu français en 2011 a trouvé un lopin de terre pour construire plus grand avec dans ce carré, quelques poules, vaches et chèvres. Seul grand luxe, une pompe pour puiser l’eau.
Puis l’aisance est arrivée. La petite fermette est donnée en location car Abraham le notable s’est enrichi par la course à pied. Celui-ci a changé de statut. Ce n’est plus le chasseur de primes croisant le fer sur nos petites routes de province ou de la banlieue parisienne.
Il a de l’ambition. Il change de moteur et de cylindrée. Son palmarès s’étoffe, 3ème à Düsseldorf, vainqueur à Daegu, et à Istanbul. La roue de la fortune tourne dans le bon sens avec l’aiguille se bloquant à 2h 08’33 », meilleur temps personnel et une sélection olympique pour les J.O. de Londres.
Toujours dans le même quartier, Abraham Kiprotich a fait construire la maison digne de son standing. A l’européenne. On y rentre par un grand portail en fer. Coup de klaxon, deux bergers allemands aboient, un petit roquet blanc de poil aussi. Il répond au nom de Pepito. Le gardien ouvre la porte. La demeure est luxueuse. Visite guidée avec le propriétaire, grand salon meublé de grands fauteuils en cuir, bar à l’américaine, passe plat donnant sur une vaste cuisine. Chambre spacieuse, au centre un grand lit à baldaquin. La chambre des enfants avec douche intégrée. Vaste vitrine où sont entassés pèle mêle une quincaillerie de trophées, médailles et de badges VIP. L’homme en chemise bleue de bonne facture et en pantalon de flanelle est fier de sa réussite. Il dit : « Regarde, c’est comme en France ».
Dans chaque pièce, ça bouge, ça crie, ça va et vient. Les enfants, ses deux filles de 5 et 3 ans, une nounou, un oncle, Agnès l’épouse elle aussi marathonienne, Stella Barsosio qui n’est autre que la sœur d’Agnès et Godeliève Nizigama, une burundaise esseulée qui a trouvé un toit pour se loger.
C’est Monsieur Abraham, une notabilité qui en aucun cas, n’a été affectée par l’affaire de dopage
Dans ce quartier, vivent de nombreux coureurs. De l’autre côté de la palissade, c’est la demeure de Prisca Jeptoo. Ils sont amis. Comme à Eldoret, comme à Iten, autres fiefs dans cet eldorado de la course à pied, la réussite s’affiche ostensiblement.
Ainsi Abraham Kiprotich coule des jours, semble-t-il heureux dans une ville, où chaque shilling a été investi avec une certaine sagesse et raison. L’homme est malin. Mais difficile de connaître la vraie nature de ces investissements ? Sans doute comme la majorité des coureurs kenyans assurant des placements ici et là dans le commerce, dans la pierre et dans la terre. A Kapsabet, on le respecte. Il salue et serre des mains à tout va. Avec son statut de militaire, sa réussite sportive et financière, ses contacts avec l’étranger, c’est Monsieur Abraham, une notabilité qui en aucun cas, n’a été affectée par l’affaire de dopage qui en 2013 pousse le marathonien aux oubliettes.
Abraham Kiprotich arrive en France alors qu’il n’a pas encore 18 ans. Il vit le plus clair de son temps dans une ferme du Poitou où Daniel Poli, manager de coureurs, loge son groupe. Françoise la fermière s’occupe d’eux comme des agneaux de lait. Le couvert y est bon mais les performances restent modestes, les plus significatives, un 3’45 »91 sur 1500 mètres en 2006 puis un 8’36 »00 sur steeple en 2008. Sur la route, il fait mieux, 28’39 » sur 10 km à Lille en 2009 et 1h 03’17» au semi de Boulogne en 2010. Un niveau suffisant pour que le lieutenant recruteur de la Légion Etrangère lui mette un képi sur la tête.
Verdict : 2 ans de suspension pour contrôle positif à l’EPO
Les coureurs légionnaires, on les regarde de travers. Des mal aimés, considérés à double titre et sur deux fronts comme des mercenaires. Et Abraham Kiprotich tombe vite dans les radars de la lutte anti dopage. Un pigeon voyageur difficile à localiser et à contrôler pour mettre en place un vrai suivi biologique. On digère mal son abandon aux J.O. de Londres. On l’exclue de la sélection pour le Mondial de Moscou. L’étau se resserre. Il dispute même en avril 2013 le marathon de Daegu qu’il remporte en 2h 08’33» alors qu’il est interdit de compétition. Il signe sa mise aux arrêts. Les contrôleurs l’attendent au tournant, l’éprouvette à la main. C’est finalement à Istanbul le 17 novembre qu’il tombe alors qu’il vient de remporter l’épreuve en 2h 12’28 ». Verdict : 2 ans de suspension pour contrôle positif à l’EPO.
Dans l’intimité de cette rencontre autour d’une tasse de thé bien sucré, le sujet est délicat à aborder. Il parle plus des conséquences que des circonstances. Ses 2h 08’33 », il l’affirme, il était propre. Le temps a déjà fait son œuvre, il a raison de s’en convaincre. Il compte sur l’oubli. Comme de nombreux coureurs confrontés au dopage, il s’accroche à une seule bouée de sauvetage, le dénie. Mais l’argent ne rentre plus comme avant, même si Agnès, l’épouse reste performante, cinq marathons l’an passé, il faut payer les traites. Pour elle, il joue le sparring-partner mais ces footings matinaux ne lui suffisent pas. Il veut recourir, il veut reporter le maillot de l’équipe de France. Il le dit : « Je suis fier d’être français ». Des mots qui ne suffiront pas pour lui ouvrir les portes qu’il s’est lui-même fermé sur les doigts. A l’avenir, avec ses deux passeports, français et kenyan, il ne pourra pas échapper au troisième, le plus important, son passeport biologique.
> Texte : Gilles Bertrand avec Yannick Perroteau. Photo Yannick Perroteau
Abraham Kiprotich sera autorisé à recourir le 6 octobre 2016. Il aura 33 ans.