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La marche KO, Gérard Lelièvre et Pascal Chirat s’expriment

Bertrand Moulinet, le regard sombre à son arrivée des 20 km à Moscou
Bertrand Moulinet, le regard sombre à son arrivée des 20 km à Moscou

Coup de grisou dans le petit monde de la marche française. Au lendemain de l’annonce de cette affaire de dopage touchant cette discipline, Gérard Lelièvre qui fut le conseiller de Bertrand Moulinet jusqu’en 2012 et Pascal Chirat, le responsable marche à la FFA s’expriment à coeur ouvert.

 

La réaction de Gérard Lelièvre : « Je suis atterré. Mais je le trouvais limite. »

« Atterré ». C’est le terme qu’emploie Gérard Lelièvre pour décrire son état d’esprit après avoir appris en ce matin du 23 avril le contrôle positif de son ex-protégé, et la perquisition effectuée dans son chalet de Font Romeu. La nouvelle l’a stupéfait, mais pas tant que cela tout de même, car il lâche de suite ce commentaire : « Moi, je l’avais souvent mis en garde par rapport à ses fréquentations. Il avait beaucoup de relations avec les pays de l’Est. On en avait souvent discuté. Il avait aussi beaucoup de connaissances dans le domaine de la médicalisation. »

L’ex-coach ajoute aussi : « J’apprécie entre guillemets sa franchise. Il avoue s’être dopé. Souvent les athlètes cherchent des excuses. » Et de souligner aussi avec un brin d’émotion : « Au-delà de la sanction sportive, j’ai peur pour sa vie d’homme. Pour sa vie professionnelle. »

Ces préambules posés, Gérard Lelièvre essaie de comprendre, et revient d’abord sur leurs années de collaboration, s’étalant entre 2008, et 2012. Un travail en commun débutant alors que l’ex marcheur Lelièvre est encore le responsable national de la marche, et dans la foulée d’une longue relation d’amitié entre Lelièvre et Alain Moulinet, le père de Bertrand.

Et sur cette longue période, le coach est formel : « Sur les seuls critères objectifs, ceux de l’entraînement, je n’ai rien vu d’anormal. Il ne se situait pas à un niveau qui ne correspondait pas au programme. Les séances réalisées suivaient des courbes normales. Il n’y avait rien d’anormal. »

Selon lui, le doublé 20 km – 50 km réalisé par Bertrand Moulinet à Londres s’inscrivait dans cette même logique : « Je l’avais vu en stage à Font Romeu avant les JO. Il a suivi une progression linéaire sur les 4 ans. La progression d’un athlète se donnant à 100% à sa spécialité. Il avait adopté un mode de vie totalement différent. Il suivait à la lettre l’entraînement et la diététique. Je n’ai jamais vu un athlète aussi consciencieux pour ses repas, il pesait tous ses aliments. Vu tous les efforts faits, cela me paraissait logique. »

Malgré tout, Gérard Lelièvre ne veut pas dissimuler certaines réticences vécues durant ces quatre années : « Je l’avais mis en garde. Il était très proche des Russes et des Ukrainiens. Il était souvent en Ukraine, pays de son amie. Les Ukrainiens souvent chez lui. Il aurait pu vite franchir le pas. Surtout qu’il avait beaucoup de connaissances médicales. C’était de notoriété publique qu’il savait se rééquilibrer de manière naturelle. » Vitamines, compléments alimentaires, boissons diététiques, le jeune Bertrand maniait les choses avec assurance, mais l’ex coach soutient : « Il restait dans le domaine autorisé. Ce n’était pas plus que les autres. Quand on marche 40 à 50 km par jour, il faut bien les vitamines et boissons. » Et surtout, il avait été tranquillisé par sa proximité avec l’athlète : « Oui, j’ai craint qu’il franchisse la ligne rouge. Mais j’ai vécu plusieurs semaines chez lui, et j’ai été rassuré. Il ne franchissait pas les limites, il était conscient des risques, et des enjeux. »

Mais Gérard Lelièvre a quasiment perdu tout contact avec le marcheur depuis la fin de leur collaboration, en décembre 2012, et il s’interroge : « Est-ce qu’il a pris ce produit pour guérir plus vite ?? ». Après la réussite des JO, Bertrand Moulinet décide de voler de ses propres ailes, l’ancien coach accuse le coup, mais se veut compréhensif : « Il vivait à Font Romeu. Moi à Laval, à 800 km. On échangeait par mail et téléphone. On se voyait 2-3 fois par an pour des stages. Il préférait se gérer seul. Il se connaissait parfaitement, il voulait prendre en charge lui-même son entraînement. C’était plus facile de modifier selon les conditions météos, les connaissances. Il en était capable, car il avait beaucoup de connaissances en biologie et physiologie. »

Au fil du temps, Bertrand Moulinet avait acquis un back ground varié, car comme l’explique Gérard Lelièvre : « Il était très intelligent. Et très curieux. » Il avait donc beaucoup appris, et également au contact des marcheurs de l’Est : « Il avait voulu faire l’expérience du camp d’entraînement de Victor Chegin en Russie. Celui-ci n’était pas encore décrié comme maintenant. Il voulait élargir ses connaissances. Il était revenu très motivé. » C’était dans l’hiver 2011, juste après son difficile championnat du monde de Daegu, qu’il avait eu du mal à encaisser, avoue Gérard Lelièvre : « Cela n’avait pas été facile. C’était normal, il était jeune, il avait besoin de souffler. Il était revenu progressivement. Puis une fois lancée la préparation pour les JO, il ne pensait plus qu’à l’entraînement. »

Avec en objectif, ce doublé 20 et 50 km qui avait déjà suscité des questionnements chez quelques observateurs. Mais Gérard Lelièvre réfute tout soupçon : « On avait planifié ça depuis longtemps. Les conditions étaient excellentes. On était logés à 30 minutes du stade, près d’un parc. Il avait son kiné avec lui. Pour récupérer le mieux possible du 20 km, dans l’optique du 50 km. »

Avec ce doublé, Bertrand Moulinet cherchait-il à se mettre en évidence pour sortir de l’ombre dans laquelle il s’était retrouvé avec l’explosion de Yohan Diniz ? La réponse est double : « Il était admiratif de Diniz. Il ne souffrait pas de sa notoriété. Au contraire, cela lui retirait de la pression. Mais il était très ambitieux. Il a toujours voulu être le meilleur. Il a tout fait pour le devenir. Il a peut-être TROP fait ! »

Et au moment de conclure, les pensées de Gérard Lelièvre sont multiples : « C’est vrai, au fond de moi, je le trouvais limite. Mais à aucun moment, je pense qu’il l’a fait pendant que je m’en occupais. » Pourtant cet ancien marcheur et ancien DTN insiste : « Cela fait mal à tout le monde. A la marche en premier. On va fait l’amalgame, on mettra toutes les performances en doute. Je pense à lui aussi. A cet âge. Quel gâchis ! Il était solide mentalement. Techniquement. Physiquement. Je le voyais sur le podium à Rio ! Et je pense aussi à son père. Il s’est consacré nuit et jour à sa réussite. »

Et il répète encore : « Quel gâchis ! »

 

La réaction de Pascal Chirat : « Je n’ai aucune compassion, je condamne et il doit payer »

Un stage équipe de France de marche a débuté la veille à Aix les Bains. Il est 22h, les SMS tombent, les alertes facebook crachent l’info de SPE15, Pascal Chirat averti le premier par un proche du monde de la marche est le premier à accuser le coup. Il est sous le choc avec comme premier réflexe, préserver au moins cette première soirée en attendant d’en savoir plus sur cette triste affaire. D’autant plus que la marche est une toute petite famille avec des liens étroits. Il a peur du séisme.

Voici la réaction à chaud du référent marche auprès de la FFA et qui fut entraîneur de Yoann Diniz :
«Oui, on a pris un coup sur la tête. On a veillé tard. Bertrand était contrôlé comme il se doit compte tenu de son niveau international. La France est un pays où existe une vraie politique anti-dopage. Et il faut avoir confiance dans ce système. On ne peut pas avoir un regard différent selon les athlètes. C’est pour cela que l’on ne peut pas faire justice nous même.
Si quelqu’un triche, il va faire tôt ou tard une erreur et il tombera. Sauf que parfois cela arrive tard. Je n’ai aucune compassion, je condamne et il doit payer. Reste à savoir qu’est ce qu’il a volé ? Et depuis combien de temps ?
Je continue de penser que la performance est le fruit du travail. Je suis toujours attentif aux courbes de performances qui doivent avoir une certaine régularité. Ainsi, doit-on mettre en doute toutes les performances ?
Interrogé sur le doublé 20 km – 50 km réalisé lors des J.O. de Londres par Bertrand Moulinet, un an après Daegu, Pascal Chirat a cette analyse sans laisser planer aucun doute apparaître : «Entre un Mondial et les J.O., il y a une énorme différence. Tout le monde se prépare en conséquence pour les J.O. Pour Bertrand ce fut le summum de sa carrière. Il a fait des choses qu’il n’avait jamais faites, 3 années pour arriver à cela ».

Après la débâcle russe, cette affaire tombe mal pour la marche athlétique, par ailleurs souvent décriée pour d’éternelles histoires de jugement. Pascal Chirat, l’équipe de France et la FFA surfaient sur l’image positive apportée par Yoann Diniz suite à ses médailles (Zurich bien entendu) et ses records du monde (sur 50 km et 20 km). Aujourd’hui, une ombre plane à nouveau. Le coach espérait une médaille d’or pour ce collectif gonflé à bloc à l’occasion de la prochaine Coupe d’Europe organisée à la mi mai en Espagne. En express, il déclarait : Avec mon staff, on ne va pas sombrer à cause de cette affaire. Il faut d’abord se réjouir que la lutte anti dopage porte ses fruits mais il faudra vite se rebâtir et rester mobiliser pour les évènements futurs ».

> Réactions recueillis par Odile Baudrier et Gilles Bertrand

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