Cette journée du 14 janvier 2016 était devenue l’objet d’une immense attente des acteurs de l’athlétisme dans le monde entier, à l’affût des révélations escomptées dans ce deuxième rapport de Dick Pound et de sa commission d’enquête sur le dopage. Mais finalement, une certaine déception prévaut à la lecture de ce rapport, et à l’issue de cette conférence de presse de Munich, qui n’apporte guère de révélations, en particulier sur une éventuelle corruption dans d’autres pays que la Russie.
Le hall du « Dolce Munich Unterschleissheim », hôtel de luxe au nord ouest de Munich, bruisse d’une grande effervescence. Au premier étage, une centaine de journalistes prend d’assaut la grande salle « Chiemsee ». Sur les tables, le deuxième rapport de la Commission Indépendante d’Enquête de l’AMA trône en piles bien alignées. Les journalistes présents disposent de 30 minutes pour découvrir ce rapport en préambule à la conférence de presse que va mener Dick Pound, le boss de cette commission. Avec obligation de respecter un embargo de 30 minutes avec interdiction de diffuser toute info sur ce document, comme le rappelle Ben Nichols, le porte parole de l’AMA.
Tout le gratin du journalisme mondial s’est dirigé vers Munich, pour ce rendez-vous autant attendu que redouté par la communauté de l’athlétisme, et que Dick Pound avait orchestré de main de maître en annonçant un effet « Wov ». Munich, ville justement choisie en hommage au travail d’Hajjo Seppelt, le journaliste allemand lequel le scandale de la Russie a explosé au grand jour.
Mais après quelques minutes de lecture très rapide, il apparaît que la révélation d’un scandale de corruption répandu dans plusieurs pays ne figure point dans ce rapport, où sont essentiellement détaillées les deux affaires de Liliya Shobukhova et de Asli Cakir Alkpetin, ainsi que diverses remarques concernant les problèmes d’analyses sanguines anormales avant 2009, qui ont conduit 309 médaillés dans divers évènements majeurs (des JO aux Mondiaux de cross) à afficher des taux sanguins atypiques.
Pas d’autres sports, pas d’autres pays
Et dès les premières phrases de sa conférence de presse, Dick Pound étouffe les espoirs et/ou craintes de l’annonce d’une corruption en vigueur dans de nombreux pays, en déclarant : « Le mandat donné par l’AMA à notre commission d’enquête était limité à l’athlétisme et à la Russie. Nous n’avons donc pas enquêté sur d’autres sports ou sur d’autres pays. »
La surprise est immense tant l’assistance escomptait découvrir de nouvelles révélations sur d’autres pays que la Russie. Les informations circulant depuis plusieurs semaines faisaient état de la mise en cause du Kenya, de la Biélorussie, de l’Ukraine, de la Turquie, et même de la Jamaïque. Coupables selon ces rumeurs des mêmes pratiques que la Russie, la dissimulation de contrôles positifs en échange de gros pots de vin.
Mais ces allégations n’apparaîtront à aucun moment dans les propos de Dick Pound, puis de Richard Mclaren, autre membre de la commission, et pas plus de Günther Young, le policier allemand chargé de l’enquête sur le terrain.
Et dans leurs interventions, vont être évoquées principalement les dérives de l’IAAF orchestrées par Lamine Diack et son clan, amenant à la constitution d’un groupe « informel » de direction, comme le définit Dick Pound, bafouant toutes les règles.
Sebastian Coe, l’homme de la situation
Au nez et à la barbe de Sebastian Coe ? Oui, très probablement. Mais là encore, la position de Dick Pound crée une certaine surprise, avec ce mélange entre les propos offensifs contre les dirigeants de l’IAAF, et une attitude de soutien fort au Britannique. Aux très nombreuses questions de la presse britannique, représentée par ses meilleurs éléments, David Walsh, du Sunday Times, Paul Kelso pour Sky News, Ben Rumbsy pour le Daily Telegraph, Ian Gibson de The Guardian, on peut ainsi entendre Dick Pound déclarer : « Coe doit saisir cette occasion. Sous la houlette de quelqu’un de ferme, l’IAAF doit chercher à récupérer sa réputation. Personne ne peut mieux le faire que Coe ! » Et à la question de savoir si selon lui, Mister Coe était au courant de la situation de corruption, il souligne : « Je ne peux pas répondre à votre question. Mon appréciation pour Lord Coe est que s’il avait été au courant, il serait intervenu. ».
Justement, Sebastien Coe a pris place au milieu des journalistes, et cette position surprenante dévoilait quelque peu en avant-première l’état d’esprit de bienveillance qui allait présider à cette conférence. Le Président de l’IAAF aurait-il pris le risque de siéger au milieu d’une ruche de journalistes s’il n’avait pas été certain que Dick Pound ne réclamerait pas sa tête ?? Une conviction acquise pour avoir pu consulter le rapport de la commission en avant-première, Dick Pound expliquant ensuite lui avoir communiqué dès la veille de cette conférence.
Hajo Seppelt très déçu par le rapport
Autre petit détail, mais finalement significatif : l’attitude de totale indifférence affichée par Sebastien Coe à l’égard de Hajo Seppelt, auquel il n’accordait ni poignée de main, ni regard, dans les minutes précédant le début de la conférence de presse… Un signal fort d’hostilité à l’homme à l’origine de cette commission d’enquête et de la remise en cause de sa position de président de l’IAAF.
Justement, qui mieux qu’Hajo Seppelt pour donner son opinion sur cette deuxième conférence de presse ? Durant la conférence de presse, il a bataillé contre Dick Pound sur le sujet du Kenya, sur les problèmes d’analyse d’échantillon. Son regard sombre et son visage crispé donnent le ton de ces sentiments.
Comme à son accoutumée, Hajo Seppelt n’y va pas par quatre chemins pour livrer ses convictions : « Ils ont bien souligné qu’évidemment, les personnes au sein de l’IAAF étaient très bien au courant de cette situation de corruption. Maintenant la question est de savoir si Monsieur Coe était au courant ou pas de ces problèmes. Cela demande plus d’investigations pour le savoir. J’ai pu noter aussi que la Commission a été très réticente pour évoquer le problème des bases de données. Nous en savons beaucoup plus que ce qui a été dit….Si Monsieur Coe ne fait pas un virage à 180 degrés, le problème ne va pas s’affaiblir, au contraire, il va devenir plus gros. Ils doivent changer toute leur stratégie. Là, on le voit qui prend des actions contre les journalistes, il les menace. Il est évident qu’ils ne comprennent pas que le but commun pour nous tous est tout simplement de se battre contre la corruption et contre le dopage dans le sport. »
La rancœur d’Hajo Seppelt s’amplifie encore sur le délicat sujet du Kenya, où son travail d’investigation du printemps 2015 avait révélé l’ampleur du dopage dans ce pays, et à ma question sur sa déception de voir l’absence de travail sur ce dossier, il souligne : « Oui, je suis vraiment déçu pour le Kenya. Je ne comprends pas pourquoi ils ne se sont pas intéressés au Kenya. Egalement, concernant les bases de données, il faut aussi se concentrer sur le manque de tests dans certains pays. Je trouve qu’il y a vraiment des contradictions. »
Et ce journaliste engagé de résumer d’une phrase son analyse : « Mon sentiment est qu’ils n’ont pas voulu blâmer trop Monsieur Coe aujourd’hui. C’est plus une décision politique que sportive. »
Le monde de l’athlétisme peut probablement se réjouir d’une telle situation, protégeant ainsi son sport à quelques mois des Jeux Olympiques….
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : Gilles Bertrand