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René Auguin, dans l’ombre et la lumière de l’athlé

En 2014, c'est grâce à René Auguin que K. Bekele dispute son premier marathon à Paris. La veille, il pose sur cette photo en affichant le chrono final espéré !
En 2014, c’est grâce à René Auguin que K. Bekele dispute son premier marathon à Paris. La veille, il pose sur cette photo en affichant le chrono final espéré !

René Auguin a connu les années Spiridon et la montée en puissance du running en France. 30 ans plus tard, il est devenu l’agent le plus influent de l’athlétisme français. Parcours insolite de celui qui fut président de club à l’âge de 20 ans.

Il y a des moments de solitude que l’on ne partage pas. Seul en ce bas monde ! Kirk Douglas le raconte si bien lorsqu’il évoque le passé libertaire de Cannes, avant cette furie cinémaniaque qui envahit désormais la Croisette. L’acteur des Sentiers de la Gloire de Stanley Kubrick, marchant seul entre le Carlton et le Majestic. Une blonde aux lèvres, libéré des marches, de la grande salle et de LA projection.

Chaque année, René Auguin, sur les Champs Elysées, a son moment de solitude. Lorsqu’il monte sur sa 750, qu’il met le casque, qu’il met le contact, qu’il ajuste ses gants de cuir, qu’il enclenche la première. Au compteur, c’est calé, 20 km/heure. C’est parti. Sans se retourner, sans voir cette déferlante, cette furie marathonmaniaque martelant déjà le pavé seigneurial de Paris. Il raconte : « L’an passé, lorsque Bekele a des crampes au 30ème, je n’avais plus qu’une envie, que tout cela se termine au plus vite. Pendant douze bornes, tu sers des fesses. Finalement, j’ai eu un coup de chance ».

René Auguin, c’est l’agent des stars de l’athlé, c’est lui qui veille au succès des plus gros meetings français et marathons en choisissant ceux et celles qui rentreront sur l’anneau, ceux et celles qui suivront au millimètre cette ligne bleue en une main courante pouvant conduire à l’excellence. Il est dans l’ombre des succès, dans le noir des coulisses, le doigt sur le rideau à plonger son regard dans la lumière.

« Aux 24 heures de Gap avec le club de Moussy, on avait gagné un voyage pour Londres »

Il est 8 heures du mat, René a ses habitudes. Il dévale quelques marches, pousse la porte du café de la Poste dans le 18ème. Il n’a pas besoin de répéter « un crème et un croissant ». Le patron, la patronne, ils sont de vrais amis. Il précise : « C’est ma cantine ». Il y aime le bruit, les odeurs, les petites phrases à la con de ceux qui ont un avis sur tout. Il a déjà le téléphone connecté « c’est mon unique bureau » pour ne pas louper les fagots de ragots qui se bousculent au portillon de l’info, pour connaître qui a fait quoi, qui va faire quoi, pour brasser en quelques chiffres, quelques chronos, une actu qui périt aussi vite que de laisser refroidir son petit crème.

A 16 ans, René s’est fait la malle en quittant le domicile familial. Il n’a qu’un souci en tête, gagner sa vie et son indépendance. A 18 ans, c’est l’armée. A 20 ans, il est déjà président de club, à Mitry-Mory, une section FSGT, rien de plus normal dans cette ville rouge coco. Il souligne : « Je me suis toujours occupé plus des autres que de moi ». Côté boulot, il bricole, un temps à la préfecture de police.

Il court aussi, même bien, 2h 23’33 à Vienne en Autriche avec les copains de Moussy le Neuf. « La grande époque ? ». Il réfléchit à deux fois avant de confirmer « Oui on peut dire ça ». Les années 80, les années Spiridon : « On sillonnait la France ». Il cite un exemple : « Aux 24 heures de Gap avec le club de Moussy, on avait gagné un voyage pour Londres ». Au Petit Tour du Rouergue, dans une terre cul bénite, on le voit poser au pied d’un calvaire qui orne chaque carrefour de ce coin du Ségala, en route pour remporter une épreuve symbolique d’une époque révolue.

En 2013, à Des Moines, il accompagne R. Lavillenie lors des Drakes Relays
En 2013, à Des Moines, il accompagne R. Lavillenie lors des Drakes Relays

Quant à devenir manager ? Loin de lui cette pensée, d’ailleurs, le métier n’existe toujours pas en athlétisme et la course hors stade vit des heures un poil militantes, un poil commerciales, un monde bercé d’illusions qui se cherche encore. Le business décomplexé du running est encore balbutiant. Le premier à se lancer sera Bruno Cavelier, René Auguin est de l’aventure. Ils sont dans le même club, dans les mêmes voitures pour courir dans le Beaujolais ou à Mende. Ils font la paire. Sur les mêmes banquettes à faire des bières les soirs de podiums. C’est un métier qui ne s’apprend pas dans les livres même si désormais une licence est obligatoire pour exercer. « Je me suis formé tout seul ». René décline les règles de base d’une profession souvent décriée, souvent mal jugée : « Les organisateurs, il faut apprendre à les connaître. Et les athlètes, il faut gagner leur confiance ».

En 2000, il change de braquet. Il prend de l’étoffe en s’associant à Laurent Boquillet lorsque celui-ci crée la société Isport : « Hicham El Guerrouj lui avait demandé de s’occuper de ses intérêts. Et les principaux Français suivent comme Christine Arron et Eunice Barber ». René Auguin se rôde. Billets d’avion, jet lag, négociations des primes, petits et grands caprices de certains et certaines. C’est le métier, son pain quotidien. Une expérience de cinq années prenant fin lorsque la carrière du recordman du monde du 1500 mètres se meurt. Laurent Boquillet met du large et René se lance seul. Dix ans tout juste, le 8 avril 2005, c’est un jour de Marathon de Paris qu’il crée sa propre société Dana Sport avec à ses côtés Gwenaël Vigot. Aujourd’hui la société pèse 60 athlètes et 17 courses dont il gère directement les plateaux, épaulé par Benjamin Soreau qui intègre la société en 2006.

« Je ne me sens pas vieillir »

Manager, malgré les apparences et les idées reçues, c’est un métier de passion. « On n’y vient pas pour faire des coups, sinon on meurt ». Pour René Auguin, le constat est simple. Pour durer, les règles sont finalement claires. Il les résume ainsi : « Tu ne dois jamais intervenir sur l’entraînement, tu ne dois jamais conseiller sur des placements d’argent. Sur le plan financier, tu dois rester totalement transparent. On est là pour défendre les intérêts des athlètes. La jubilation, ce n’est pas de signer des gros contrats, c’est sur la piste, c’est le résultat. Si tu ne penses qu’à l’argent tu ne dures pas».

C’est un métier où l’imprévu, l’inattendu, l’imprévisible peuvent tendre les nerfs. René Auguin prend cela avec détachement. Il ne joue pas à se faire peur, il ne pose pas le coude sur la table pour d’imbéciles bras de fer. Il est placide et quelque part, résigné. A prendre des coups ? « J’ai un pare feu, je n’attire pas les parasites ». A s’attacher et à se détacher lorsque les carrières s’enflamment ou lorsqu’elles se consument trop vite. « J’ai de la pression positive ». Et lorsqu’il ajoute « j’ai la chance de ne pas travailler », il pourrait faire hurler ses anciens copains badgés Spiridon. Il se laisse ainsi dériver au gré des instants historiques, il cite Tamgho à Doha, Diniz à Zurich, Bekele à Paris, Lavillenie à Donesk. Il énumère les noms de ceux qu’il a lancés sur la route du marathon Kipsang, Kebede, Biwott, Ramaala, Kipruto, printemps après printemps, comme des feuilles que l’on ajoute à son arbre généalogique. Il ajoute : « Je ne me sens pas vieillir ».

René Auguin n’a ni femme, ni enfant, une vie sociale hachée menue. « Tu me demandes si je suis un solitaire ? Oui, non, je ne sais pas répondre ». Depuis 17 ans, il vit seul, le café de la Poste comme cuisine personnelle et son côté familial rassurant. Il parle avec pudeur, des siens, de ses parents qu’il voit peu. Il est sur la route, dans les nuages, 110 vols en 2014, 130 nuits à l’hôtel. Il annonce cela comme des records. Il ajoute : « Je ne possède rien. Que ma moto que je me suis offerte à Noël ». Il se ravise : « Enfin, bon, je viens d’acheter un trois pièces déjà meublé dans le 18ème ». Il n’a jamais le temps de se regarder dans une glace. Il glisse simplement : « Je ne cherche pas à savoir qui je suis ».

> Texte et photo Gilles Bertrand

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