A 32 ans, Liu Xiang médaillé d’or aux J.O. d’Athènes en 2004 et ancien recordman du monde du 110 mètres haies avec un temps de 12’’88, a décidé de mettre un terme à une carrière qui aura été contrariée par les blessures à répétition.
200 journalistes viennent de s’entasser dans une salle blanche comme une cabine d’essayage. Il fait chaud, il fait lourd, les premiers rangs sont occupés par la presse chinoise qui machouille stylos et magnétos. La tension est à son comble, une rumeur sourde tourbillonne, en fond de salle, les cameras font le point sur le pot de fleur qui orne une table nappée de rouge.
Hai Xiaoping se présente seul face à la presse. La tête sur le billot. Des larmes dans les yeux, la voix sanglotante et chevrotante. Il fait le sale boulot. Comme un procureur chargé d’annoncer les circonstances d’un décès macabre.
La scène est toute aussi pesante, Hai Xiaoping cherche ses mots pour expliquer la course avortée de Liu Xiang. Véritable big bang survenu dans le nid d’oiseau lorsque le hurdler chéri d’un peuple, membre du parti et self made man d’une Chine vouée au capitalisme d’Etat, renonce à courir sa série qualificative alors qu’il a déjà les doigts posés sur le tartan. Un renoncement qui donne la gueule de bois à tout un stade et une Chine médusés. Le champion olympique est à genou, blessé, meurtri, poignardé. Il ne s’en remettra jamais totalement.
La Chine n’est nullement une nation d’athlétisme. Dans un pays où les pongistes aux bras de pin up sont traqués comme des rocks stars, à l’inverse, coureurs, lanceurs et sauteurs sont des inconnus, transpirant seuls dans des stades de béton gris et vides. L’athlétisme souffre même d’une image désastreuse confrontés à de multiples affaires de dopage éclatant dans chaque province où la cure d’anabo reste la méthode la plus sûre pour faire du muscle à bon compte.
Liu Xiang, champion olympique du 110 mètres haies à Athènes en 2004 et recordman du monde, la Chine s’empare de ce jeune homme qui incarne cette jeunesse conquérante mais passive et fidèle au parti. Il est beau, sexy, siège avec prestance au rang des notables du PC. Bon petit soldat et médium pour toute une économie florissante qui s’arrache la bobine du hurdler s’imprimant sur les canettes de soda.
2004 – 2008, les années pré-olympiques…pour Liu Xiang, c’est le paradis en enfer, ou l’inverse. L’homme et son coach ne s’appartiennent plus. Il capitalise sur son nom, sur ses performances. Certes, son compte en banque fait jeu égal avec les pongistes, mais l’étau se ressert. Liu Xiang n’est plus un citoyen libre dans une dictature qui verrouille encore férocement la liberté d’écrire et de s’exprimer. On le traque, on l’ausculte, on lui cherche des petites amies, on veut tout savoir pour tout écrire. L’attention redouble même l’été 2006 lorsqu’il bat le record du monde lors du meeting de Lausanne en 12’’88 puis à Osaka lorsqu’il remporte le titre mondial en 2007. Liu Xiang est sacré dieu des stades. Pour le chinois moderne, un doigt coincé dans le petit livre rouge et la main posé délicatement sur le volant d’une grosse Benz, c’est le gendre idéal incarnant l’avenir du pays.
Liu Xiang grand albatros déchu, s’effondre dès la première haie
Les Jeux approchent, la Fédération pourtant très dirigiste et protectionniste comprend trop tard que le mal est déjà fait. Conduire un entraînement de haut niveau et accepter les maintes sollicitations à la fois du pouvoir politique et économique, est plus délicat que de franchir en quelques foulées la muraille de Chine. Liu Xiang se blesse et les J.O. tournent à une farce aigre doux.
Dès lors, la carrière de Liu Xiang ne va tenir qu’à un fil, qu’à ce maudit tendon d’Achille qu’il va soigner, opérer, reposer, soigner encore et toujours avec parfois des éclaircies lui laissant espérer durablement le meilleur, comme à Daegu puis à Istanbul, par deux fois médaillé d’argent.
Et comme la farce aigre doux se mange froid, les Jeux de Londres tournent à nouveau au drame, Liu Xiang grand albatros déchu, s’effondre dès la première haie. The end.
A l’approche des Mondiaux de Pékin, certains ont pensé secrètement que Liu Xiang pourrait enfin briller au cœur du stade olympique pour laver l’affront des J.O. de 2008. A 200 jours du Mondial, l’annonce est tombée auprès des agences mondiales via son entraîneur de toujours. A 32 ans, Liu Xiang a décidé de mettre un terme à sa carrière. Désormais, il pense à se marier, à construire une famille avec un…deux enfants et faire fructifier une fortune amassée en 12 ans de haut niveau. Sans oublier bien entendu le parti, fils encarté et dévoué à la nation, à jamais.
> Texte et photo Gilles Bertrand