L’instruction de l’affaire de corruption au sein de l’IAAF est maintenant achevée par le juge Renaud Van Ruymbecke. Plusieurs personnes ont été mises en examen, autour de Lamine Diack, l’ancien président de l’IAAF. Plusieurs parties civiles ont été reconnues, avec seulement deux athlètes, Christelle Daunay et Hind Dehiba. Dans les mois à venir, le tribunal de grande instance de Paris devrait reconnaître les préjudices et les chiffrer.
C’est une étape très importante qu’a franchi, en toute discrétion, Renaud Van Ruymbecke et son équipe du Parquet National Financier, avec la clôture en février dernier de l’instruction sur le dossier de la corruption au sein de l’IAAF.
Avec une décision importante, celle de mettre en examen Valentin Balakhnichev, ancien président de la Fédération d’athlétisme de Russie, pendant près de 20 ans, et également Trésorier de l’IAAF. Et Alexei Melnikov, l’entraîneur national du demi-fond en Russie.
Ces deux noms russes s’ajoutent à ceux de Lamine Diack, l’ancien président de l’IAAF, de son fils Papa Massata Diack, son conseiller Habib Cissé, et du docteur Gabriel Dollé, ex-patron de l’anti-dopage à l’IAAF.
Un joli groupe de magouilleurs qui ont su tirer parti de toutes les situations, qu’il s’agisse du dopage ou de pots de vin pour obtenir des votes pour de grandes compétitions, du Mondial du Qatar, en passant par les JO de Tokyo.
L’enquête clôturée valide ainsi les méfaits de ces profiteurs qui devraient répondre de leurs actes devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Le conditionnel s’impose, car hormis le Sénégalais Lamine Diack, qui est interdit de quitter le territoire français, et le Français Gabriel Dollé, qui habite dans le sud-est de la France, il semble plus qu’improbable que leurs comparses se présentent pour se justifier…
Un procès début 2020 ?
La clôture de l’instruction valide de manière définitive les parties civiles reconnues par le juge Van Ruymbecke. En l’occurrence le CIO, l’Agence Mondiale Anti-Dopage, et l’IAAF, s’estimant toutes lésées par les agissements malhonnêtes de Lamine Diack et ses comparses. Mais aussi de Christelle Daunay et Hind Dehiba. Leur demande d’être considérées comme des victimes de ce système de corruption a été prise en compte par le juge Van Ruymbeke.
Celui-ci a pris le temps de recevoir spécialement Christelle Daunay et son avocat, Maître Antoine Woimant, qui explique : « Christelle a été entendue pour comprendre notre position : elle est l’une des victimes du système de corruption mis en place. » Il reste maintenant à attendre les réquisitions du Procureur, qui décidera du renvoi éventuel devant le Tribunal Correctionnel des personnes mises en examen, et ensuite la convocation pour une audience devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Selon les éléments de Maître Woimant, le renvoi pourrait intervenir en septembre-octobre 2019, et l’audience début 2020.
C’est à ce stade que Maître Woimant pourra déposer la demande d’indemnisation pour la marathonienne française, qui sera évaluée en fonction du préjudice subi du fait de la corruption organisée au sein de l’IAAF, et qui a permis à plusieurs athlètes russes, en particulier la marathonienne Liliya Shobukhova, de poursuivre la compétition grâce à l’annulation d’un contrôle anti-dopage positif par les dirigeants de l’IAAF de l’époque.
Un préjudice financier, mais surtout moral pour Christelle Daunay
Maître Woimant et Christelle Daunay ont déjà effectué une évaluation, qui s’appuie surtout sur la perte financière subie par la Française lors de la renégociation de ses contrats avec ses partenaires à la suite de sa 5ème place au marathon de Chicago en 2011, où Liliya Shobukhova, dopée mais protégée, l’avait emporté.
Mais Maître Woimant le souligne, l’aspect financier n’est que secondaire pour Christelle Daunay, qui souhaitait surtout obtenir la reconnaissance de son statut de victime des agissements des dirigeants de l’IAAF, qui couvraient le dopage de certains, alors qu’ils étaient en charge de l’organisation de l’athlétisme et de son éthique.
La partie civile reconnue, l’avocat de Marseille a eu le privilège de pouvoir consulter l’ensemble du dossier de cette affaire. Et sa conclusion est sans appel : « Il prouve que c’est à juste titre que le juge Van Ruynemke a accepté notre partie civile, qui avait été constituée au départ à partir des éléments parus dans la presse. »
Les éléments consultés confirment donc que la corruption régnait pour couvrir les contrôles positifs d’athlètes surtout de Russie. Dans ce contexte, un certain nombre d’athlètes du monde entier a été lésé par ces agissements, surtout dans les domaines du marathon et du demi-fond, où les primes financières revenaient à des athlètes protégées, russes et turques.
Mais la majorité s’est désintéressée de la procédure lancée en France par le Parquet National Financier, et côté français, peu d’athlètes ont vraiment eu à subir les conséquences financières directes de ces dérives douteuses.
Hind Dehiba, lésée en 2012
Deux athlètes seulement apparaissent en partie civile : Christelle Daunay et Hind Dehiba. L’ancienne spécialiste du 1500 mètres avait demandé la reconnaissance du préjudice subi à trois reprises, pour les Mondiaux en salle 2012, les Europe d’Helsinki en 2012, et les Jeux Olympiques de Londres en 2012.
L’argumentaire s’appuyait sur le fait que pour l’Europe d’Helsinki en 2012, elle n’avait pu accéder à la finale, alors que plusieurs athlètes de Russie et de Turquie avaient bénéficié de protection de leur dopage. Et surtout qu’elle n’a pu obtenir sa qualification pour les JO de Londres en raison de minima trop élevé car fixé en fonction des performances mondiales « artificiellement » augmentées par le dopage d’athlètes protégées par la corruption de certains dirigeants IAAF. Or une participation aux JO lui aurait permis d’intégrer ensuite la Ligue Professionnelle, et de bénéficier de dédommagements financiers. Sans oublier aussi l’attribution à titre rétroactif de la médaille de bronze du Mondial en salle 2012, où elle n’a pu obtenir la prime correspondante.
Des éléments visiblement pris en compte par le Juge Van Ruynmenke, qui a ajouté le nom d’Hind Dehiba sur la liste des parties civiles, qui devraient donc bénéficier d’une reconnaissance d’un préjudice moral et financier. Les mois à venir permettront d’en savoir plus.
- Texte : Odile Baudrier
- Photos : Gilles Bertrand
La partie civile de Me Abdoulaye Wade, l’ancien président de la République du Sénégal n’apparaît pas avoir été déposée.