Renelle Lamote a franchi un cap cette année en réalisant 1’59’’39 sur 800 et en devenant championne d’Europe espoir à Tallinn. Elle est le pur fruit d’un pôle régional basé à Fontainebleau tout comme Emma Oudiou, Camille Laplace, Johanna Geyer Carles. Explication du scénario par Thierry Choffin le coach en charge du demi-fond.
Le 800, c’est comme un roman noir à la James Ellroy, c’est comme un thriller à la Tarantino. Ca se découpe, ça se charcute, ça s’emballe, ça tourne à la névrose, à l’absolu, à la la romance, au désespoir. Le grand plongeon. Le 800, ça peut s’écrire à la machette, ça peut se filmer au poing. Le 800, c’est l’inconnu.
Le 800, c’est le petit paradis de l’athlé. Un paradis incertain, de craintes et d’espoir. Le grand carrefour de la vitesse et de l’endurance, la croisée de tous les rythmes, de toutes les puissances. Le double tour pour tout affirmer, la sournoiserie, la maîtrise, la diablerie.
Le 800, c’est l’athlé à pied nu. Sans rappel, sans magnésie, sans assurance, en solo. Le vertige des mauvaises assurances, le vertige de l’apesanteur, le vertige de l’aspiration, le vertige des débordements. Le 800, c’est l’inconnu.
Il ronge les sangs, Thierry Choffin planqué aux 200 – 600 en connaît un rayon. Au 200 pour analyser la vitesse, au 600 pour voir le placement. A espérer le scénario utile. Paradoxalement, la pression est moindre. La performance d’Emma Oudiou sur le steeple lui a vidé les batteries d’adrénaline. En bas de page, note du coach, griffonné à la va vite, décodage rapide d’une finale : «Là, Renelle part un peu vite. Donc le scénario n’est pas celui prévu. Au 600, ce n’est pas super vite, donc danger, et ça se confirme ».
Le 800, c’est un chacun pour soi sans pitié, sans retour. Ce n’est pas une stupide lotterie à espérer que le monde s’écroule dans le couloir des voisins. Incertitudes, certitudes : Renelle, c’est une fille qui a un super finish et je pensais qu’elle attendrait un peu plus. Elle avait prévu de partir et de prendre les choses en main le plus tard possible, en fait elle n’a fait que contrôler. Elle contrôle et elle gagne mais elle a ce petit trou vers les 700. Elle a dû- se dire « elle est forte, elle est très forte ». Ca a créé un trou d’air. Mais elle avait tellement envie de gagner que ça rattrape le reste ».
Un 800, c’est de la pression, c’est un caisson à haute tension. Tous les radars sont dans le rouge. C’est de l’acide en barre. Ca décape, ça dérape, ça déjante, ça enchante. Renelle Lamote était sous pression, le coach confirme : « Elle était très bien physiquement mais il y avait de la pression, vous savez lorsque tout le monde dit : » tu vas gagner, tu vas gagner » mais faut-il encore le faire ? Moi, je lui dis : « tu es forte, fais ce que tu as à faire ». Il faut donc modérer, il faut faire baisser cette angoisse, « j’ai peur de, j’ai peur de ». Non, tu n’as pas peur de perdre mais tu as peut-être peur de ne pas maîtriser ce que l’on a prévu ».
Renelle Lamote, l’héroïne de Tallinn est arrivée cadette première année à Fontainebleau. Début du roman, poser les personnages : « Elle arrivait toute jeune de sa campagne, elle n’était pas du tout sur ce registre là, une petite cadette insouciante, l’entraînement n’avait pas nécessairement du sens. Elle venait car elle était en section sportive, avec du talent, mais pas plus que certaines qui ont arrêté depuis ».
Chapitre 2, la prise de conscience, le cadre, en prise avec le 800, en prise avec soi-même, connectée avec ce pôle régional qui attire tous les meilleurs cadets de la LIFA, Fontainebleau en stade de tir avant les grandes batailles. Note du coach : « La prise de conscience, c’est lorsqu’elle remporte le titre de championne de France en juniors 1. Elle ne va pas aux Europe, mais elle est championne de France en réalisant 2’08’’. Là je me suis dit : « elle peut aller loin ». Mais elle n’était pas encore dans la dynamique de l’entraînement, du rationnel, du précis, elle restait dans le global ».
Puis la détermination s’est installée, la persévérance, les espérances, croire en soi, avoir un destin au soleil du 800. Analyse du coach : « Elle s’impose des contraintes, elle arrive à perdre du poids quand il faut, elle mange, elle dort, elle récupère, elle est déterminée à réussir. Elle a une ligne de conduite, elle s’y tient. Un peu impatiente parfois, mais elle n’a que 21 ans donc parfois il faut contrôler. Mais elle écoute beaucoup, tout ce qui est prévu est fait. Elle se dit : « Si je fais ce qui est prévu, je serai bonne ».
« Le haut niveau, elle l’aborde avec son caractère, elle est un peu volubile, extravertie, elle s’enflamme, elle est spontanée »
Fontainebleau, on parle d’un esprit, « l’esprit Choffin… ??? ». L’esprit Jacky Verzier ? Note du coach : « Il m’a entraîné, sans lui je n’aurais pas entraîné, je n’aurais pas eu cette source de motivation, la rigueur, la réflexion, la recherche et puis cette famille, avoir un environnement stable. Jacky nous a inculqués cela ». Un esprit famille, à l’ombre du château et de sa forêt, dans la quiétude des lieux, pour ce pôle et sa quarantaine de jeunes qui accepte pour la majorité d’entre eux, certes l’internat aux lycées Uruguay, Blanche de Castille et Couperin, mais une forme de communion, d’adhésion à un projet sportif et pédagogique managé par Laurent Freund : « A Fontainebleau, on est sur un double projet car on tient à ce que chacun ait une activité intellectuelle. Renelle vient d’avoir sa licence management. L’an prochain, elle rentrera dans une école de management à Paris ».
Sur 800, on peut tout écrire à l’avance, on peut tricoter des kilomètres de stratégies, les meilleures comme les pires celles que l’on réserve secrètement aux autres. Le 800, c’est méchant, c’est ardent, c’est mordant. A Tallinn, Renelle Lamote a mordu dans ce gros gâteau. Elle s’est roulée au sol. Puis à genou, ne tenant plus debout. Elle s’est allongée pour regarder le ciel fondu d’un crème laiteux. Elle s’est balancée, elle a tangué. Le danger…esquivé, le succès à savourer. Note du coach : « Le haut niveau, elle l’aborde avec son caractère, elle est un peu volubile, extravertie, elle s’enflamme, elle est spontanée, elle est extrêmement déterminée, c’est une gagneuse, on l’a vue aujourd’hui. Il faut qu’elle garde cette fraîcheur car ça lui permet d’être concernée par le haut niveau et parfois d’être détachée de la pression ».
Le 800, c’est passionnant. Sur 800, il n’y a jamais de fin. Thierry Choffin cite en exemple Patricia Djate et son record illuminé. Comme un bon polar à écrire, une idée lumineuse : «Il y a une petite lumière au bout du stade, il faut bien avoir des rêves ».
> Texte et photos Gilles Bertrand