Nadia Prasad a brillé sur la course à pied au féminin dans les années 93-96, s’adjugeant le record de France sur semi et un chrono à 2h30’16 sur marathon. Aujourd’hui, à 48 ans, la Française vit toujours à Boulder aux Etats Unis, où toute sa vie s’est bâtie autour du running.
Avril 1994. Pour notre magazine VO2, Gilles Bertrand et moi-même mettons le cap sur Boulder, pour y rencontrer Nadia Prasad, cette coureuse qui vient de faire irruption sur le devant de la scène avec la 3ème place au Marathon de New York et un chrono à 2h 30’16, et qui était apparue pour la 1ère fois en France lors du 10.000 mètres du Championnat de France 1993, où elle a fini 2ème.
Nous y découvrons une jeune femme étonnante, à l’enthousiasme débordant. Son apparence de douceur extrême dissimule un esprit de grande battante. Nadia nous raconte son parcours atypique, sa naissance à Caussade, l’enfance en Nouvelle Calédonie, avec un père artiste, la contrainte du piano quotidien, puis la natation à corps perdu, la découverte de son talent en course à pied, les titres à répétition en Nouvelle Calédonie. Plus tard, le mariage avec Binesh, son époux originaire de Fidji, l’installation aux Etats-Unis, en 1989, le changement d’entraînement, la progression qu’elle amorce dès 1992, et qu’elle confirme tout au long de l’année 1993, juste après la naissance de sa 2ème fille.
Le couple Prasad a vécu à Salt Lake City, et Ceddar City et vient juste de s’installer au printemps 1994 à Boulder, ville du Colorado réputée parmi les coureurs à pied. Binesh, un marathonien qui a représenté son pays les Iles Fidji lors de deux Jeux Olympiques, a mis sa carrière en stand by pour épauler sa femme. Il est constamment à ses côtés dans les sorties longues, avec aussi à leurs côtés Mark Plaatjes, qui vient d’être sacré Champion du Monde de Marathon. Le Sud Africain installé à Boulder après avoir fui son pays est devenu depuis peu l’entraîneur de Nadia, convaincu qu’elle peut descendre sous les 2h20’
Nadia brillera quelques mois plus tard dans Bolder Boulder, l’épreuve fétiche de la ville, qu’elle remportera en mai 1994. Un an plus tard, en mars 1995, elle passe sous les 2h 30’ au marathon de Los Angeles (2h29’48’’), elle accumule les performances jusqu’en 1996, avec le record de France du 10 km, toujours d’actualité en 2015. Mais elle n’aura finalement jamais brillé sous le maillot de l’Equipe de France, abandon au Championnat du monde de Göteborg en 1995, 56ème aux Jeux Olympiques d’Atlanta, qu’elle finit dans la douleur.
Nadia, devenue masseuse, a massé trois championnes olympiques de marathon
Plus de 20 ans ont passé. Je retrouve Nadia par Facebook, et nous voilà de visu sur Skype. Son visage est toujours aussi souriant et serein ! Les années semblent n’avoir eu aucune prise sur elle. Nadia est maintenant la mère de quatre enfants, et la course à pied demeure son univers quotidien. Le couple Prasad a acheté il y a 8 ans un hôtel tout près de Boulder, qui accueille des athlètes de partout, d’Australie, de Nouvelle Zélande, du Japon, qui viennent plusieurs semaines ou mois pour se préparer dans cette ville du Colorado, adulée pour son cadre et son altitude, et elle est heureuse d’expliquer : « Dans notre hôtel, il y a des photos de coureurs du monde entier sur tous les murs. »
Nadia et Binesh se sont formés au massage pour les sportifs de haut niveau, et s’occupent en particulier des équipes japonaises souvent présentes à Boulder. Nadia souligne : « Nos massages font très mal, ils garantissent à l’athlète de s’entraîner, sans problème, très fort, tout au long de leur saison. » Une technique visiblement réputée, puisqu’elle révèle avoir eu l’honneur de masser la championne olympique de Sydney (Naoko Takahashi), d’Athènes (Mizuki Nogochi), de Pékin (la Roumaine Constantina Tomescu-Dita). Et de conclure d’une jolie formule : « On vit par eux les performances. »
Car Nadia a rangé aux oubliettes sa carrière de coureuse en 2002, à l’âge de 35 ans. Elle se justifie très simplement : « J’ai essayé de revenir après la naissance de mes deux derniers enfants. Mais je n’avais plus le même désir, je voulais plutôt être la maman, à m’occuper d’eux. ». Elle se trouve happée par sa vie de famille, ses massages, le business de l’hôtel : « Quand vous faites de 7 à 8 massages par jour, que vous vous occupez de la famille, le soir, vous êtes fatiguée ! ». Et ce n’est que depuis peu qu’elle a retrouvé l’envie de courir au quotidien.
Les enfants sont grands, les deux aînées travaillent, leur 3ème fille intègre à la rentrée l’Université du Colorado, le dernier rentre en 4ème. Nadia a aussi ressenti le souci de prendre soin de sa forme, avec le sentiment d’avoir un peu laissé de côté sa santé ces dernières années. Et Nyla, sa dernière fille, a joué un rôle important pour la relancer vers le running : « C’est une bonne athlète, sur 400 m et 800 m. Elle est très compétitive, comme nous. Même dans les études. Elle est un peu notre inspiration de la voir comme nous. » Elle s’est aussi sentie boostée par l’activité sportive de son frère, qui vit toujours en Nouvelle Calédonie, et qui à 40 ans, enchaîne triathlons, biathlons, natation longue durée : « J’ai pensé, pourquoi mon petit frère, et pas moi ? »
Tout récemment, un évènement dramatique lui a aussi envoyé un signal fort. Nadia a vécu un accident grave dans une station de ski, avec pour conséquence une fracture de la lombaire, des côtes et le coccyx cassés. Cette ineffable optimiste en conclut : « J’aurais pu être paralysée à vie. C’est là qu’on se rend compte que marcher, courir, c’est important. Cela me donne encore plus envie de reprendre ! »
Pour le simple plaisir ou pour faire de la compétition ? Nadia sourit largement et marque un blanc avant de répondre : « On ne sait jamais. Si mon corps le permet. Ma mentalité est très compétitrice, j’ai cette attitude de compétition, mais il faut écouter son corps ! Surtout avec cet accident, il ne faut pas voir les choses en trop grand, il faut raisonner. »
Nadia, le regret du 10.000 mètres
Alors près de 20 ans plus tard, quelle analyse fait-elle sur sa carrière ? Sa réponse fuse sans détour : « C’est ce qui nous a fait devenir ce que nous sommes aujourd’hui ! Mais en tant qu’athlète, on pense toujours qu’on aurait pu faire mieux… »
Et Nadia souligne avec lucidité : « J’ai toujours eu quelques difficultés sur le marathon. J’aurais aimé avoir la chance d’être plus sur le 10.000 mètres. Je n’ai pas eu de choix. En France, on voulait que je fasse absolument le marathon. Même si je m’étais qualifiée sur le 10.000 mètres, on ne m’a pas donné ma chance. En fait, c’était ma course. J’ai le regret de ne pas avoir été qualifiée au Championnat du Monde ou aux JO sur 10.000 mètres. Je crois que j’aurais pu faire mieux que sur le marathon. Mais c’est comme ça. Je dois me contenter de ce que j’ai eu, et je suis contente de ma vie aujourd’hui. »
Parmi toutes les courses qu’elle a disputées, quels sont ses plus beaux souvenirs ? Elle énumère Bolder Boulder, le marathon de New York, Spokane. Et aussi en France, le Marathon de Paris, le 10.000 m au Championnat de France, le semi-marathon de Paris, où elle se réjouit « J’ai vu que mon record a tenu longtemps ». Il demeure particulièrement marqué dans sa mémoire son 10.000 mètres sur la piste d’Annecy côte à côte avec Rosa Murcia. Car elle l’avoue : « Quand je revois une coupe ou médaille, je me souviens de chaque course que j’ai faite. Comme si c’était hier. C’est resté dans mon souvenir. »
Alors, finalement, il ne lui demeure que des bons souvenirs ? Elle rit en lâchant : « Au fur et à mesure qu’on prend de l’âge, on oublie les mauvais souvenirs. Les bons souvenirs restent. Maintenant, je dis aux athlètes qu’on côtoie, vous avez fait une course qui n’est pas bonne, mais quand vous allez avoir des bonnes performances, vous allez l’oublier, ça va devenir des expériences dans la vie. C’est en perdant qu’on devient encore plus fort. »
Texte : Odile Baudrier
Photos d’archive : Gilles Bertrand