En une décennie, l’Erythrée est devenue une nation de course à pied sur le modèle des dictatures du bloc soviétique. En Chine, pour le prochain Mondial de cross, ces petits soldats fidèles à un régime sanguinaire seront une nouvelle fois aux avants postes.
« L’Erythrée est un immense camp de travail forcé » cette phrase à elle seule, illustre le rapport de Human Right Watch sur la situation sociale et politique dans ce pays de la corne d’Afrique.
Issayas Afeworki est le président de cet état qui a obtenu l’indépendance en 1991. On le surnomme Big Man. Il apparaît le plus souvent à la télévision nationale en chemise à carreaux et casquette de toile rivée sur la tête. Dans le petit écran, il y parade, façon Fidel Castro, en des discours longs comme la nuit des temps. Haine de son voisin, l’Ethiopie, névrose, schizophrénie, nationalisme, Big Man tient l’Erythrée d’une main de fer, l’une des dernières grandes dictatures avec la Corée du Nord.
Un pays exsangue où les brigades de l’armée populaire et les milices politiques tiennent le pays dans la terreur. Un pays concentrationnaire que les jeunes Erythréens fuient en masse. Fin 2014, on dénombrerait 6 millions d’exilés, 226 000 seraient parqués dans des camps du HCR aux frontières du Soudan. On les retrouve sur les barges qui échouent à Lampedusa, à Calais dans les camps de migrants sauvages, à Vintimille dans l’espoir de rejoindre l’Angleterre comme terre promise.
Comme au bon vieux temps des dictatures du bloc soviétique, l’Erythrée utilise le sport pour effacer cette barbarie qu’elle tente de dissimuler en fermant ses frontières à la presse internationale. Le cyclisme y est le premier sport, vieil héritage des italiens lorsqu’ils étaient colonisateurs au sein de l’Afrique Orientale Italienne. Daniel Teklehaimanot, jeune espoir du cyclisme international, y est reçu, à chacun de ses retours au pays, comme un chef d’Etat en visite officiel.
Tadese fait mordre la poussière du golf de Mombasa à Kenenissa Bekele et aux kenyans
La course à pied est également une arme de propagande pour tenter d’exister sur la scène internationale en dehors des rapports accablants sur les droits de l’homme bafoués dans ce pays.
Avec pour voisins l’Ethiopie, le pouvoir d’Asmara a bien compris l’intérêt qu’il pouvait tirer lui aussi de ces petits soldats sans armes ni brodequins mais fidèles porte drapeau de cette dictature sanguinaire.
Ils apparaissent sur les champs de cross en 2000, première participation à un Mondial de cross. A Villamoura, trois seniors et trois juniors prennent une leçon de course à pied, perdus au milieu du peloton. Mais ce n’est qu’une question de temps pour éduquer, former, entraîner et définir une élite capable de briller aux côtés des coureurs Ethiopiens et Kenyans.
Deux années d’attente et apparaît dans les résultats, Zersenay Tadese, 9ème à Lausanne. Il vient du cyclisme, il a quitté la peau de chamois pour le short, il deviendra le leader d’une équipe conquérante. A Mombasa en 2007, les juniors hommes et filles remportent l’argent et Tadese fait mordre la poussière du golf de Mombasa à Kenenissa Bekele et aux kenyans. C’est le sacre. Il sera reçu en héros national.
Depuis, l’Erythrée joue les trouble-fêtes. Sur piste, en course de montagne où les médailles se ramassent facilement et en cross. Et cette année encore, les Erythréens seront dangereux sur le champ de cross de Guiyang en Chine. Teklemariam Medhin, second et troisième lors des deux derniers Mondiaux disputés à Bydgoszcz est présenté comme le favori. Au pays ami, les soldats du peuple seront rois.
> Texte et photos Gilles Bertrand