Le 23ème Kenyan dopé en 2022 est un trailer ! Mark Kangogo avait créé la surprise cet été en remportant Sierre Zinal, puis Jungfrau Marathon. Mais cet ex-marathonien de 33 ans a finalement été contrôlé positif, et ce nouveau cas illustre l’effarante dérive des coureurs du Kenya, qui n’hésitent pas à multiplier les produits pour booster leurs performances.
Chaque semaine, et parfois même chaque jour, tombe le nom d’un nouveau Kenyan contrôlé positif, et suspendu. Très souvent, le produit détecté est le Norandrostérone, et maintenant le Triamcinolone Acetonide, un corticoïde. Mark Kangogo a parfaitement illustré cette nouvelle tenance : les deux produits ont été retrouvés dans son échantillon prélevé le 13 août à l’issue de Sierre Zinal.
Il rejoint ainsi cette cohorte de coureurs qui pullule de marathoniens de haut niveau, comme récemment Diane Chemtai Kipyokei, première à Boston en 2021, Betty Wilson Lempus, première au semi de Paris en septembre 2021, et également de coureurs plus moyens. Cette liste s’est « enrichie » à vitesse exponentielle cette année, pour atteindre un record de 24 cas positifs originaires du Kenya !
Malgré tout, Mark Kangogo détonne aux côtés de ces marathoniens chercheurs de victoires et de dollars, surtout dans des épreuves organisées en Asie. Il a lui aussi tenté sa chance sur quelques marathons en Europe, en Espagne et Allemagne, pour atteindre un record à 2h14’. Mais lui, à 33 ans, c’est sur le trail qu’il s’est distingué.
Avec une première victoire, sur une épreuve de renom, Sierre Zinal, où il avait écrasé tous ses rivaux, dont un certain Kilian Jornet. Cette domination allait se poursuivre jusqu’au début de septembre, avec à nouveau la victoire, cette fois sur Jungfrau Marathon, une autre épreuve de référence dans le monde de la montagne et du trail.
Qui est Julien Lyon, le porteur du projet d’un groupe de trailers kenyans ? Cette démonstration de force ne devait rien au hasard, et obéissait en réalité à une programmation rigoureuse, bâtie par l’entraîneur suisse Julien Lyon. Celui-ci avait défini un projet ambitieux : celui de voir des athlètes du Kenya briller sur la montagne et le trail.
Dès le mois d’avril 2022, Julien Lyon dévoilait en détails dans la presse suisse son projet « Les Milimani Runners », à l’approche très volontariste, pour que les Kenyans sortent du classique marathon et émergent sur les sentiers, et le concept avait séduit la marque ON devenue partenaire de tout son groupe d’entraînement.
D’autant que Julien Lyon, lui-même un bon marathonien, 32 ans, record à 2h16’, sélectionné pour le Championnat d’Europe, avait conçu cette idée avec en filigrane, un engagement solidaire fort. Ce Suisse de 32 ans et son épouse, Lavina Achieng, ont créé le projet « Simba for Kinds », en aide aux enfants en difficulté d’Iten.
Toutefois la belle histoire allait exploser en plein vol avec ce contrôle positif de Mark Kangogo, sur l’échantillon prélevé à Sierre Zinal.
Mais pourquoi ce n’est pas vraiment une surprise ? Le Kenyan avait créé sensation avec une accélération brutale en côte, qui avait laissé pantois les observateurs. L’autre image choc de ce Sierre Zinal avait été l’arrivée victorieuse d’Esther Chesang, franchissant la ligne sans marque de fatigue et dans un état de fraîcheur plutôt étonnant. Et avec à son actif, une carrière de marathonienne plutôt chaotique, avec un très atypique record à 2h26’ en 2021, contre 2h38 en 2019 et 2h37 en 2022.
Or justement, les performances des athlètes du Kenya ne peuvent plus qu’être acceptées avec beaucoup de suspicion compte tenu de l’ampleur du dopage dans le pays. Les chiffres parlent tout seuls, et l’année 2022 sera définitivement une année noire. Avec déjà 24 cas annoncés à la mi-octobre, et des noms qui tombent chaque semaine.
Et pas des moindres. Avec ces deux derniers jours, les noms de Diane Chemtai Kipyokei, première à Boston en 2021, Betty Wilson Lempus, première au semi de Paris en septembre 2021, et Philemon Kacheran Lokedi, 3ème à Valence fin 2021, avec 2h05’19’’, mais surtout partenaire d’entraînement du recordman du monde Eliud Kipchoge…
Le programme Quartz est-il vraiment une alternative au problème du dopage dans le trail ? Sierre Zinal fait partie du circuit Golden Series, qui adhère au système Quartz, au même titre que les UTMB World Series, ou des épreuves majeures de trail. La méthode développée par Pierre Sallet impose un prélèvement à J-30 du départ de la course au TOP 10 des meilleurs trailers inscrits. Puis un 2ème prélèvement la veille de la course, à nouveau pour ce TOP 10. Ensuite à l’arrivée, les prélèvements à Sierre Zinal ont concerné les 4ème et 5ème places, compte tenu que le top 3 hommes et femmes a été soumis à un contrôle anti-dopage officiel.
Avec à chaque fois, la recherche de divers paramètres biologiques, qui peuvent témoigner de l’utilisation abusive de produits, et aussi de médicaments non interdits. Ainsi sur les corticoïdes, la position de Quartz est claire : ils ne doivent pas être utilisés en compétition.
Alors, pourquoi la Norandrostérone, et le Triamcinolone Acetonide, détectés dans l’échantillon de Mark Kangogo n’ont-ils pas été identifiés par Quartz ? Tout simplement parce que le Kenyan n’était pas inclus dans le TOP 10 défini par l’organisation de Sierre Zinal, et soumis à ce premier prélèvement un mois avant la course. Un non choix qui serait dû à la densité du plateau de l’épreuve suisse, qui comptait de très beaux noms du trail, et en particulier Kilian Jornet.
Certes, plusieurs cotes ITRA étaient très grosses, mais Mark Kangogo affichait tout de même plus de 800 points, et son absence dans ce TOP 10 d’avant course peut surprendre, surtout à considérer la situation du dopage au Kenya. Car l’ancien marathonien n’est apparu dans les « radars » de Quartz que la veille de la course. Comme le souligne Pierre Sallet : « C’était la première fois que nous le croisions »
C’est évidemment la limite du programme Quartz, qui n’est de toute façon, qu’une méthode définie dans une optique de santé. Dans le cas d’analyses irrégulières, l’équipe Quartz ne peut pas légalement interdire à l’athlète de prendre le départ d’une compétition, elle peut simplement faire pression pour l’inciter à déclarer forfait. Selon nos informations, ce pourrait d’ailleurs être le cas très prochainement pour la finale des World Series…
Mais pourquoi les Kenyans ont-ils tellement recours au Triamcinolone Acetonide pour se doper ? la « recette » du dopage des Kenyans a changé. L’EPO n’a plus cours, place maintenant aux anabolisants et au triamcinolone acétonide, qui est un corticoïde interdit en compétition, lorsqu’il est ingéré par voie orale, rectale ou injectable. C’est le composant présent dans le fameux « Kenacort Retard », un temps prisé des cyclistes, pour l’effet coup de fouet qu’il procure à l’effort en compétition.
L’usage au Kenya en est devenu tellement répandu que l’Athletics Integrity Unit a publié le 14 octobre 2022 un communiqué de presse qui l’explique. Les chiffres sont parlants : 10 Kenyans positifs à la substance entre 2021 et 2022, et seulement 2 contrôles positifs issus d’autres pays que le Kenya. Et visiblement, c’est récemment que les Kenyans se sont donnés le mot que ce corticoïde serait la panacée universelle, puisqu’il n’y avait eu que 3 cas positifs du Kenya entre 2017 et 2020.
Mark Kangogo incarne ainsi cette nouvelle « tendance » du dopage « bas de gamme », puisqu’une ampoule de Kenacort Retard, cela coûte 2 euros en vente libre sur internet ! Nul besoin de protocoles compliqués à bâtir par un spécialiste du dopage. Et sans oublier qu’avec une Autorisation Thérapeutique d’Usage, AUT, aucune sanction ne sera prononcée. C’est peut-être là que le bât blesse. En Europe et aux Etats Unis, les AUT prolifèrent et exonèrent les athlètes de toute faute.
C’est ainsi que dans le passé, des trailers français sont passés en toute légalité, « à travers » les gouttes… En produisant une AUT qui les a disculpés, sans qu’on puisse savoir si l’ordonnance établie pour soigner un problème d’allergie saisonnière ne servait pas de « couverture » à une utilisation par injection, effectuée juste avant un départ, pour un sérieux coup de fouet !
Car tout de même, il faudrait être naïf pour croire que le dopage sur le trail ne concerne que les Kenyans…. Certaines performances et enchaînements de compétitions ne peuvent que susciter quelques craintes des dérives, surtout lorsqu’elles émanent de trailers, anciens cyclistes, ou proches de cyclistes. Mais aucun trailer ne figure dans le groupe cible de l’AFLD, qui permet à l’agence anti-dopage d’effectuer des contrôles hors compétition, les plus efficaces pour détecter les tricheries.
Alors, faut-il encore inviter des athlètes du Kenya sur les marathons ou trails ? La question est dérangeante, avec cette pointe d’ostracisme qu’elle contient. Mais elle ne peut qu’être posée, vu l’énorme tricherie à laquelle tellement de coureurs participent. D’autant qu’il ne s’agit pas seulement de dopage, mais aussi des mensonges bâtis par les coureurs pour se défendre, et des falsifications sur les contrôles, avec fréquemment de faux certificats médicaux.
Certes, il ne s’agit pas d’un dopage d’Etat de la dimension de celui orchestré en Russie. Mais quand autant d’athlètes d’un même pays se voient mis à l’index pour dopage, ce pays ne peut plus être considéré comme légitime. Une période « off » avec interdiction de sortie des athlètes imposée par la Fédération d’Athlétisme du Kenya ou le Ministère des Sports marquerait probablement un bel avertissement à ces tricheurs, et à tous ceux qui les aident à se doper, entraîneurs, kinés, médecins, pharmaciens, avides d’argent, et exploiteurs de talents.
- Texte : Odile Baudrier
- Photos : DR