A 42 ans, Haile Gebrselassie vient de mettre un terme à une carrière internationale d’une longévité exceptionnelle. Dimanche, après avoir disputé sa dernière course lors des 10 km de la Great Manchester Run, il annonçait sa retraite sportive.
Haile Gebrselassie a tout réussi, même sa sortie de scène pour annoncer sa retraite sportive. Sans gala, ni fanfare. De la façon la plus simple, la moins prétentieuse. Dans sa tenue d’apparat, dans son costume de travail. Juste après avoir disputé sa dernière course lors de la Great Manchester Run. Trente minutes de foulées appuyées et puis s’en vont.
Pas de larme, juste un grand sourire et des mots simples pour dire « c’est fini ». The end pour une histoire qui aura duré 24 ans au niveau international. Une longévité exceptionnelle qui pourrait être interprétée comme un cas clinique. Haile Gebrselassie traversant les années, les catégories de junior à vétéran, les Mondiaux, les J.O., les continents, jonglant avec les distances, de la piste au marathon.
Des regrets, il ne peut en avoir. Lui le gamin de ce grand plateau de l’Abyssinie oubliée, monté à la capitale un jour de juin 1988, pour courir et trouver son destin. Celui d’un coureur d’exception, 2h 48’ à 15 ans, doué d’un talent presque insolent. Il s’est nourri de ses succès, de ses rencontres, de son appétit de savoir et de vouloir, pour devenir l’homme public que l’on connaît.
Cet appétit d’ogre à engranger les succès malgré une vie de ministre
L’histoire de l’athlétisme retiendra ses deux titres olympiques sur 10 000 mètres en 1996 puis en 2000, ses onze titres de champion du monde dont quatre de suite sur 10 000 et ses 25 records du monde, dont le plus récent, 2h 03’59’’ sur marathon à Berlin en 2008.
Mais l’histoire de celui que l’on surnomma L’Empereur ne s’arrête pas à ce décompte vertigineux. Gebre irradiait comme coureur, comme entrepreneur, comme ambassadeur, comme organisateur. Taquin et malin. Souriant et avenant, sans faux semblant au premier abord. Courtois en gentleman des champs, des pistes et de la ville, sa ville, Addis Abeba où ce fils de fermier est devenu sans Bac ni MBA, un entrepreneur avisé, ambassadeur courtisé et organisateur émérite, lui seul capable de réunir 60 000 marcheurs et coureurs pour la Great Ethiopian Run. Une affaire de famille prospère, un frère Assefa en redoutable gestionnaire, plus d’un millier d’emplois créés, des investissements dans les secteurs de l’immobilier, de l’automobile, de l’hôtellerie de luxe, des écoles, et même un cinéma dans Bole Street. Un Gebre, ni avide, ni cupide, juste entreprenant pour le bien de sa ville et de son pays enfin sur le chemin de la pleine croissance.
Haile Gebrselassie le cuirassé…les années ont passé. Rien ne semblait avoir de prise sur cet enthousiasme juvénile à courir. Sur cet appétit d’ogre à engranger les succès malgré une vie de ministre. Une vie réglée comme une séance de 20 x 400, à la seconde près pour repousser les limites du possible et les contraintes d’un quotidien harassant, vite douché, vite en costumé.
Gebre le magnifique, porteur d’espoir de tout un peuple
Haile l’amiral qui a croisé dans toutes les mers, seul sur le front de toutes les batailles avec, dans son ombre, son routeur, son majordome, son ordonnancier, son mentor, Jos Hermens. 1997, Gebre l’envahisseur, trois records du monde et quatre de champion du monde en un doublé 5000 – 10 000 à Athènes. 2000, Gebre le flibustier et Tergat en supplicié sur la piste de Sydney. 2003, Gebre la première faille, les premières blessures, les premières interrogations, l’arrivée de Kenesissa Bekele. Sa première défaite à Hengelo, sa défaite au Mondial de Paris. Une nouvelle ère s’ouvre, celle de Bekele. 2006, Gebre le marathonien, enfin. A Londres dans la souffrance, seulement neuvième. Il apprendra le métier, c’est un besogneux pour ensuite dompter la bête. Gebre en impérialiste des routes, deux fois recordman du monde sous la porte de Brandebourg à Berlin, 2h 04’26’’ en 2007 puis 2h 03’59’’ l’année suivante. Il met le monde à ses genoux jusqu’en 2012 où il échoue pour une cinquième sélection pour les J.O. La cassure, Gebre ne sera jamais champion olympique sur marathon. Un affront.
Haile Gebrselassie, le ministrable, a ainsi croisé la route de tous les grands de ce monde. Sans oublier de saluer tous les sans grades, les anonymes qui ont rêvé sur cette foulée d’une précision horlogère. Paradoxalement, Gebre n’a jamais nourri la suspicion sur certains de ses records, sur cette longévité qui a soulevé l’admiration. Le respect s’est imposé. Gebre le magnifique, porteur d’espoir de tout un peuple, Gebre en symbole d’une réussite qui n’est le fruit d’aucun hasard. Gebre en petit fils de Bikila, en souverain qui laisse vide son siège pour des prétendants qui n’auront jamais son charisme, son charme et son sourire. Gebre était unique.
> Texte et photos Gilles Bertrand