La présence de trois anciens dopés dans l’épreuve Sierre-Zinal a ravivé la polémique autour du droit aux ex-dopés de retrouver la compétition après leur suspension. Ce débat suscite toujours des prises de position contrastées, comme cela avait été le cas, à une toute autre dimension, pour le come-back de l’Américain Justin Gatlin, revenant à un meilleur niveau qu’avant sa sanction. Mais la deuxième chance revenant aux ex-dopés est avant tout une obligation légale. Même si certaines épreuves s’organisent pour la contourner, et boycotter ainsi ces « coupables ».
Trois anciens dopés dans une épreuve, c’est relativement rare. La classique suisse de montagne, Sierre Zinal, a connu cette situation, il a y quelques semaines. La divulgation de cette information a suscité des réactions très contrastées, et parfois épidermiques, qui n’ont pas fait plaisir aux organisateurs de la classique suisse. Engagés dans une démarche anti-dopage, avec le financement depuis 2015 sur leur budget des contrôles anti-dopage programmés à l’arrivée, mais également favorables à la possiblité d’une deuxième chance pour les coureurs antérieurement sanctionnés pour dopage.
Une deuxième chance. Le terme revient souvent pour expliquer pourquoi un ex-dopé doit pouvoir à nouveau évoluer dans son sport qu’il a trahi par ses dérives. Et ce concept n’est pas pour plaire à tous, comme il avait été aisé de le constater lors du come back de Justin Gatlin, particulièrement hué lors du Mondial de Londres qu’il avait remporté en supplantant le chouchou des foules, Usain Bolt.
Dopé un jour. Dopé toujours ???
Pourquoi tant d’hostilité ? Parce que circule en filigrane l’idée qu’un ancien dopé revient dans le milieu même où il a évolué en menteur, où il a obtenu des victoires, des titres, de l’argent, des honneurs, grâce à une pratique douteuse, et qu’il risque de reproduire ses errements du passé, faute de savoir faire « sans » les produits. La très percutante formule « Dopé un jour, dopé toujours » résume l’état d’esprit de nombre d’observateurs.
Avec également sous-jacent, le sentiment que l’avantage apporté par son utilisation antérieure de produits dopants lui bénéficie à travers les années.
Vrai ou faux ? En clair, le dopage est-il encore efficace des années après son arrêt. Non, diront tous les spécialistes de l’entraînement et de la physiologie, certains qu’une cure d’EPOGa ne peut apporter des bénéfices sur le très long terme. Vrai, soutiendront d’anciens dopés, expliquant que le palier d’entraînement franchi grâce aux produits demeure définitivement acquis.
Sebastien Coe, hostile à Justin Gatlin
Et ce n’est évidemment pas le cas de Justin Gatlin qui apportera moins d’eau à leur moulin. Car le voilà capable de courir plus vite après son arrêt de quatre ans pour dopage, et maintenant, à plus de 37 ans, en lice pour un nouveau titre mondial, et olympique, compte tenu de l’éventualité d’une sanction contre Christian Coleman, son grand rival.
Une situation apparaissant très choquante à Sebastien Coe, le président de l’IAAF, qui n’avait pas hésité à vitupérer sa présence au mondial 2017, utilisant des mots très durs contre l’Américain, et sa capacité à décrocher ce titre mondial après deux suspensions pour dopage.
Mais tout président de l’IAAF qu’il soit, Sebastien Coe n’a pu empêcher Justin Gatlin de disputer ce Mondial de Londres, après qu’il se soit qualifié « à la régulière ».
Un droit au come back très verrouillé
Car la loi sportive est très claire : un ancien dopé a le droit de revenir sur un stade comme sur la route pour un marathon. Avec tout de même dans la pratique, de sérieux bémols surtout s’il s’agit pour l’athlète de se retrouver rapidement dans le circuit du très haut niveau international.
A son retour, en 2010, Justin Gatlin, boycotté dans son propre pays, avait dû accepter de retrouver le 100 mètres dans des meetings étrangers de très petite notoriété, en Italie, en Finlande, ou encore à Reims. Son passé n’y faisait pas obstacle, là encore auprès d’organisateurs adeptes de la deuxième chance, et progressivement, à la faveur de ses bons chronos, il avait pu retrouver les très grands meeetings, et la Diamond League, où il est si difficile d’entrer. Chasse gardée organisée par les plus grands managers qui s’entendent pour accepter les uns ou les autres. L’introduction du « ranking », classement des athlètes selon les performances, devrait amener à un certain « automatisme ». Mais à condition tout de même de pouvoir afficher des performances dans des meetings bien notés. Un come back à la Gatlin pourrait s’avérer maintenant plus compliqué.
Pour les marathoniens, le champ d’action est beaucoup plus large, avec la multitude d’épreuves organisées chaque dimanche dans le monde entier, et particulièrement maintenant en Asie. Les organisateurs ne sont pas toujours très regardants, à l’image d’un marathon d’Istanbul, qui accueille pour son retour après suspension le Franco-Kenyan Abraham Kiprotich, qui avait justement été contrôlé positif à l’EPO en 2010 sur leur course…
Les primes seulement aux élites invitées
Mais les plus grosses épreuves se sont organisées pour éviter cette situation de la présence d’un ex-dopé, très souvent embarrassante sur le plan médiatique. Les Abott Major Marathon ont ainsi créé leurs propres règles, qui imposent aux athlètes de leur plateau élite une surveillance particulière de la part de l’Athletics Integrity Unit, avec l’obligation de contrôles hors compétition réguliers.
Une méthode efficace pour prétendre à garantir des performances propres ? En tout cas, elle élimine de facto les coureurs que ces Major n’ont pas retenu dans leur plateau élite. Un marathonien de retour après suspension ne pourra en aucun cas y figurer. Pour corser le tout, le marathon de Boston a introduit une nouvelle régle : seuls les coureurs partis dans le sas élite pourront prétendre aux primes d’arrivée. Un ex-dopé qui pourrait décider de s’inscrire par la méthode « normale », comme tous les autres coureurs, n’y aura pas accès et aucune prime ne pourra ainsi lui revenir. CQFD.
Texte : Odile Baudrier
Photo : Gilles Bertrand