Kennedy Lagat Kipyego a vu sa carrière d’athlète stoppée pendant sept ans à la suite du vol de ses papiers d’identité par son compatriote, Nicholas Chumba, qui se licenciera en France, et se dopera en utilisant ce nom d’emprunt. Le préjudice a été énorme pour Kennedy Lagat Kipyego, qui vient enfin d’obtenir le droit de quitter le Kenya pour disputer le marathon de Los Angeles. Bloqué pour obtenir sa lettre de sortie, il s’est tourné vers spe15 ! En final, le Président de la Fédération du Kenya est intervenu en sa faveur.
Par Odile BAUDRIER
Le 26 février 2022, le message de Kennedy Lagat Kipyego tombe sur Messenger : « Hello Odile. J’ai un problème urgent, j’ai besoin de votre aide. A propos du faux Kennedy qui a volé mon nom. Je suis allé à ma Fédération aujourd’hui. J’ai des problèmes pour obtenir ma lettre de sortie du pays. Ils disent que j’ai été suspendu. Mais ce n’est pas moi. Je veux que vous changiez le nom de cet idiot sur la liste des suspensions, et supprimer mon nom. Ce gars est libre en France, et moi, je suis en difficulté depuis sept ans, sans pouvoir courir à l’étranger. »
En quelques mots, Kennedy Lagat Kipyego a résumé une situation très compliquée qu’il m’a longuement décrite en fin d’année 2021, lorsqu’explose l’affaire Susan Kipsang Jeptooo, mise en examen pour obtention et détention illicite de substances classées comme psychotropes, et obtention et détention de faux documents administratifs (identités, ordonnances, certificats médicaux).
Ce Kenyan de 32 ans m’explique alors avoir été victime en 2012 du vol de ses papiers d’identité par Nicholas Chumba, un copain coureur qu’il avait hébergé pendant près d’une année. Et ce vol aura des conséquences énormes pour ce coureur originaire de Marakwet, qui s’est vu faussement accusé de dopage.
Le faux Kipyego, positif à l’EPO à Annecy
Car c’est bien sous ce nom de Kennedy Kipyego que Nicholas Chumba a disputé plusieurs courses en France. C’est même en France, qu’il débute son usurpation, en octobre 2014, aux 10 km de Rochefort et Marathon de Montpellier. Puis après une incursion en Espagne, en novembre 2015, pour le marathon de San Sebastian, il poursuit sa campagne française, entre décembre 2015 et avril 2016, époque où il se licencie au club d’Asptt Annecy.
Cette usurpation s’effectue alors à l’insu de Kennedy Kipyego, les deux coureurs évoluent chacun de leur côté, avec deux passeports différents. Les donnes vont changer lorsque le faux Kennedy Kipyego est contrôlé positif lors du marathon d’Annecy en avril 2016, et reçoit une suspension de deux ans.
Dès lors, le « vrai » Kennedy Kipeygo se voit mis à l’index, et il met de longs mois à démêler l’imbroglio qui le désigne comme un dopé, il est même interpellé plusieurs heures à la frontière ougandaise, accusé de posséder deux passeports, puis il obtient enfin gain de cause auprès de la police et de la Fédération d’athlétisme du Kenya.
Du moins, il pense cette situation réglée, jusqu’à ce début d’année 2022, où il reçoit une invitation du marathon de Los Angeles pour disputer l’épreuve. Mais Athletics Kenya lui refuse la lettre de sortie, indispensable pour obtenir son visa auprès de l’Ambassade des Etats Unis au Kenya. Motif : cette suspension qui apparaît sur sa fiche de coureur.
Une affaire très liée à la France
Cette sombre affaire n’a été connue en France que parce que Nicholas Chumba, l’usurpateur d’identité de Kennedy Lagat Kipyego, a eu la mauvaise idée fin 2018 de revenir courir en France sous sa véritable identité. Mais ce changement de nom n’est pas passé inaperçu dans la région de Lyon et Annecy, et plusieurs observateurs, dont Stéphane Sclavo, juge FFA, le reconnaissent et comprennent qu’il y a une falsification.
La tricherie est signalée à la FFA, qui informe l’OCLAEPS, et une enquête débute alors. Elle débouchera sur une perquisition menée à Roanne, où Nicholas Chumba s’est installé, et licencié au club de Roanne. Le contrôle anti-dopage réalisé ce jour-là révèle la présence de nandrolone. 2ème contrôle positif donc pour Nicholas Chumba, mais cette fois, sous sa vraie identité !
Durant la procédure, apparaissent alors à la faveur d’écoutes téléphoniques les liens entre Nicholas Chumba, Susan Kipsang Jeptooo, son mari Jakob Kipsang. D’où leur mise en examen, et également de son entraîneur Harzouz Saadi.
Et le sujet publié le 28 novembre 2021 dans Spe15 incite Kennedy Lagat Kipyego à réagir sur Facebook, pour dénoncer son rôle de victime. Lorsque je le contacte en messagerie privée, il m’expliquera ensuite tous ses déboires, avec à l’appui ses papiers d’identité.
Alors en cette fin février 2022, lorsqu’il se voit interdire par sa Fédération de quitter le territoire pour honorer son invitation de Los Angeles, il se tourne vers moi avec l’espoir que je puisse obtenir que son nom soit lavé de cette fausse accusation de dopage. Son exaspération est à son comble, et il me demande de l’aide pour que cette suspension soit maintenant attribuée au véritable tricheur, Nicholas Chumba.
Je transmets alors un courrier à C. Kurgoy, responsable de l’anti dopage du Kenya, pour détailler cette situation, et confirmer que Kennedy Kipyego a bien été victime d’un usurpateur très doué. Tellement retors qu’il n’a pas hésité à encore utiliser le nom de Kennedy Kipyego lors de son come back en France, fin 2018 et début 2019.
Au tribunal pour des billets de train non payés
Cette fois, ce n’est pas pour disputer des compétitions que Nicholas Chumba a produit ses faux papiers, c’est lors de contrôles dans les trains, et alors qu’il voyage sans billets, entre octobre 2018 et avril 2019. Les amendes pleuvent, et la SNCF dépose plainte pour un préjudice qu’elle évalue à 1500 euros. Début février 2022, le journal Le Progrès révèle cette affaire, présentée devant le Tribunal de Roanne, qui le condamne à une peine de 500 euros d’amende avec sursis. Ou plutôt qui condamne Kennedy Kipyego.
Un élément important pour confirmer la qualité de victime du « vrai » Kennedy Kipyego, qui ne peut évidemment être à la fois présent au Tribunal de Roanne et au Kenya.
Mais cette lettre ne suffit pas à Athletics Kenya, et après plusieurs d’attente dans les bureaux de la fédération, le 2 mars, il est répondu à Kennedy que je ne suis qu’une simple journaliste, sans rôle officiel. Parfaitement exact, mais que font les instances officielles dans ce cas si particulier ??
Kennedy Kipyego est tellement ulcéré, qu’il décide de rester sur place aux bureaux de la Fédération. Comme il me le dit : « C’est mon droit. Je ne veux pas manquer ma course. Je n’ai pas de travail, et courir est mon travail ».
Barnabas Korir parfaitement informé de cette situation
Le lendemain matin, le jeudi 3 mars, la bonne nouvelle arrive : Barnabas Korir, le Président de la Fédération d’athlétisme du Kenya a donné l’ordre de rédiger la lettre de sortie. Car il l’admet auprès de Kennedy Kipyego, il est parfaitement informé de cette affaire : « Barnabas Korir est venu en France avec des athlètes qui vont disputer le Championnat du Monde en salle. Il a mené une enquête auprès de la FFA, et ses amis officiels lui ont dit que je disais toute la vérité et que Nicholas a volé mon nom. Il m’a dit Kennedy, tu n’as rien fait de mal, va faire ta course.»
Il reste maintenant une ultime étape pour Kennedy Kipyego, celle que son nom disparaisse complètement des bases de l’AIU.
Quelle suite en France à la tromperie Chumba ?
Et en France, quelle sera la suite de cette tromperie Chumba ? Les informations demeurent encore incertaines, mais l’accusation de faux documents conduite à l’encontre de Susan Kipsang Jeptooo et de son mari Jakob Kipsang laisse entendre que ces échanges de noms d’athlètes kenyans ne sont peut-être pas si rares.
Certes pour leur défense, Susan Jeptooo et son mari ont soutenu qu’ils avaient été victimes du vol d’un certificat médical par Nicholas Chumba, en arguant que celui-ci avait déjà été un voleur des papiers d’identité de Kennedy Kipyego. Toutefois, cela ne colle pas avec les informations selon lesquelles le couple Jeptooo-Kipsang connaissait parfaitement la double identité de Nicholas Chumba, puisqu’il n’en faisait pas mystère durant la période où il a été hébergé chez eux.
Nicholas Chumba court déjà avec une fausse identité en 2014
Autre élément troublant dans ce dossier : Nicholas Chumba avait déjà évolué en 2014 sous une fausse identité, au Danemark. L’information a été transmise à Kennedy Kipyego par un coureur danois, Steffen Toftegaard Massaro, qui avait couru avec lui à Odense lors du marathon HCA du 28 septembre 2014. La photo du départ est sans équivoque. Le visage est bien celui de Nicholas Chumba, mais le dossard 15 qu’il arbore est attribué à Kennedy Gwela Ogude. Toutefois, il abandonne durant l’épreuve, comme l’atteste la page 34 des résultats figurant sur le site « Sportstimings ».
Et petite surprise, tout de même, ce même jour, plusieurs coureurs du Kenya ne terminent pas leur marathon, et parmi eux, apparaît Mercyline Jeronoh, un nom devenu très connu en France. Quelques semaines après ce marathon HCA, Mercyline Jeronoh débute sa carrière sous les couleurs de l’ASPTT Annecy, avant d’évoluer pour Athlé St Julien 74, et depuis, elle a accumulé les victoires dans les épreuves sur route françaises.
Kennedy Gwela Ogude, Kennedy Lagat Kipyego. Voilà donc deux identités utilisées sur des périodes différentes par Nicholas Chumba. Son nième tricherie a mené ce dernier dans une impasse totale. A la fois en situation irrégulière, et donc susceptible d’être expulsé, et en même temps, contraint par le Procureur de la République de rester en France dans l’attente de son jugement.
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : D.R.