Nordine Ghezielle a été l’entraîneur de Laila Traby pendant près de trois ans, et c’est sous sa houlette qu’elle a conquis son titre de championne de France de cross. Mais fin juin, leurs chemins se sont séparés. L’entraîneur ne dissimule pas son énorme surprise en apprenant en novembre l’affaire de dopage concernant son ex-athlète.
Nordine Ghezielle n’a pas du tout envie de parler de cette affaire. Les appels, messages et demandes de rendez-vous restent sans réponse jusqu’à cette mi-janvier où il décroche enfin. Il est pressé, les drames de Charlie Hebdo et de l’épicerie Hyper Casher viennent de se produire, et le commissariat de Bobigny où il est policier est sous-pression.
On le sent agacé mais il se décide finalement à répondre à mes questions. D’entrée pour clarifier un point précis et très important : « Je n’étais plus son entraîneur depuis juin 2014. On a arrêté un mois avant le championnat d’Europe. Philippe Dupont, le référent demi-fond à la FFA, était au courant. » Alors quelle a été sa réaction en apprenant la saisie d’EPO et le contrôle positif de Laila ? Il le dit et le répète : « J’ai été choqué comme tout le monde. Surpris et étonné. »
D’abord peut-il expliquer cette séparation entre le coach et son élève ? Nordine raconte : « J’ai appris par hasard qu’elle avait un autre entraîneur. » Après le 10000 m de la Coupe d’Europe où Laila Traby a réalisé le minima pour Zurich, le coach cale une semaine cool. Et il découvre qu’elle a remplacé la séance qu’il lui a fixée par une autre, hyper longue : « J’ai vu de suite que ce n’est pas une séance qu’un athlète peut sortir comme ça ! »
Nordine s’énerve : « Je lui ai dit Tu me prends pour un con ? C’est un manque de respect. Depuis 2 ans et ½, j’ai toujours été là, j’ai été le coach, l’ami. » Et il ajoute : « J’ai eu un sentiment de trahison ! » Cet épisode s’ajoute à des relations plus délicates depuis quelques mois. Avec une tension très forte autour des interclubs, où l’entraîneur lui demande de courir un 1500 mètres sans préparation spécifique et où Laila Traby accepte très mal d’être battue par Christelle Daunay et conteste : « C’était un choix réfléchi. Je voulais qu’elle travaille la tonicité. Elle n’avait pas à comprendre. Pour moi, l’athlète doit faire confiance et ne pas poser de questions. Elle doit faire ce qu’on lui dit. Elle n’a pas aimé mes choix, qui concordaient avec ceux du club, et le club lui demandait seulement les interclubs dans l’année. Mais elle avait pris conscience qu’elle avait un petit nom, et elle n’acceptait plus de perdre ! »
Laila prend la tangente, mais tente de reprendre contact avec lui au mois de juillet. Nordine refuse de lui répondre. En août, il assiste devant la télévision à sa course sur 10000 m de Zurich : « J’ai été content pour elle pour sa médaille. C’est ce que j’espérais ! »
Nordine Ghezielle, jamais cité ou remercié par Laila Traby
A aucun moment, pourtant, Laila ne fait référence à Nordine, et ne lui transmet le moindre remerciement. Dans le sujet diffusé par Stade 2, toutes leurs années de collaboration sont gommées, une seule personne émerge, l’ex mari de Laila. Nordine admet qu’il a regardé ce reportage, mais sur internet, et un mois après sa diffusion. Et il se borne à ce commentaire : « C’est son choix. Je ne sais pas pourquoi. C’est dommage pour le club. Moi, cela ne m’a pas touché. Sa médaille, c’est elle qui l’a gagnée ! »
Le seul contact qu’il aurait eu avec Laila depuis le mois de juillet serait un sms qu’elle lui aurait adressé en septembre, pour lui souhaiter une bonne fête de l’Aïd, mais auquel il n’aurait pas répondu.
En novembre, l’annonce de la perquisition, puis du contrôle le heurte. Même s’il répète plusieurs fois « On n’est pas dans la vie des gens », il ne comprend pas. Mais il est sûr et certain d’une chose : « Elle n’a pas consommé ces produits quand je me suis occupé d’elle. S’il y a eu quelque chose, elle a dû être mal conseillée après avoir quitté mon groupe. Pas avant et pas pendant.» Pourquoi une telle certitude ? « Je ne suis pas né de la dernière pluie. Je suis tout de même policier, j’ai l’habitude de l’investigation. Je n’ai rien vu de bizarre. Je ne suis pas crédule, on peut voir certaines attitudes. Quand je l’entraînais, j’allais chez elle, elle venait chez moi, on se voyait une fois par semaine. Nous allions en stage, le chalet était petit, je n’ai jamais rien vu d’anormal. En avril, on est resté un mois en altitude, à Pyrénées 2000, elle n’avait pas le discours de quelqu’un qui veut s’intéresser à ça. Elle faisait son suivi longitudinal en temps et en heure. Elle était fière d’être propre ! »
Nordine Ghezielle, certain de Laila Traby jusqu’à sa médaille
Alors, comment expliquer cette situation ? Nordine envisage une possibilité : « Elle s’est retrouvée esseulée. C’est le premier stage qu’elle faisait seule. Pour les autres stages, j’ai toujours été là. » Justement, connaît-il les athlètes qui partageaient son stage à Formiguière ? « Non, je ne les connais pas. J’entraîne Tarek Samar, qui court sur 800 m et faisait tous les stages avec nous. Il m’avait demandé à partir en stage avec Laila, j’ai refusé. Si ce n’est pas moi qui organise, mes athlètes n’y vont pas. C’est important de cadrer les stages, le sommeil, la sieste, se lever tôt. Le soir, on ne va pas au bowling, on se couche tôt.» Et ce lieu de Formiguière lui est inconnu, il était un habitué de Pyrénées 2000 à côté de Font Romeu, à 2 km de la forêt, avec de temps en temps une incursion à Matemale pour le fartleck ou les footings longs en nature.
Je l’interroge pour savoir s’il a été entendu par la gendarmerie dans le cadre de l’enquête en cours, et il répond par la négative. Je le titille alors en lui demandant s’il n’a pas tenté d’obtenir des informations sur cette procédure en utilisant sa fonction de policier. Nordine s’indigne : « Je suis policier. Eux, ils sont gendarmes. Moi, je suis en poste à Bobigny dans le 93. Cela n’a rien à voir. » J’évoque aussi avec lui l’idée que pour se venger de son départ brutal, il puisse justement être la personne qui aurait « balancé » Laila à la gendarmerie pour provoquer cette perquisition. Il proteste : « J’ai eu une autre rumeur, elle aurait été balancée par une athlète. Moi, si j’avais fait quelque chose, je le revendiquerai. Je n’ai rien à craindre. Mais je n’ai pas d’envie de vengeance, ce n’est pas du tout mon état d’esprit. »
Nordine n’en démord pas, il est certain que Laila Traby n’a pas touché à des produits interdits toute la période où il l’entraînait : « Pour moi, elle n’a rien pris avant sa médaille. » Pourtant, a posteriori, cette performance ne lui semble-t-elle anormale pour cette athlète âgée de 35 ans et après des années blanches ? Là encore, le coach conserve toutes ses certitudes : « Pour moi, elle n’a pas fait des choses exceptionnelles. Le Championnat de France de cross n’était pas d’un super niveau.» Mais tout de même, cette médaille de bronze à Zurich ? « Ce n’est pas le 10000 mètres le plus relevé de la décade. 32’26’’, c’est bien, pas plus. Moi, je crois à la performance. »
Pour lui, les performances de Laila Traby sont tout à fait normales
Et ces 31’56’’ courus en janvier 2014 à Abu Dhabi, comment les analyse-t-il maintenant ? « Ce chrono est tout à fait normal pour moi. J’ai vu ses séances, elle valait 32’10’’, et elle court en 31’56’’, ce n’est pas choquant. Il faut voir que le parcours d’Abu Dhabi est sur un circuit, complètement plat. C’est presque comme courir sur une piste ! Si d’autres Français ou Françaises y allaient, ils iraient eux aussi très vite.» Elle y améliore de 3 minutes son record personnel, mais Nordine Ghezielle déroule toujours la même explication : « Jusque là, elle n’avait couru sur 10 km qu’en septembre, aux remparts d’Avignon, et sans préparation. Toute personne qui connaît l’athlétisme sait bien qu’en septembre, on n’est pas en forme. Sa valeur n’était pas un chrono à 33’.»
Sa voix s’enflamme en s’expliquant. Comme c’était déjà le cas en mars dernier lorsqu’au matin du Championnat de France de cross, je l’avais questionné sur cette performance exceptionnelle. Il y avait plus de deux ans que Nordine Ghezielle croyait en Laila Traby, et qu’il s’efforçait de la détourner des « courses saucisson » pour la ramener vers la piste et le cross.
Pourquoi ? Parce qu’il était convaincu qu’avec un chrono à 2’02’’ à son actif, elle avait le potentiel pour briller en demi-fond. Mais justement, ce chrono de 2’02’’ ne figure sur aucune statistique officielle. Soi-disant par la faute de la fédération marocaine qui y aurait ajouté 1 seconde, pour amener à 2’03’’. Nordine élude : «C’est sa version. Elle a son diplôme avec 2’02’’. C’est peut-être une injustice. Mais de toute façon, pour moi, qu’elle court en 2’02’’ ou 2’03’’ en junior, c’est la même chose ! »
La marque d’un gros talent, qu’il a évidemment adoré réveiller après tant d’années, et il s’est battu pour y arriver. Pour l’amour de l’athlétisme bien sûr, celui qui fait briller ses pupilles en parlant performances, séances, chronos. Comme il le rappelle : « Je suis entraîneur seulement par passion. Ce n’est pas ma profession. J’ai passé mes BE. Je suis content de participer à l’évolution des gens. Aujourd’hui, on est l’entraîneur. Demain, on ne l’est plus. Il faut s’y préparer. Mais j’ai vite compris que les athlètes ne nous appartiennent pas ! »
Et leurs secrets non plus…
Texte : Odile Baudrier
Photo: Gilles Bertrand