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Francine Niyonsaba, après le trou noir, l’espérance

Francine Niyonsaba sur la piste d'Eldoret où elle retrouve ses marques
Francine Niyonsaba sur la piste d’Eldoret où elle retrouve ses marques

2012 voit surgir de nulle part la Burundaise Francine Nyonsaba qui, en une seule année d’athlétisme, se place au plus haut niveau de la hiérarchie mondiale sur 800 mètres. Après deux années de blessures, de doutes et d’errance, celle-ci est de retour. Rencontre à Eldoret au Kenya où elle s’entraîne.

 

Simba se cache toujours derrière une grosse casquette et de belles moustaches qui ont blanchi ces dernières années. Il porte de grosses lunettes, là aussi le temps a fait son œuvre maligne. Mais il a gardé cette démarche chaloupée et gracile comme lorsqu’il commandait les troupes dans le camp de Moses Kiptanui ou bien encore dans une autre vie lorsqu’il était sur scène au sein d’une formation afro beat.

Aux abords de la piste d’Eldoret, j’ai retrouvé Simba entouré d’une paire de jeunes athlètes intimidés. Un Mozambicain clone de Maria Mutola, un Seychellois mince et souriant, un Rwandais inquiet et refusant de parler français et une jeune fille aux allures de mec, sur laquelle je pouvais mettre aussitôt un nom sur le visage. Il s’agissait de Francine Niyonsaba.

« Non les émeutes, c’est juste à la capitale. Ma famille, non, elle n’est pas touchée »

Elle portait quelques artifices, des boucles d’oreille en toc, une coiffure en tresses. Avec le même regard affranchi, la même voix qui balance entre les graves et les aigus et des gestes de jeunes hommes appuyés, en somme une allure de garçon manqué. Je me suis inquiété de son pays, le Burundi, une nouvelle fois plongé dans le chaos après cette tentative de coup d’Etat poussant un peuple divisé au bord du précipice. Francine s’est montrée rassurante : « Non les émeutes, c’est juste à la capitale. Ma famille, non, elle n’est pas touchée. C’est la campagne là-bas. Il n’y a pas de danger ».

Francine Niyonsaba a pris le chemin du Kenya il y a peu. Deux postes frontières à traverser, une grosse journée de voiture, un voyage toujours périlleux et incertain  et une destination, Eldoret, cette ville régionale qui avant d’exploser sur le plan économique, s’est fait connaître comme l’épicentre de la course à pied au Kenya. A quelques encablures du centre ville qui chaque jour est livré à l’hystérie collective,  dans une banlieue agricole dévorée par une croissance galopante, le centre IAAF se niche entre deux bordées d’eucalyptus, à deux pas de la route de Nakuru.

Malgré son grand âge, c’est là que Simba entraîne toujours dans un centre agréé IAAF, créé dans l’enceinte même de la ferme du vieux patriarche Kip Keino. Et c’est dans ce refuge rustique que la Burundaise a trouvé escale après deux années d’errance, de blessures, d’espoirs déçus et autant de forfaits.

Elle termine cette première année d’athlétisme seconde au bilan mondial, 1’56’’59 accroché aux lustres du 800

A 20 ans, comme Pamela Jemilo et Caster Semeya avant elle, Francine Nyonsaba débarque sans crier garde en 2012 dans l’enceinte du 800. La vaisselle tremble. Dans un style désordonné, cette fille de la campagne déménage. 2’09’’, 2’06’’ puis 2’04’’, sans entraînement ou presque à l’exception des cours d’EPS, Francine est une exception. Elle confirme à Porto Novo, championne d’Afrique, elle assure en demi finale des J.O. de Londres avant de se blesser juste avant la finale qu’elle termine à la septième place. Son pays la voyait déjà au septième ciel, il pleure sa déception. Elle termine cette première année d’athlétisme seconde au bilan mondial, 1’56’’59 accroché aux lustres du 800, deux victoires, Bruxelles et Rieti, deux secondes places, Berlin et Monaco. 2013 semble tout aussi prometteur, victoire à Shanghai et à Eugene…c’est peut-être la confirmation, non, c’est le trou noir.

Au pays, on se déchire autour de cette gamine, pas encore femme, qui au lycée Sheppers de Bujumbura, porte encore de grandes jupes de coton bleu et des chemises blanches de garçon. Le Ministère, les entraîneurs, les conseillers, Francine n’est pas de carrure à lutter contre les convoitises et les donneurs d’ordre. Elle se blesse et disparaît des radars.

« Le record du monde, je le rêvais »

2014, quelques photos circulent d’elle sur Facebook. Ses fans l’interpellent « tu as grossi, tu ne t’entraînes plus ?». Depuis le mois de janvier, elle séjourne aux Etats Unis chez Diane Nukuri, une Burundaise qui vit de la course sur route. Grâce à Nike, une place lui a été offerte dans une université californienne mais son adaptation est un échec.  Retour au pays.

Malgré les interrogations sur son côté « masculin », l’IAAF n’a pas lâché cette athlète en désespérance. Elle lui propose une chambre, le vieux Simba comme entraîneur, un petit groupe dans le centre d’Eldoret, Francine a fait son sac, animée par ce désir profond de réussir, déjà identifié par ces instituteurs qui l’ont mise sur le droit chemin. Utilisant l’imparfait pour exprimer le présent, elle dit toujours : « le record du monde, je le rêvais ».  A Nakuru, en avril, sur une piste de poussière et de terre sombre, elle réalise 2’10’’ en altitude. Sur l’anneau rose d’Eldoret, elle s’accroche à la bonne foulée, 2’04’’ en manuel. Francine peut encore rêver du meilleur.

> Texte et photo Gilles Bertrand

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