La liste des dopés s’est encore allongée ces derniers jours, et les podiums des Championnats du Monde et des Jeux Olympiques en sont bouleversés à mesure que les noms tombent. Doit-on réattribuer les médailles salies et dans quelles conditions ? Sophie Duarte et l’entraîneur et journaliste Pierre Jean Vazel livrent leur opinion.
Marta Dominguez, Piyi Devetzi, Emily Chebet, Maria Savinova. En quelques jours, la liste des athlètes convaincus de dopage s’est enrichie de quelques noms prestigieux, et les podiums passés pourraient être remodelés à mesure, au rythme des décisions des diverses instances.
Les cas ne sont pas tous identiques. La triple sauteuse grecque Piyi Devetzi a été re-testée positive sur un échantillon de 2007, elle perdra le bronze des Mondiaux d’Osaka, elle pourrait perdre le bronze des JO de Pékin. Pour l’Espagnole Marta Dominguez, c’est son passeport biologique qui a enfin parlé pour révéler ses turpitudes, et elle verra s’envoler son titre mondial sur steeple de 2009 et son argent aux Europe 2010…
Au fur et à mesure, les podiums se voient bouleversés, et les médailles reviennent à d’autres athlètes. Tout récemment la Française Hind Dehiba s’est ainsi vu réattribuer une médaille de bronze du Championnat du Monde en salle 2012, après la disqualification pour dopage de la Turque Asli Cakir. Durant la course, Hind Debiba avait en réalité terminé 5ème, avant d’accéder à la 4ème place après la disqualification de la Biélorusse Natallia Kareiva.
Sophie Duarte, spoliée à Osaka par le dopage russe
Une telle valse dans les résultats menée au rythme des contrôles a posteriori et des révélations sur les passeports biologiques ne peut que susciter des questionnements. Est-il légitime de réattribuer dix ans plus tard des médailles ? Oui, s’écrient avec vigueur Sophie Duarte, championne d’Europe de cross et le coach Pierre-Jean Vazel.
Une médaille réattribuée, c’est pourtant aussi une petite déception, comme l’avoue Sophie Duarte : « Sur l’instant, on nous vole. J’ai vécu ça pour les Jeux Mondiaux Militaires à Rio en 2013, j’avais terminé 4ème derrière une Grecque qui a été ensuite sanctionnée pour un problème de passeport biologique. J’ai eu la médaille, mais on m’a volé le moment où l’on monte sur le podium. » Et Sophie souligne aussi un autre aspect : « On perd tous les aspects financiers qui auraient pu exister derrière la médaille. On diminue aussi notre visibilité par rapport aux fans. »
Elle égrène ainsi les championnats où le dopage a peut-être modifié son résultat. Le Mondial d’Osaka en 2007, elle finit 5ème derrière deux Russes, qu’on devine médicalement préparées Mais les preuves ne sont toujours pas connues… Et elle souligne : « J’avais deux Russes devant. Je pensais déjà au dopage à l’époque. Maintenant, on voit bien que c’était une réalité. » Elle évoque également Laila Traby, contrôlée positive fin 2014, qui l’avait supplantée au Championnat de France de cross et aux Elite sur 5000 mètres. Et elle souligne : « J’ai été amère. Est-ce qu’un jour on remettra en cause ces résultats ?? »
Une médaille récompense toujours le travail, même 10 ans plus tard
Mais le positif supplante tout le reste pour Sophie Duarte: « Cela montre qu’un effort fourni un jour peut être récompensé même si c’est 10 ans plus tard. Cela montre le mérite du travail effectué. »
Avec malgré tout, quelques petits bémols pour la Toulousaine : « Pour moi, une médaille ne doit pas être réattribuée à un athlète dopé avant ou après. Cela n’a pas de sens de donner une médaille à quelqu’un qui a déjà été dopé. C’est injuste. »
Pierre-Jean Vazel, favorable à la réécriture de l’histoire
Pierre-Jean Vazel ne partage pas ce sentiment. Le coach a déjà été directement confronté à la redistribution des médailles, son ex-athlète Ronald Pognon faisait partie du relais français recevant a posteriori le bronze olympique de Londres 2012. Pierre-Jean Vazel fait partie également des références de l’athlétisme à travers son blog « Plus vite, plus fort, plus haut », diffusé par le site du Monde.
Et pour lui, la réattribution des médailles se doit d’être effectuée quel que soit son nouveau destinataire, ex-dopé ou pas : « Cela revient à dire Dopé un jour, dopé toujours. Mais cela ne fonctionne pas comme ça. Si l’athlète peut courir sur le plan légal, on ne peut pas s’opposer au fait qu’il ou elle monte sur le podium. » En filigrane, le cas de Hind Dehiba, parée de bronze en 2012, après avoir été suspendue entre 2007 et 2009 pour dopage, et sur lequel son point de vue s’affirme sans nuance : « Sur le plan légal, c’est terminé. Sa suspension est terminée. Rien ne l’empêche de faire des compétitions. Elle a d’ailleurs gagné à l’époque son action contre les Euromeetings, qui ne voulaient plus l’engager, car c’était légalement à l’encontre du code du travail. La seule chose qui demeure contre d’anciens dopés est la nouvelle règle 2015, où ils ne peuvent plus être nominés pour les distinctions annuelles de l’IAAF. C’est d’ailleurs très discutable. »
Pourtant bien sûr, pour lui, se pose une autre question, bien plus importante, celle de savoir si la nouvelle médaille ne risque pas de revenir à un athlète non-propre à l’époque : « Par exemple, en 2007, on testait le top 3 et un athlète au hasard. On pourrait donc faire monter sur le podium quelqu’un qui n’a pas été contrôlé ! »
Un délai scientifique de 10 ans est normal
Malgré tout, pour cet expert, il n’est nullement envisageable de renoncer à ces annulations et réaffectations en dépit des longs délais : « Dans la lutte anti-dopage, la partie analytique a 10 ans de retard. On s’aperçoit que l’EPO a été interdit par le CIO dès 1989-1990 et que le test n’a été considéré comme valable qu’en 2000 à Sydney. Un délai technologique a du sens. Un délai de 10 ans n’est pas anormal. Mais bien sûr, il ne correspond pas au temps médiatique, qui ne dure que 2-3 semaines, et pas plus au temps sportif, qui se compte en quelques années. »
Alors, pour lui, il faut clairement réattribuer les médailles : « C’est la moindre des choses. Et c’est la plus facile à faire. C’est seulement symbolique. Les médailles ne rentrent pas sur les comptes en banque. Dix ans plus tard, il n’y a pas de retombées, et pas de reconnaissance… »
Pourtant Pierre-Jean Vazel s’avoue convaincu que de tels bouleversements ont toute leur légitimité : « On réécrit le début de l’histoire de l’athlétisme. » Avec tout de même pour lui, une petite surprise à constater que les remises en cause ne portent actuellement que sur les lancers, et le demi-fond. Et en filigrane, ce questionnement : « Il n’y a rien sur le sprint. Il n’y a plus rien eu depuis l’Affaire Balco. Je trouve ça très étonnant ! »
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : Gilles Bertrand