Deux crossmen de niveau mondial chez les juniors, Matt Tedenkamp et Dathan Ritzenhein ont suivi le même chemin, un destin commun qui devrait les conduire une nouvelle fois vers la conquête d’une troisième sélection pour les J.O. de Rio.
Nous sommes en mars 2001. Le Mondial de cross est déplacé en urgence et trouve refuge en Belgique sur l’hippodrome d’Ostende. Jacques Brel aurait adoré l’ambiance. Temps bas, nuages gris caressant le toit des barres d’immeubles, une pluie cinglante. Les titres sont déjà trouvés : « dans le bourbier d’Ostende ». C’est à peine si les spectateurs osent sortir de cette grande salle où habituellement se prennent les paris dans une ambiance surchauffée. Pourtant, dans ce plat pays, dans les bas fonds de ce champ de cross, le spectacle est grandiose. Les corps sont désarticulés pour tenter de trouver le bon chemin, la bonne trajectoire dans cette rivière de boue liquide. Retranchée sous une bordée de parapluie, un petit carré de Belgique se réchauffe les os en exultant lorsque le transfuge Mohammed Mourhit l’emporte, suroxygéné. Mais dans le cercle fermé des managers, des dénicheurs de talents, c’est la course junior hommes qui retient toute l’attention. Un nom en trois syllabes est à retenir : Be Ke Le, vainqueur du cross court alors qu’il n’est que junior et qui a décrotté ses pointes pour recourir le lendemain dans sa catégorie d’âge. Kenenisa Bekele remporte la course junior alors que l’équipe américaine taquine les équipes est-africaines frôlant le bronze pour trois petits points. Dans ce team figurent Dathan Ritzenhein, 3ème et Matt Tegenkamp, 5ème. Le clan yankee pousse des youyous, on se prend dans les bras, on se bourre de tapes sur les épaules. Les deux gamins ont sorti le grand jeu. Car depuis le bronze de Lynn Jennings en 1993 chez les femmes et l’or de Craig Virgin chez les hommes en 1981, dans le grand vent des hippodromes de cross, la bannière étoile n’est plus jamais remontée au firmament. A l’arrivée, les reporters présents griffonnent les propos du kid que l’on ne tarde pas à surnommer Ritz : « je me suis dis, même si je meurs à la fin, au moins j’aurai essayé». Puis Ritz s’échappe pour s’isoler dans un coin : « J’ai besoin de m’assoir car là vraiment, je dois réaliser ce qu’il vient de m’arriver ».
L’Amérique adore les symboles
Est-ce le premier signe d’une renaissance du demi-fond américain ? Dans l’Oregon, terre première de l’esprit middle distance aux Etats Unis, on veut bien le croire. Malgré le tsunami du business du running et ces millions de pratiquants loisir, Nike ne lâche pas pour autant l’aide qu’il apporte au demi fond. Les sommes offertes en contrat marque frôlent même l’indécence. Comme lorsque le jeune Alan Webb réalise 3’59 »86 en janvier de cette même 2001 sur le parquet de l’Armory Track de New York. L’Amérique adore les symboles, il est le premier lycéen à tomber les 4 minutes. Les compteurs s’affolent, on parle d’un contrat à 100 000 dollars sur la tête d’un ado frisottant.
Si finalement le destin athlétique d’Alan Webb n’a pas été tout à fait celui attendu, les carrières de Matt Tegenkamp et de Dathan Ritzenhein furent linéaires, homogènes et presque similaires. De la génération Ostende, rares furent ceux à réussir une carrière internationale. Aux côtés de nos deux lycéens américains, nous retrouvons Kenenisa Bekele, Nicholas Kemboi, Robert Kipchumba, Terefe Maregu, Nathan Brannen et un certain Mo Farah classé seulement 59ème englué dans le bourbier belge.
«Rio, c’est dans 600 jours»
Quant à Ted et Ritz, ils ne vont pas décevoir. Dans les rangs universitaires puis chez les pros, des carrières longues réalisées au sein de structures privées, Matt entraîné par Jerry Schumarrer, Dathan coaché par Alberto Salazar au sein du Nike Project. Un destin similaire, sur les mêmes distances, tous les deux sous les 13 minutes sur 5000 m (12’58 »56 pour Matt et 12’56’26 pour Dathan réussis la même année en 2009). Des choix évidents et communs, comme de concert, tous les deux sous les 27’30 » sur 10 000 m avec respectivement 27’28»22 et 27’22»28. Et couronnement dans leurs carrières, ensemble sélectionnés pour les J.O. de Pékin puis pour ceux de Londres.
C’est finalement sur la route du marathon que leurs routes respectives vont diverger. Dathan Ritzenhein fut le premier à oser alors qu’il n’a que 26 ans, se sélectionnant même pour les J.O. de Pékin où il termine 9ème en 2h 11’ 59 ». Quant à Matt, il attendra que le temps soit venu pour accrocher les 4 épingles sur sa poitrine et prendre part à son premier marathon. En 2013, Chicago lui fait les yeux doux pour une première tentative. Le résultat est mi figue, mi raisin, seulement 2h 12’39 ».
Inséparables depuis 15 ans déjà, mais rivaux
Sur son compte twitter comptant 14 400 abonnés, pas mal ! Matt Tegenkamp se décrit par ordre de priorité comme un père, un mari, un Badger comprenez par là qu’il fut étudiant de l’université du Wisconsin ayant pour emblème le blaireau. Puis il se définit comme Olympien et enfin coureur professionnel au sein du team Nike. Le 14 décembre 2014, Matt Tegenkamp n’a pas oublié de twitter l’annonce du comité d’organisation des J.O. de 2016 : « Rio, c’est dans 600 jours ». L’image accompagnant ce message est symbolique : le Corcovado et son Christ émergeant au dessus d’une mer de nuage pour inviter aux rêves et aux espérances. Celles d’une potentielle troisième sélection pour Ted et Ritz, inséparables depuis 15 ans déjà, mais rivaux. Sur 10 000 m, sur marathon ? Ce sont les trials 2016 qui en décideront. Ils auront lieu le 13 février 2016 à Los Angeles.
Cet hiver, Le compte twitter de Ritz a pris un coup de chaud lorsque celui-ci a de nouveau mis les feux en imposant sa foulée puissante toutes pointes devant dans les labours des cross européens. En surprenant son petit monde de followers même si ce Nike Man a toujours fait preuve d’une régularité au plus haut niveau quelque soit la surface qu’il griffe ou caresse. Dathan Ritzenhein, 4ème à Houston pour les trials 2012 connait toutes les arcanes de cette loterie impitoyable et assassine, course d’un jour qui ouvre ou ferme les portes sur la magie des Jeux. Le compte à rebours est lancé.
Texte et photographies : Gilles Bertrand