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Toumany Coulibaly, la fin des dérapages ?

Avec un record à 45’’74 et un récent titre de champion de France en salle sur 400 mètres, Toumany Coulibaly a tout pour devenir un grand coureur de 4. Lui reste à prendre confiance en lui et tourner le dos à une vie de quartier qui l’a conduit à maintes reprises dans les tourments de la justice.

Mixte zone, conférence de presse, sur le pouce, sur la pointe des pieds. Brouhaha, des spots qui chauffent les visages, des barrières pour s’appuyer, pour protéger, des vigiles. Parfois, c’est du vite fait, parfois, ça prend son temps. Entre empathie, sourires obligés ou questions directes. On peut moudre du grain ou souffler sur les miettes. Il y a de quoi se nourrir ou rien à croquer.

Toumany Coulibaly champion de France en salle cette année à Aubière sur 400 mètres
Toumany Coulibaly champion de France en salle cette année à Aubière sur 400 mètres

Toumany Coulibaly, c’est un grand gaillard, de larges épaules, des bras de lutteur, cheveux coiffés hauts. Il s’est approché, un beau sourire franc : « Aujourd’hui, je suis le plus heureux des athlètes ». J’ai hésité quelques secondes à mettre cette réponse sur le verso « le plus heureux des hommes ? » mais il a poursuivit : « Je suis heureux, il ne me manque rien, j’ai tout. Une famille qui m’aime, des proches, de supers enfants ». Il fait semblant de fouiller dans le pli de son short et s’excuse « Dommage, je n’ai pas de photos d’eux ».

En deux tours de piste, Toumany Coulibaly, en gravité comme une abeille autour d’un bosquet de lilas, venait d’être sacré champion de France du 400. Le podium officiel allait suivre, des notables endimanchés de la fédération aux poignées de main disons sincères et chaleureuses, lui glisseraient dans le tuyau de l’oreille quelques mots de félicitations, lui le buste penché, agitant sa grosse pogne pour dire merci.

Toumany avait besoin d’une rupture. D’un signal fort. Serait-ce le bon ? Car cet athlète sculptural était encore il y a peu, en janvier même, dans les conneries, dans les petites affaires, dans les emmerdes. La délinquance de quartier, de grands morveux qui veulent porter les grosses bagouzes des caïds, des petits coups à deux balles qui peuvent ruiner une vie.

Pourtant, Toumany, c’est un gosse bien élevé, bon élève, un BTS comptabilité en poche et l’espérance de valider une licence. Mais jouer avec le feu, sentir la poudre, le sang qui frappe fort dans les tempes lorsque l’on force le rideau de fer d’un commerce, d’une pharmacie, il y a de la jouissance, de l’adrénaline. Avec ses potes, il ne fait pas dans son froc. Mais ce ne sont que des amateurs. Il s’est fait gauler, maintes fois, la police à ses fesses. Car les infos dans le quartier, ça circule vite, et par ricochet, son nom aussi, dans les colonnes du Parisien qui étale les méfaits de ce sprinter né mais cambrioleur malfaiteur récidiviste. Les interpellations au petit matin, les gardes à vue, le montant des sommes volées, les rodéos dans les rues de Moissy, les condamnations, la prison, les sursis et la clémence des juges, le CV de Toumany Coulibaly est à déchirer.

Que lui reste-il ? Se ranger des voitures et des copains complices qui se tapent dans les poings avant de prendre des voies de garage, sans lire les mots « sans issue » ? Ou bien exploiter la bonne énergie qu’il a en lui ? Les deux, c’est une évidence qu’il ne voulait entendre. A 27 ans, il était urgent.

Patricia Girard fut un peu maman, entraîneur et éducatrice. Cela se conjugue souvent ensemble. Elle ne lui a jamais tourné le dos : « Je me bats pour le sortir de la rue. Pour lui donner du peps, qu’il prenne conscience qu’il doit s’assagir. Il y a de belles choses dans l’athlétisme, c’est qu’en même mieux que la rue. A oui, parfois je joue ce rôle là d’aller le chercher. Vous savez, c’est un garçon qui nous offre plusieurs visages, il est tellement adorable, bien élevé, bien éduqué. On essaie de lui redonner une confiance pour une autre vie. Et l’athlétisme doit lui permettre. Je ne le lâcherai pas ».

En janvier, tout aurait pu déraper, encore une carambouille, une histoire mal ficelée de recel de tickets de paris sportifs volés. Toumany adopte le silence, le soir, il sort libre après douze heures de garde à vue. Il reprend ses habitudes, une vie de père de famille, un môme à conduire à l’école, les repas, les premières leçons, il dit : « Je suis père au foyer. Je me fais plaisir avec mes enfants ». Il reprend le chemin du stade pour partager des séances avec Leslie Djone. L’expression est toute trouvée, c’est le grand frère qui accepte de le chaperonner. Toumany pourrait être un grand coureur de 4 sous les 45’’. Il confirme : « A son arrivée, je pensais qu’il n’allait pas m’aider plus que cela. Oui, on parle souvent des 44. Avec lui, on peut le faire. Ca va encore plus m’aider, pour me donner la direction du chemin que je dois prendre ».

Il y a encore peu le frère aîné toqua à sa porte pour le convoquer. Conseil de famille, pour lui balancer en une volée de mots « ses quatre vérités ». Toumany s’est assis dans le canapé pour écouter. Des mots, une injonction déjà entendue : « Tu as une chance énorme par rapport à ta famille, par rapport à ton quartier, par rapport à ta ville, tu ne peux pas tout gâcher ». Il a répondu, il le répète encore quelques minutes après sa victoire sous la cloche d’Aubière : « A moi de prendre le bon chemin, c’est une promesse que je fais à moi-même » ?

> Texte et photos Gilles Bertrand

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