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Hassan Lahssini « Je veux finir ma vie à Alès »

Hassan Lahssini désormais en charge du haut niveau à l'AC Alès
Hassan Lahssini désormais en charge du haut niveau à l’Alès Cévennes A.

A 21 ans, Hassan Lahssini est recruté par l’AC Alès. Jusqu’en 2010, il en sera l’un des fers de lance avec 10 sélections internationales dont une participation aux J.O. d’Athènes sur marathon. Aujourd’hui, il s’implique dans la vie du club notamment dans la gestion du haut-niveau. Mission d’urgence.

 

Notre première rencontre remonte à 20 ans. Entre une finale de Grand Prix disputée à Milan et le meeting de Sarajevo. Je m’étais laissé convaincre par un jeune manager débutant dans le métier de prendre le temps d’écouter Hassan Lahssini. Ses arguments étaient convaincants. La jeune recrue venait de réussir 7’30’’53 à Monaco sur 3000 puis 13’04’’32 sur 5000 Milan à 21 ans…Nous nous étions donc installés l’un en face de l’autre dans le feutré d’un hôtel de luxe grouillant de ces teigneux, taiseux et migraineux tuant le temps à s’écouter parler.

H. Lahssini à Milan en 1996
H. Lahssini à Milan en 1996

Nous étions en 1996, les années fortes où le trop plein du système marocain se déverse sur les clubs français. Boulami, Sghir, Zeroual, Maazouzi, Choumassi, El Ghazouani, Ouaadi, les frères El Ahmadi… Du 15 au 10 000, ils dominent et exécutent le demi-fond français. Hassan Lahssini est de ceux là.
Ils ont presque tous la même histoire qui se griffonnent en quelques mots, quelques raccourcis, parfois de lignes brisées, un destin commun de coureurs immigrés, enfants de la petite misère, mesquine et maligne. Hassan est orphelin de père et mère avec huit frères et sœurs sur les bras.

C’est en 1995 qu’Hassan Lahssini quitte son pays natal pour Pézenas. Il s’est laissé convaincre par un cousin, Mohamed Ennaji, qui en pays d’Oc, de Nîmes à Toulouse, écume course sur course, cross sur cross. « Je te présenterai un club, tu feras des compétitions » lui avait-il fait miroiter. Hassan lui emboîte le pas, sans craindre la précarité d’une aventure incertaine. La saison de cross arrive, on le voit courir à Toulouse, au pied de la citadelle de Carcassonne, à Vitrolles pour le Méridional où il tient tête à Abdellah Behar et à Tony Martins. Un club le repère, c’est l’AC Alès, le club de Thierry Pantel, de Luis Soarès et à l’époque des deux juniors porteurs d’espoir, Damien Rouquet et Ludovic Pagès, un club dont le président Alain Faudin, un médecin marathonien, tombe sous le charme de ce jeune homme courtois, au regard attentif, curieux, au phrasé si mélodieux. Hassan se souvient : « Ils attendaient de moi des résultats mais plus que cela, c’est ma personnalité… » Par pudeur, il ne termine pas sa phrase, il ajoute : « Ils m’ont fait confiance et moi aussi. C’est une fidélité qui dure depuis 20 ans maintenant ». En partenariat avec l’office des HLM, on lui trouve un petit appartement, Alain Faudin convaint le sous-préfet de l’époque pour lui accorder une carte de séjour. Hassan est désormais face à son destin : « Je n’avais plus de soucis, j’avais un salaire, c’était à moi de courir ».

« C’est un coureur qui sort des normes » c’est ainsi que s’exprime Jean Claude Gachon à la fin de l’année 96. CTR en région Languedoc, entraîneur de Mohamed Ennaji, il prend naturellement la destinée du cousin qui se voyait «comme Hicham » coureur de 15. Gachon est séduit par le calme, l’intelligence et l’opiniâtreté du jeune homme. Ils sont faits l’un pour l’autre. « C’était un homme de cœur. Il était toujours à l’écoute. Nous avions une grande complicité. Il avait compris ma personnalité ». L’émotion est là, sur le bout des lèvres lorsque Hassan évoque ces années « Gachon ». Les saisons piste et cross marquées par ces victoires au France de cross à Chartres en 1998 puis à Nantes en 1999 et des places de finalistes, 7ème aux Mondiaux sur 5000 en 1997 et 7ème aux Mondiaux de cross court en 1999 sous le maillot marocain.

En janvier 2000, Hassan est en stage en Afrique du Sud. C’est là qu’il apprend sa naturalisation : « C’était ma façon à moi de remercier la France. J’avais été accueilli de la meilleure façon, je voulais porter les couleurs de la France ».

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H. Lahissini sur marathon aux J.O. de 2004

Il devient marathonien, il se qualifie même pour les J.O. d’Athènes en 2004 en portant son record à 2h 10’10’’ à Amsterdam. Dans le stade panathénaïque, il termine 36ème. Mais il devient surtout Alésien. Et aujourd’hui, 20 ans après avoir quitté le Maroc, il dit clairement : « J’aimerais finir ma vie ici, à Alès ». Alès, la ville de Pujazon, la ville du charbon, la ville du Gardon, capricieux et impétueux, il s’y est enraciné. Comme coureur dévoué au club pourvoyeur de titres nationaux (*), puis très vite comme salarié de l’AC Alès. Aujourd’hui, après avoir mis fin à sa carrière de haut-niveau en 2010, il s’occupe des jeunes en épaulant Sylvain Ternynck mais aussi et surtout du haut-niveau, « pour transmettre mon expérience, pour apporter mon savoir », un poste sensible tant ce club s’est pris des hallebardes sur le blason lorsque les « affaires de dopage » sont venir ternir l’image de l’ACA . « On a souffert de cela. On nous a jugés comme complices, mais on s’est parlé clairement : « soit on arrête de recruter des gens comme cela, soit on va toujours retomber sur le même problème ». Le mot dopage n’est jamais prononcé lorsque Hassan Lahssini parle d’un passé récent qui fait encore tache.

Ainsi Freddy Guimard et Romain Courcières sont arrivés au club. Petit à petit, les réticences légitimes cèdent : «Romain, c’est moi qui ait fait le premier pas. C’est un vrai crossman et à 27 ans, il a de l’avenir».

J’ai retrouvé Hassan, le soir, sur la piste du Stade Pujazon, cisaillé d’un vent mordant. Sylvain Ternynck était là, dynamique, tonique, ceinturé d’un harnais à tirer un cercle de dix kilos pour montrer à quelques apprentis sprinters le geste précis. Quelques jeunes filles aussi, se souciant guère du froid incisif, pas vraiment motivées mais enjouées. Et sur l’anneau, une demoiselle toute menue, foulard sur la tête à aligner des 400.

Hassan est entouré. Il parle, écoute, conseille. Il ne peut échapper au rôle de grand frère, lui, l’homme discret, attentif, exemple et modèle d’intégration. Oui, il ressent cette tension forte chez les jeunes : « Ils le disent « on est rejetés, on est abandonnés. Ils ont peur d’être stigmatisés». Hassan l’Alésien leur répond : « Non, vous n’êtes pas rejetés. Vous avez une chance. Il faut vous investir. Il faut vous battre. Vous êtes des musulmans, mais vous êtes des citoyens comme tout le monde ». Seul, peut-il être persuasif ?

> Texte et photos Gilles Bertrand

. Hassan Lahssini a remporté deux fois le championnat de France de cross avec la nationalité marocaine en 1998 et 1999
. Il remporte le France de cross en 2004
. Il fut titré 2 fois champion de France sur 10 km route (2005 et 2008), en Ekiden en 2010 et sur 10 000 m en 2007
. Il remporte 4 médailles aux Europe de cross par équipe dont l’or en 2003