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Violences sexuelles : Patrice Gerges interpelle les athlètes d’élite

Patrice Gerges s’est adressé aux athlètes de haut niveau de la FFA pour les sensibiliser au thème des violences sexuelles dans leur sport, en les invitant à transmettre des informations sur des victimes. Une initiative personnelle du DTN, qui veut amener le système à penser différemment.

Interview réalisée par Odile Baudrier

A combien d’athlètes a été adressé votre mail incitant les athlètes à « combattre ce fléau et tous les comportements déviants pouvant porter atteinte à l’intégrité physique et à l’éthique » ?

Ce sont environ 500 athlètes de haut niveau qui l’ont reçu.

Pourquoi avoir envoyé ce mail ?

C’est une initiative personnelle. Je suis sensible à ce sujet. Je souhaitais informer les athlètes que c’est important de transmettre des informations sur ce thème. Qu’il n’est pas possible de seulement vivre son sport, qu’il faut aussi jouer un rôle dans la société. Cela peut être d’informer sur des faits constatés, ou des soupçons, voire même pour révéler être une victime (*). Cela se situe dans la continuité d’un travail de sensibilisation effectué durant la réunion des cadres techniques en novembre dernier, sur les thèmes de la lutte contre le dopage, des violences sexuelles et de la radicalisation. Après les cadres techniques, l’étape suivante concernait les athlètes, et puis l’actualité de l’athlé en novembre et décembre a décalé le moment où j’ai pu en parler aux athlètes. Sur les conseils de tiers impliqués depuis 2018, j’ai commencé à envoyer ce courrier. C’était le moment où Abitbol a sorti son livre, et où l’actualité permettait de resensibiliser les athlètes à un moment important.

L’initiative vise à montrer que vous êtes sensible à cette cause ou bien vous pensez que cela peut avoir un impact sur des signalements de cas ?

La volonté n’est pas de dire que je suis sensible à cette cause. Je pense, ou j’espère en tout cas, que tout DTN y est sensible. Mais c’est plutôt de faire émerger les cas. Car j’ai été très touché en entendant Abitbol évoquer le fait qu’elle avait enterré ça dans son inconscient et que c’est sorti quelques années plus tard. C’est très compliqué de vivre avec ces choses dans son inconscient. Parfois ça nous mange de l’intérieur sans qu’on s’en rende compte.

Quand vous dites que vous avez entendu parler de cas qui vous ont sensibilisé, s’agit-il des cas connus ou d’autres situations ?

Il y a les cas connus depuis 2018 (**). Et d’autres avant, moins médiatisés. Et il y a aussi toute cette accélération, car le colloque des cadres techniques a fait bouger leur façon de comprendre et appréhender les choses. Cela a accéléré les informations. Et aussi le fait qu’on ait lancé la formation « Ethique et Responsabilité » en 2017. Il y a de plus en plus de monde sensibilisé, et donc plus de monde qui parle.

3 cas signalés par des cadres techniques depuis début 2020

Le cadre technique informé de tels agissements a un outil à sa disposition, l’article 40. Vous-même avez-vous déjà activé cet article 40 ?

C’est toujours en lien avec les autorités locales. Intervient la Direction Jeunesse et Sports, en lien avec la Préfecture. Soit le cadre technique prend l’initiative et m’en informe, soit je lui demande de le faire.

L’avez-vous fait plusieurs fois ?

On a fait plusieurs articles 40. Au moins trois depuis le 1er janvier. Il y en aura de plus en plus car tout le monde est plus sensible à tout ça. La parole va se libérer.

Par quels moyens incitez-vous les athlètes de haut niveau à témoigner, ou à se plaindre ?

Il y a deux numéros fournis par l’Etat (***). L’un destiné aux mineurs, l’autre aux majeurs. Et puis, il y a la possibilité de me contacter, ou de contacter un cadre technique.

Croyez-vous que cette méthode puisse faire émerger des cas ?

Les derniers cas résultent d’informations des cadres techniques. Ce n’est certainement pas suffisant. On a créé à la fédération une cellule de lutte contre les déviances, adossée à la lutte contre le dopage, de façon à pouvoir mettre en place de vraies actions beaucoup plus larges, que celles destinées aux athlètes de haut niveau ou aux cadres techniques.

Vous me parlez de 2018. Aviez-vous connaissance de cas de violences sexuelles ou déviances sexuelles avant cette date ? Pensez-vous que ces faits sont très répandus en athlétisme ?

Avant 2018, j’en ai entendu parler. Même quand j’étais athlète, j’en ai entendu parler. Mais la société avance et fait avancer les mentalités et la façon d’agir. Je pense que la façon d’agir à partir de 2020 ne sera pas la même que celle dont on a agi en 2018, et dont certainement la Fédération et la société agissaient avant 2018.

Cela veut dire qu’il y a un peu de regrets sur la façon dont certains cas ont été gérés dans le passé ?

C’est peut-être désolant ce que je vais dire. Mais peut-être un manque d’expérience de gestion de ces situations, qui fait qu’il y a peut-être eu des gestions maladroites, même si l’intention n’était pas de l’être.

Vous pensez à quel cas, celui d’Emma Oudiou ?

On a fait au mieux avec Emma, mais peut-être qu’on aurait pu faire mieux. En tout cas aujourd’hui, je ferai différemment.

La FFA n’a pas accès aux informations sur les enquêtes

Il semble que cette affaire soit complètement bloquée. Pascal Machat ne semble même pas avoir été entendu par les enquêteurs. Qu’en savez-vous ?

On a zéro information de la part de la police ou du procureur. C’est la difficulté d’une Fédération, c’est qu’on n’a pas le pouvoir de police et on n’a pas la possibilité d’avoir accès aux informations tant qu’une décision n’est pas prise par le Procureur.

Par contre, vous avez le pouvoir disciplinaire. Et ce pouvoir semble être exercé de façon secrète ?

Non, il est exercé de façon indépendante, car la commission de discipline s’est réunie et a pris une décision au regard des éléments dont elle disposait. La difficulté est que comme il n’y a pas le pouvoir de police, les informations dont dispose la commission de discipline sont des témoignages des différents acteurs.

Vous m’avez dit tout à l’heure que ce mail aux athlètes était une initiative personnelle. Cela veut dire que vous l’avez imposée au Président ou il y a eu une collaboration positive sur ce thème ?

Le président est toujours informé. Il n’y a pas de cachotteries. Mais pour les athlètes de haut niveau, je suis seul décideur de la communication. Cela fait partie de mes prérogatives. On aura aussi des actions plus fédérales, sous l’égide du Président. Le côté démocratique d’une Fédération est qu’il faut en parler au Bureau. Il y a des temps plus longs que celui du passage d’une information aux sportifs de haut niveau.

J’ai entendu le cas récent d’une athlète victime de harcèlement dans son club, qui a demandé une mutation gratuite en cours d’année. Il semble qu’elle ait été dans un premier temps refusée, et puis dans un deuxième temps, acceptée très rapidement après l’information de l’AFP qui parle de problèmes dans un club. Qu’en savez-vous ?

Non, cela n’a pas été refusée. Mais il y a des procédures. La commission des règlements étudie réglementairement ce que veut dire la demande, et ensuite le bureau fédéral étudie la réponse faite de la commission des règlements et suit ou pas la proposition de la commission. Dans ce cas-là, il me semble que le bureau a choisi de suivre la commission, et d’aller dans le sens de la mutation gratuite. Ce qui manque un peu aujourd’hui dans nos textes, c’est que les cas d’exception ne sont pas obligatoirement pensés, et donc ça ralentit la décision. On pourrait avoir plus d’efficacité en faisant évoluer nos textes.

A la suite de l’envoi de votre mail, avez-vous des réactions d’athlètes ?

Aucune. Ni positive, ni négative. Aucune interrogation. En tout cas, envers moi. Peut-être il y a eu des discussions avec les cadres techniques.

Est-ce que cela vous pose question ?

La lecture des mails n’est pas la plus assidue pour les athlètes de haut niveau. Il y a aussi les stages pour en parler. Et il faudra aussi passer par d’autres médias, Instagram, Twitter..  

Et si le DTN connaît les personnes mises en cause ??

Pensez-vous que l’idée même de référer des cas à un DTN n’est pas saugrenue ? Compte tenu que vous êtes partie prenante d’un système, et que cette mise en cause peut concerner des personnes que vous connaissez. Peut-on imaginer que vous seriez totalement neutre dans ce cas ?

Moi, je l’imagine en tout cas. Je comprends qu’on peut imaginer l’inverse. C’est pour cela que j’ai communiqué deux numéros de téléphone, en-dehors de la fédération, destinés à recueillir la parole, et à effectuer un accompagnement dans l’action qui pourrait être entreprise suite à leur plainte.

Il existe tout de même un canal privilégié pour les sportifs, qui n’a pas été choisi par vous. Ce sont les deux associations référentes sur ce thème, «Ethique et Sport », et « Colosse aux pieds d’argile ». Pour quelle raison ?

Ce sont des associations. Moi, je suis DTN, je suis agent de l’Etat. Je n’ai pas les prérogatives pour décider seul de quels liens la fédération, association, veut avoir avec d’autres associations. Ce sont des relations entre présidents. La cellule de lutte contre les déviances va inciter à avoir des actions de ce type-là.

On parle de violences sexuelles. Elles sont souvent liées à de la manipulation d’emprise. Qu’en est-il des actions dans ce domaine-là ?

Cela fait partie des déviances de comportements humains. Les étapes à venir au sein de la fédération est de savoir comment on éduque mieux nos cadres, et dirigeants à mieux comprendre ce qui se passe dans leur environnement, pour pouvoir intervenir beaucoup plus tôt s’ils sont témoins de harcèlements multiples.

Mais si ce sont eux qui pratiquent la manipulation ou le harcèlement ?

Ca voudrait dire qu’il y a une collusion au sein d’une association de l’ensemble des dirigeants et entraîneurs. Pour moi, c’est quelque chose de rarissime.

Qu’en est-il du harcèlement psychologique, dont se plaignent certains athlètes ?

La situation du harcèlement moral est à la fois liée à la personne qui émet une information, et à celle qui la reçoit. Et le niveau de sensibilité des uns et des autres est complètement différent. Moi, je souhaite, que tous les athlètes de haut niveau aient un vrai suivi psychologique très tôt, pour avoir la meilleure définition de la façon dont eux-mêmes peuvent recevoir une information. Car j’ai des discussions avec des entraîneurs nationaux, qui me disent, quand je pousse un athlète à aller dans ses retranchements, parfois, je me demande si je ne fais pas du harcèlement. Et quand je discute avec des athlètes, ils disent qu’il faut qu’il me pousse pour aller au-delà des limites que je me fixe. On est toujours à la frontière. On n’est pas encore assez formés dans l’encadrement, pour savoir comment on ne dépasse pas une frontière en fonction de l’individu qu’on a en face de lui. Pour la même action, 90% ne verront pas ça comme du harcèlement, et 10% jugeront comme harcèlement. On ne peut pas se le permettre.

Justement, on retrouve un peu la dérive constatée sur les violences sexuelles où on a beaucoup entendu le concept de l’entraîneur « tactile », qui justifierait certains comportements. Certes, ils ne gêneront pas 90% des personnes, mais 10%. Qu’en pensez-vous ?

Il faut que les 10% soient entendus comme les 90%, avec leur spécificité. Je pense qu’un entraîneur doit s’assurer que la personne avec laquelle il va avoir un contact manuel, à condition que ce soit cohérent par rapport à l’activité, est d’accord pour recevoir ce contact manuel. Mais c’est la même chose pour les kinés, où des sportifs se sont plaints de kinés pratiquant des massages un peu appuyés dans certaines zones. La question est plutôt de savoir comment ces individus n’aient plus ce genre de comportement dans le monde de l’athlétisme.

Y aura-t-il une vague de plaintes comme dans le patinage ?

Pensez-vous que l’athlétisme pourrait être victime d’une vague de plaintes d’athlètes comme on a pu récemment le voir dans le patinage ?

Je ne sais pas. On aurait pu avoir une vague de plaintes en 2018, on n’en a pas eu. Surtout ce qui est important est de noter que souvent dans ces situations, les parents changent leur fille ou leur fils de club et d’entraîneur, et du coup, ils ne portent pas plainte. Parfois on sait qu’il y a eu quelque chose quelque part, mais on ne sait pas avec qui, avec quel entraîneur. On a des bruits. Là, ça m’est insupportable car il faut avoir des informations pour pouvoir éviter que d’autres personnes soient victimes un jour avec les mêmes personnes. C’est bien de se protéger soi, mais il faut aussi protéger les autres.

Est-ce vraiment réaliste ?

Moi, je ne suis pas là pour être réaliste, je suis là pour amener le système à penser autrement. 100% des personnes ne vont pas adhérer, mais le peu qui adhèrera sera le petit plus. Cela fera changer culturellement les choses. Et progressivement, on aura de moins en moins de situations comme ça.

Pensez-vous que si beaucoup de situations apparaissaient, la Fédération d’athlétisme pourrait être en danger, comme on l’a vu pour la Fédération des sports de glace ?

Non. La fédération d’athlétisme en tant qu’institution en danger ? Je n’y crois pas. Que des individus au sein de la Fédération soient en danger, c’est possible. Chacun prendra ses responsabilités. C’est surtout la compréhension du modèle associatif qu’il faut faire évoluer, et le rôle de chacun. Moi, je ne peux pas entendre un président de club dire « Mais ça se fait dans la sphère privée, et pas au moment de l’entraînement, et donc ça ne me regarde pas ». Ce sont des choses qui ne doivent pas exister chez les dirigeants. Car c’est entre deux personnes, et quand c’est illégal, il faut faire aboutir.

Est-ce que ce dossier vous paraît plus complexe que celui du dopage ?

Non pas plus complexe. Il est complètement différent dans sa façon de le traiter. Il est moins simpliste car le dopage est lié aussi à l’argent et à la reconnaissance. Là, on est dans la déviance profonde d’un individu envers des tiers. On le retrouve dans la société en général. L’être humain est ainsi fait. Comment on arrive à protéger les acteurs face aux déviants ? Et là peut-être que le monde associatif laisse trop facilement entrer les déviants ? Car on est dans l’esprit associatif, les gens se réunissent pour un objet commun, le partage. Or des personnes se servent de ça pour assouvir des pulsions complètement différentes….

Interview réalisée par Odile Baudrier

Photo : D.R.

(*) Pascal Gergès rappelle aussi aux athlètes que la non dénonciation aux autorités administratives ou judiciaires d’un crime ou d’agressions sexuelles infligées à un mineur est pénalement réprimé par le Code Pénal.

(**)Emma Oudiou et Pascal Machat, affaire Semba

(***) Mineurs : 119 – service de l’enfance en danger – Majeurs : 116 006

(****) Ethique et sport : 01.45.33.85.62 – Colosse aux pieds d’argile : colosseauxpiedsdargile.com

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