Ophélie Claude-Boxberger était convoquée ce lundi 15 mars devant la Commission des sanctions de l’AFLD, chargée de statuer sur la demande de huit années de suspension à son encontre. Pour la première fois depuis sa création, l’audience était publique. L’occasion de découvrir le travail des 10 membres de cette commission présents, avides de se faire leur propre opinion sur cette affaire très complexe, et encore mystérieuse.
Sujet réalisé par Odile Baudrier
C’est à 9h50 qu’a débuté cette audience de la Commission des Sanctions, installée pour l’occasion à l’Université de la Sorbonne, à Sciences Po. Pour la première fois, cette audience se tenait publiquement, à la demande expresse d’Ophélie Claude Boxberger. Ce sont ainsi une vingtaine de personnes, incluant plusieurs médias qui étaient présents dans l’assistance, ainsi que Mathieu Teoran, secrétaire général de l’AFLD, et Damien Ressiot, responsable du département enquêtes à l’AFLD.
Au premier rang se tenaient Antoine Marcelaud, juriste de l’AFLD et sa collaboratrice, et plus à gauche, Ophélie, ses deux avocats, Maître Clauzon, et Maître Lobier Tupin, et juste derrière son compagnon, le docteur Jean Michel Serra, son ami et partenaire d’entraînement Aziz Lya, sa mère, Sylvie Claude, qui allaient être entendus en qualité de témoins.
Face à eux, les dix membres de la commission, présidée par Rémi Keller, et entouré par Philippe Castel, Loïc Buet secrétaire, Stéphane Braconnier rapporteur, puis une autre rangée, avec M. Boyer, assistant rapporteur, Françoise Tomé, Isabelle Severino, Marie Claude Guelfi, Elisabeth Eléfant, Janine Grai.
Non Madame, vous ne comparaissez pas coupable
L’audience était ouverte par Rémi Keller, son président, qui tenait tout d’abord à répondre aux exceptions d’incompétences formulées dans son dossier par Maître Clauzon, le défenseur d’Ophélie Claude-Boxberger. D’abord sur le fait que l’AFLD serait incompétente à engager des poursuites, car sa création n’aurait pas été validée par une ordonnance. M. Keller de rétorquer que le projet de loi pour l’ordonnance avait bien été déposé. Et surtout sur le point concernant l’incompétence de la commission des sanctions, la mise au point à destination d’Ophélie Claude-Boxberger allait être claire et sans ambiguïté : « J’ai vu dans les conclusions de votre conseil et dans la presse que vous déclarez comparaître comme coupable. Vous avez ainsi déclaré que c’est en qualité de condamnée que vous comparaissez. Non, Madame, vous êtes ici car le collège de l’AFLD a engagé des poursuites contre vous. Vous avez face à vous des juristes, des compétences, une ancienne sportive de haut niveau. Et notre commission est bien indépendante. »
Un préalable fort pour défendre cette commission justement créée pour que les sanctions ne soient pas prises directement par l’AFLD sans analyses extérieures. Et tout au long de la journée, il allait clairement apparaître que les membres de la commission cherchaient vraiment à se forger leur propre opinion sur cette affaire tellement complexe.
Ophélie accuse le docteur Serra, puis Alain Flaccus s’accuse à son tour
Le rapporteur, Stéphane BRACONNIER, présentait ensuite les éléments sur le dossier, et plusieurs éléments inédits étaient alors révélés. D’abord le fait que la demande d’analyse d’échantillon B par Ophélie est arrivée trop tardivement à l’AFLD, qui a accepté de les effectuer à ses frais. Le fait aussi que dans un premier temps, Ophélie ait envisagé que le Docteur Serra puisse être l’injecteur de l’EPO parce qu’il avait pratiqué de la mésothérapie sur elle à plusieurs reprises à Font Romeu, pour soigner ses blessures aux tendons d’Achille et aux ischios. Mais elle avait ensuite souligné lui faire confiance.
Ensuite c’est par sa mère, Sylvie Clause, qu’Ophélie a été informée qu’Alain Flaccus s’était effondré chez elle, le 14 novembre, en disant qu’il est le coupable de cette injection, et qu’il est prêt à assumer son erreur, et Sylvie Claude acceptera de rédiger la lettre d’aveux adressée à l’AFLD et l’OCLAESP.
Ophélie donne les informations à Alain Flaccus pour s’accuser ??
S’ajoute ensuite le PV officiel de l’audition à l’AFLD d’Alain Flaccus du 30 septembre 2020, où il revient sur cet aveu, en indiquant s’être accusé à l’initiative d’Ophélie Claude Boxberger, avoir convenu ensemble la version à présenter, et qu’Ophélie lui a donné les informations à donner à l’appui de ses aveux. Et selon Antoine Marcelaud, le juriste de l’AFLD, la date du 12 septembre a été choisie par Ophélie, car elle était un élément déterminant pour expliquer présence EPO le 18 septembre et c’était également la dernière date partagée avec Flaccus à Font Romeu.
Le rapporteur fait également état des éléments qui ont conduit l’AFLD à estimer qu’une 2ème infraction a été commise. D’abord en raison d’incohérence dans les déclarations d’Ophélie, sur les pertes de sang subies, les stages, les plans d’entraînement. Avec cette conclusion très sévère, elle aurait fourni de fausses déclarations pour éviter l’interprétation de son profil biologique. Et Antoine Marcelaud, le juriste de l’AFLD, ajoutera aussi à charge pour cette 2ème infraction, des informations sur le « trou » dans la localisation d’Ophélie entre le 14 et le 16 septembre, ainsi que l’exagération sur son exposition à l’altitude, où elle déclarait une simulation en tente à 4000 mètres d’altitude, 9 heures par nuit. Avec là encore, le reproche d’une tentative de fausser l’interprétation des données biologiques.
Les membres de la commission des sanctions sont très curieux
Vont alors débuter des échanges riches entre les 10 membres de la commission des sanctions qui, tour à tour, questionneront Ophélie Claude Boxberger, afin de se dresser un tableau complet de la situation autour de ce contrôle et de ces multiples rebondissements rocambolesques.
Stéphane Braconnier, le rapporteur, et plusieurs membres, comme Janine Drai, ancienne juge et conseillère à la cour de Cassation, l’interrogent sur tous les aspects pour tenter de mieux comprendre. D’abord le contexte psychologique et physique de ce stage à Font Romeu, qu’elle accuse la FFA de lui avoir imposé pour la sélectionner pour le Championnat du Monde de Doha, tout en laissant livrée à elle-même pour la gestion logistique, ce qui explique, selon elle, qu’elle ait eu recours à Alain Flaccus pour l’épauler.
Les questions témoignent d’une certaine surprise, face à cette jeune femme qui accepte de se retrouver aux côtés de celui qu’elle accuse de viol à son adolescence, et Isabelle Séverino, l’ancienne gymnaste, insiste ainsi sur son état d’esprit d’avoir accepté de « remettre Alain Flaccus dans sa vie ». Rémi Keller l’interpelle également pour lui demander « Pourquoi vouliez-vous faire appel à lui pour des massages, alors qu’il y a des kinés à Font Romeu ? » Et Ophélie de justifier : « Il n’y avait pas de kinés comme dans un stage. Je ne pouvais pas voir un kiné en ville car il faut le voir tous les jours ».
La soirée du 12 septembre passée au crible
Cette fameuse soirée du 12 septembre est également disséquée, pour tenter de comprendre comment Alain Flaccus a pu effectuer cette injection d’EPO à son insu, alors qu’elle s’est endormie, écroulée par le cocktail Prozac-Lexomil-Stilnox, qu’elle a absorbé au repas, comme tous les soirs. Là encore, les questions fusent pour faire préciser des détails précis, comme celui de savoir si Alain Flaccus était debout ou assis pendant le massage, quelle tenue elle portait durant ce massage, ou d’imaginer comment il est possible qu’il range si précipitamment la seringue.
La consommation des médicaments par Ophélie va également susciter plusieurs interventions, autour de ce PV du contrôle du 18 septembre où sont seulement mentionnés de la vitamine C, du Berocca, mais pas les anti-dépresseurs, somnifères, et pas plus les produits injectés en mésothérapie par le Docteur Serra, anti-douleur, myorelaxants, et donc Ophélie admet d’ailleurs ne pas connaître les noms.
L’expert Martial Saugy penche pour une cure d’EPO
Vient ensuite l’intervention par vidéo de Martial Saugy, expert pour l’AFLD, qui va livrer une démonstration contrastée, avec d’abord une information non connue jusqu’alors, le fait qu’un prélèvement effectué le 23 septembre à Doha durant le championnat du monde s’est avéré contenir, lui aussi, de l’EPO. Ce sont deux échantillons, l’un du 18 septembre, l’autre du 23 septembre, qui contenaient en réalité de l’EPO ! D’où la conclusion pour l’ancien patron du Laboratoire de Lausanne, qu’une cure d’EPO a été suivie. Martial Saugy avait également à disposition les déclarations d’Ophélie, et les résultats des prélèvements du 23 juillet, 5 août, 12 septembre, 11 octobre.
Toutefois, à la question de Rémi Keller : « Est-il exclu qu’une injection du 12 septembre soit détectée le 18 et le 23 septembre ? Est-ce une certitude ? », la réponse de Martial Saugy sera nuancée : « On ne parle pas de certitude en sciences. Vous me demandez si j’ai la certitude d’organismes qui puissent réagir différemment ? Je m’appuie sur les connaissances scientifiques. Je n’ai pas connaissance d’un métabolisme particulier. La probabilité que ce soit une seule injection est extrêmement faible. »
Une information capitale qui tend à accréditer la thèse d’un dopage avec plusieurs injections d’EPO, atténuant ainsi la ligne de défense d’Ophélie, et de sa position de victime de son ex-violeur, devenu jaloux de son nouveau compagnon, Jean Michel Serra.
Alain Flaccus n’a pas voulu témoigner en public, et il fait la girouette
Alain Flaccus, personnage central de cette affaire, n’avait malheureusement pas accepté que son témoignage, par visio conférence, soit public, et c’est donc sans le public et durant une heure qu’il a livré sa version des faits. Ou plutôt ses versions, si l’on en juge par les remarques formulées par le président Keller lors de la poursuite des auditions des autres témoins.
Avec d’abord celle de Sylvie Claude, la mère d’Ophélie, autre personne sur la sellette dans cette affaire, de par ces actes étranges. L’incohérence domine dans ses propos, et tout au plus, accepte-t-elle de reconnaître qu’elle a incité sa fille à accuser le Docteur Serra à la place d’Alain Flaccus. Mais elle conteste par contre avoir demandé en août 2020 à Alain Flaccus de changer sa version sur son rôle, comme celui-ci vient, semble-t-il, de le soutenir à la commission…
Jean-Michel Serra, choqué d’être accusé
Après le court témoignage d’Aziz Lya, ami proche d’Ophélie, qui soutient qu’Alain Flaccus lui a dit dès le 30 septembre que quelque chose de grave allait arriver, c’est au tour de Jean-Michel Serra d’être entendu. Pour livrer combien la situation a été délicate pour lui après l’annonce de ce contrôle positif : « Les jours qui ont suivi la notification, ma culpabilité a été évoquée. Moi, je suis dans la lutte anti-dopage depuis plusieurs années. Alors imaginer que la personne pour laquelle j’ai quitté ma famille soit positive, cela me paraissait surnaturel. Lors de l’audition des gendarmes, il a été évoqué une erreur dans la mésothérapie, que j’ai injecté de l’EPO par erreur. Ce n’est même pas possible pour un médecin du sport. Vous n’avez pas ce produit dans votre valise. Je n’ai jamais vu une seule ampoule d’EPO de ma vie. Le seul fait qu’elle ait pu évoquer ça me choquait beaucoup. »
Jean-Michel Serra dresse alors le tableau d’une athlète perturbée, car mise sous pression par la FFA, et en particulier Jean François Pontier, qu’il ne nomme pas, mais qu’il accuse d’avoir déstabilisé Ophélie en exigeant des entraînements excessifs, en l’incitant à perdre trop de poids, et il admet même avoir envisagé que « cette personne trop proche d’elle ait pu lui nuire »…
Jean-Michel Serra, juge et partie pour Ophélie
Mais Rémi Keller n’hésite pas à le mettre, lui aussi, sous pression, en le questionnant pour savoir s’il a proposé la sélection d’Ophélie Claude Boxberger pour le Mondial de Doha, alors même qu’il partage sa vie. Et Rémi Keller devra répéter à plusieurs reprises pour obtenir un Oui de Jean Michel Serra. Tout comme il sera insistant pour connaître les raisons de son licenciement de la FFA en décembre 2019, et surtout s’il est en lien avec la lettre adressée par le médecin au directeur des contrôles de l’AFLD, pour solliciter en octobre 2018 une diminution du nombre de contrôles anti-dopage d’Ophélie, qu’il estime mise en danger par ces prélèvements.
Jean-Michel Serra l’admet, il a lui-même placé Ophélie sous traitement anxiolytiques, vu sa difficulté de vivre, et lui a bien effectué à trois reprises durant son stage de Font Romeu des injections en mésothérapie, contenant anti-douleur et myorelaxants.
Jean Michel Serra réfute l’expert Saugy
Mais Jean-Michel Serra profite aussi de son audition pour s’insurger sur le rapport de l’expert Martial Saugy. L’ex médecin fédéral souligne : « Les études utilisés sont petites. M. Saugy parle de 2 à 3 personnes. Ce n’est pas sérieux. Il faut au moins 30 personnes. Se baser seulement sur cette étude-là me paraît difficile. Les études ne tiennent pas, c’est difficile de remettre en place des conditions réelles d’entraînement. »
Et surtout, il s’insurge auprès de M. Marcelaud, le juriste de l’AFLD, sur l’échantillon positif du 23 septembre, prélevé à Doha et analysé à Châtenay Malabry : « Pourquoi on nous sort un contrôle positif du 23 septembre ? Comment cela arrive dans les mains de M. Saugy ? ».
Antoine Marcelaud précise alors le cadre : « Cet échantillon a été prélevé par l’AIU pour le passeport biologique. Il n’a pas été analysé immédiatement. Il a été analysé par AFLD pendant l’enquête, et a permis de l’éclairer. »
Antoine Marcelaud évoque un scénario pour ce contrôle positif
C’est alors que le Président Keller va débuter une attaque en règle des arguments présentés par Antoine Marcelaud dans ses conclusions. Avec une première question, essentielle : « Nous avons eu des informations contradictoires de Flaccus. Vous affirmez que c’est à l’initiative de Ophélie Claude Boxberger que M. Flaccus s’accuse. Qu’est-ce qui vous fait croire que cette dernière version est la bonne ? »
Et Antoine Marcelaud va alors dévoiler : « Il nous semble que c’est un scénario valide. Il y a recours au dopage dans les 10 jours avant un Championnat du monde, et aussi un trou dans la localisation. Nous concluons à un comportement de dopage. » Sans oublier aussi de rappeler : « Eliminer l’EPO est très rapide. Se mettre à l’abri plus de 48 heures permet d’éviter le contrôle. »
Rémi Keller hostile à une sanction de 8 ans. Et pour les 4 ans ?
Toutefois Rémi Keller va se révéler particulièrement hostile contre l’idée d’une deuxième infraction, susceptible de doubler la sanction à 8 ans. Pour une raison de droit : les problèmes autour de la localisation et l’exagération des problèmes sanguins gastriques ne peuvent être pris en compte, car existant avant la première notification. Ce n’est donc, selon le président de la Commission, que l’éventuelle collaboration entre Ophélie et Alain Flaccus pour bâtir un scénario qui pourrait être pris en compte pour cet allongement.
Après plus de six heures de débat, il était temps de donner un court temps de parole aux deux avocats d’Ophélie Claude Boxberger, qui ont livré 100 pages de conclusions écrites. Après maître Clauzon, qui insiste sur la volonté d’Ophélie dans ces démarches juridiques, où il estime qu’elle se retrouve trop souvent bloquée pour de mauvaises raisons, c’est maître Lobier Tupin qui dresse un portrait très humaniste d’Ophélie, s’engageant dans l’athlétisme en honneur de son père adoré et absent, souffrant ensuite de sa mort tragique. Et l’avocate spécialiste des abus sexuels va décrire Alain Flaccus sous un angle très sombre, celui d’un prédateur qui s’incruste auprès de la mère et de la fille, pour la placer sous son emprise.
Ophélie dans le programme I run clean !
Maître Lobier Tupin, habituée des prétoires des Assises, s’aventure avec fougue sur un terrain glissant : « Ophélie quand elle s’investit, s’investit à fond. C’est faire offense à son intelligence de faire croire qu’elle s’est dopée volontairement. Alors qu’elle était plus contrôlée que les autres. Pourquoi cet acharnement ? Alors qu’elle est propre. Elle n’a aucun no show. Elle adhère au programme I run clean. » Les spécialistes apprécieront…
Après les ultimes mots d’Ophélie, clamant « Ma vie s’est arrêtée le 5 novembre 2019 », il ne restait plus à Rémi Keller qu’à répéter à la jeune femme sa déclaration préalable : « La décision sera prise en conscience et en toute indépendance. ». Avec un verdict à venir dans les deux à trois semaines.
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : Gilles Bertrand