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Taoufik Makhloufi, avec le temps, va, tout s’en va ?!

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Taoufik Makhloufi espérait courir sous les 3’30 » à Paris, mais sans succès

 

Après un 1000 mètres explosif à Nancy, Taoufik Makhloufi nouvellement entraîné par Philippe Dupont, s’attaquait sans succès à la barre symbolique des 3’30’’ sur 1500 lors du meeting de Paris. Rencontre.

 
« Mais d’où diable sort-il celui-là ? » avait lancé Steve Cram, l’ancien recordman du monde du 15 et du mile au micro de la BBC dans son beau costume de cadre bobo.  Dans leurs chemisettes blanches bien repassées, Patrick Montel et Bernard Faure, le couple estival de France 2, s’étaient eux aussi enflammés, embrasant l’échafaud pour condamner la performance du coureur algérien, champion olympique d’un 1500 asthénique et tétanisé, dynamité d’un dernier 300 en apesanteur, à la Bekele, à la Gebre, en apnée.  Makhloufi le mal aimé ? Trois ans après s’être drapé dans le drapeau vert et blanc de l’Algérie, Taoufik Makhloufi porte la cuirasse du maudit.

Léo Ferré chantait « avec le temps, va, tout s’en va, on oublie… » Avec Taoufik Makhloufi, rien n’a été oublié. Lui-même, sentiments à vif et cœur sanglant, n’a rien gommé. Depuis ce 7 août 2012, Taoufik Makhloufi et la presse se regardent en chien de faïence, chacun retranché dans les coursives et les arcanes de leur propre vérité. Les uns à distribuer des coups en commentaires trempés, l’autre à chercher l’esquive. Alors ? Pétard mouillé ou bâton de dynamite ?

Taoufik Makhloufi…le scénario était pourtant bien écrit, bien ficelé, bien relié. Un gamin né d’un père militaire qu’il juge ainsi : « Bien sûr qu’il était sévère, il était militaire » et qui s’oppose à ce que son fils devienne coureur à pied. « En Algérie, qu’est ce que l’on voit ? On voit les études, le travail, peut-être acheter une voiture, se marier, avoir des enfants et la mort. Moi, j’ai dit : il faut que je fasse quelque chose dans ce monde-là. Moi, je veux faire une chose spéciale. Il faut trouver le bon chemin».

Taoufik Makhloufi aligne des phrases courtes, parfois hésitantes. Il cherche ses mots. Un bout d’anglicisme traîne par ci, par là. Sa voix est calme, douce, posée. Il vous regarde régulièrement avec profondeur, avec insistance. Il vous scrute, il insiste : « Toi, tu as peux-être cette qualité… Moi, Dieu m’a donné une facilité. Elle est au milieu de moi, elle est dans ma tête ». Il mélange passé, imparfait et présent mais tout s’enchaîne dans une chronologie simple : « On est tous différents. Mais, c’est toi qui décide de réussir ou non. Il faut être croyant, patient. Il faut utiliser les choses qui sont en toi ».

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Taoufik Makhloufi est né à Souk Ahras, « le marché aux lions » à un lancer de tir-pierre de la Tunisie. Il est fier de sa ville de naissance. Il prend même le temps d’expliquer  quelques traits d’histoire d’une ville carrefour des civilisations migrant d’Est en Ouest dans cette partie de l’Algérie et qui a donné naissance à l’évêque St Augustin.

Gamin, Taoufik est actif, hyperactif dirait-on dans nos contrées. C’est un chaoui comme sont désignés les hommes de cette contrée reconnus pour leur caractère bien trempé : « J’aimais beaucoup courir, j’étais dynamique ». A l’école, on le détecte. L’instit qui a vu juste s’appelle Ali Redjimi. Encore aujourd’hui, l’entraîneur n’est pas loin dans les choix de carrière du champion olympique : « Oui, c’est comme un père car je sais ce qu’il a fait pour moi lorsque j’étais enfant. C’est une personne qui a vu en moi un bijou. Il me guide, sans cela je peux être perdu ».  Comme lorsque Ali Redjimi le confie au groupe Brahmia, l’entraîneur fondateur du demi-fond algérien, l’artisan d’un Morceli, d’une Boulmerka, d’une Benida. Ou bien encore, comme il y a peu, à Font Romeu, lorsque pour la première fois, Taoufik Makhloufi rencontre Philippe Dupont.

« Avec le temps, va, tout s’en va, on oublie… ». Non, personne n’a oublié l’affaire Ali Saïdi Sief, médaillé d’argent sur 5000 mètres à Sydney en 2000 puis convaincu de dopage l’année suivante à Edmonton lors des Mondiaux, l’athlète algérien contrôlé positif à la nandrolone. Le coach français qui avait pris sa destinée s’en était trouvé profondément meurtri déclarant même un « plus jamais » qui ne s’oublie pas. Résigné, Il avait décroché de l’entraînement de haut niveau pour reprendre pendant sept ans ses fonctions dans l’anonymat d’une Ligue, celle des Pays de Loire à Angers, son lieu de résidence.

Explication de l’entraîneur national dont la mission auprès de Makhloufi avait reçu au printemps un blanc-seing de la FFA : « J’ai envie de lui faire confiance. Et puis vous savez s’il s’était appelé… » Je lui souffle quelques prénoms chrétiens « je pense que la situation aurait été jugée très différemment ».

« Avec le temps, va, tout s’en va, on oublie… ». Non, car depuis 2012, Taoufik Makhloufi porte un boulet qui raye le parquet de l’athlé. A peine est-il sacré champion d’Afrique sur 800 mètres qu’il quitte le groupe Brahmia. L’entraîneur algérien, rasant depuis trente ans les fonds de couloirs d’une fédération « monarchique », s’impose le silence et refuse de commenter cette rupture à quelques semaines des J.O. Avec amertume, il laisse filer ce jeune coureur que l’on juge certes versatile mais surtout ambitieux, désormais en selle dans l’écurie de Jama Aden, ce coach d’origine somalienne à la tête d’un groupe international dont il est difficile de cerner l’honnêteté. Tout récemment, celui-ci était encore cité lors de deux contrôles positifs, la française Laila Traby qui s’était rapprochée de lui pour monter sur marathon ainsi qu’à travers le cas du jeune qatari Hamzi Driouch. Il cache aujourd’hui les secrets de la réussite de Genzebe Dibaba.

La question est alors légitime : « Mais qui est donc ce coureur ? »

A l’approche des Jeux de Londres, même au cœur du système fédéral algérien, il n’y a personne pour estimer que ce fils de caporal puisse devenir champion olympique. La preuve, on l’inscrit pour un doublé stupide, sur 800 et 1500, précipitant l’athlète dans un imbroglio dont il sera seul la victime. Chronologie d’un foirage médiatico-sportif, son vrai faux abandon sur 800 mètres, une distance qu’il ne souhaitait pas disputer, la sanction de l’IAAF, sa vraie fausse blessure, les atermoiements de la fédération algérienne, et ce certificat médical de complaisance pour l’admettre à courir la finale olympique sur 1500 m. Le sort de Makhloufi est scellé, la presse qui déteste les fiers à bras, se paye le scalp de celui qui pulvérise et atomise la finale du 1500. La question est alors légitime : « Mais qui est donc ce coureur ? »

Le peuple algérien ne se gratte pas autant le fond de l’âme. Les youyous retentissent dans les Aurès et dans la chaleur des médinas. Mais  ce fils de la nation paie cher cette entrée sur scène calamiteuse. Les deux saisons suivantes ne sont pas du niveau d’un champion olympique, une grosse pancarte dans le dos l’entrave dans sa progression.

Finalement, la lune de miel avec Jama Aden ne dure que le temps d’un cierge. La fédération algérienne souffle elle aussi sur la flamme en refusant de signer l’accord de coopération qui avait été annoncé sous les lustres du ministère. Jama Aden et l’Algérie, c’est fini. Jama Aden et Makhloufi, c’est fini.

Tu sais, l’athlétisme, c’est dur. Philippe, c’est l’entraîneur que je voulais

« Philippe, il était dans ma tête depuis 2003 ». Les premiers échanges remontent à cette année là. «On en parlait avec Mahiedine (comprenez Mekhissi). Moi, j’étais seul, lui était seul. Tu sais, l’athlétisme, c’est dur. Philippe, c’est l’entraîneur que je voulais ».

Le 17 janvier, l’athlète en manque de repères s’envole pour les Etats Unis. Il rejoint le groupe conduit par Abderrahmane Morceli, le frère de Noureddine. Une situation transitoire avec dans son sillage, Yvan Scully, un physio rencontré lors d’un stage en Belgique. Ce jeune Irlandais accepte de mettre les mains dans la crème et devient le préparateur physique de l’Algérien : « Tu sais, il est jeune, comme moi. On s’entend bien. Son rôle, c’est le stretching, les massages, les exercices en salle, le niveau de récupération musculaire. C’est comme un mécanicien ».

Ce court séjour en Californie, Taoufik Makhloufi en profite pour régler le conflit l’opposant à sa fédération. Il reçoit la visite d’un émissaire en charge d’apaiser une situation ternie par de basses considérations financières. On lui refuse le passeport diplomatique qu’il espérait obtenir mais il négocie finalement une bourse confortable pour préparer Pékin puis Rio, s’ajoutant à ses contrats Nike et Mobilis, un opérateur de téléphonie local ainsi qu’à son salaire de cadre chez Sonatrac, le tout pour une somme dépassant les 300 000 euros.

Philippe est très proche de l’athlète. Il nous connaît et connaît des français originaires d’Algérie

C’est finalement à Colorado Springs, une cité d’altitude, non loin de Denver, que Taoufik Makhloufi rejoint Philippe Dupont en stage de printemps avec une équipe de France demi-fond, décimée par les blessures. Les premières photos sur Facebook et Twitter circulent. Yvan Scully est également du voyage. Il ne fait plus de doute que Philippe Dupont a sauté le pas, une information officialisée le 23 avril (via SPE15) par Abdelkrim Sadou, le DTN de la fédération algérienne. Les arguments du champion olympique : « Avec Philippe, les choses sont plus étudiées, plus programmées et Inchallah, on fera de grands résultats dans l’avenir. Philippe est très proche de l’athlète. Il nous connaît et connaît des français originaires d’Algérie. Il connaît notre mentalité. Je sens qu’il écoute. Philippe, son expérience dans l’athlétisme, c’est plus que mon âge. Je vais profiter de cela ».

Depuis cette prise de contact dans le centre olympique américain, Taoufik Makhloufi a rejoint Angers. Il y loue un pied à terre, à deux pas d’un petit restau égyptien. Il a fait l’acquisition d’une voiture pour faciliter ses déplacements : « C’est une belle ville, c’est mignon. Je suis tranquille. Je descends prendre mon café, les gens sont sympas. Le stade, c’est à cinq minutes seulement ».

Eugene, Nancy, Paris, il y a eu du bon et du moins bon en cette première partie de saison. Il rassure : « C’est un nouveau départ avec Philippe. J’ai mon entraîneur, j’ai mon kiné, maintenant, c’est le travail. Maintenant,  il faut des grands chronos ». A Nancy, sur 1000 mètres, le public a retrouvé le style Makhloufi, 2’13’’08, quatrième temps mondial derrière Ngeny, Cram et Coe et du boum boum dans le dernier 200. « Avec le temps, va, tout s’en va, on oublie… ». Non, on ne peut faire oublier sa marque de fabrique, la griffe du lion de Souk Arhas, décortiquée, critiquée, vilipendée sur fond de suspicion généralisée. Il esquive une nouvelle fois : « Dieu m’a donné cette facilité ».

> Texte et photos Gilles Bertrand

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