Le marathon de Dubaï a livré des chronos de folie, avec 2h03’34 pour l’Ethiopien Getaneh Molla, qui faisait là ses débuts, et 2h17’07 pour la Kenyane Ruth Chepngetich, qui tombe son record de 5 minutes en 1 an et trois marathons. Les règles de la progression sont défiées…
Les règles sont faites pour être transgressées. Toutes ? Certainement pas celles de la physiologie sportive, que tant d’experts et de scientifiques ont définies et scrutées à travers les années.
Analysée sous cet angle, la performance de Ruth Chepnegtich à Dubaï ne peut que susciter un vrai malaise. Ce sentiment n’est pas tout à fait nouveau. Déjà en novembre, cette Kenyane de 24 ans avait créé sensation avec sa victoire à Istanbul en 2h18’35. Elle tombait ainsi son chrono de 4 minutes pile poil à l’endroit où elle avait effectué ses débuts un an plus tôt, avec 2h22’36. A Dubaï, le phénomène se reproduit avec cette fois, un chrono sous les 2h18’, qui la propulse au 3ème rang du bilan mondial de tous les temps, et seulement 11 semaines après son marathon d’Istanbul.
Une performance qui témoigne à la fois d’une capacité de récupération exceptionnelle et d’une maîtrise parfaite des allures avec une fin de course pleine d’aisance, la section entre le 35ème et le 40ème km courue en 16’09’’.
Mais le parcours de Ruth Chepnegtich interpelle aussi par son absence de background. Sa carrière n’a démarré qu’il y a juste trois ans, en 2016, elle avait 22 ans. Selon un article paru sur le site kenyan « The Nation », précédemment, elle avait disputé des courses sur route en scolaires, puis des courses locales au Kenya, à partir de 2014. Autant de résultats ne figurant sur aucune base statistique, ni de TILASTOPAJA, ni de l’IAAF, où elle apparaît en 2016, avec 1h11’33’’ au semi-marathon de Rabat. Elle ne disputera cette année-là que trois courses, les semis de Rabat, Mascarat (1h15’), Nairobi (1h14’).
Dès 2017, elle passe la surmutipliée, avec 8 semi-marathons, dont celui de Paris, amenant son record à 1h06’19’’. C’est carrément 5 minutes de gagnées. Et son premier marathon, en novembre, à Istanbul, lui apporte la victoire avec une marque de 2h22’.
Une inconnue de tous il y a un an
Voilà donc une sacrée carrière bâtie en seulement deux années, pour une coureuse inconnue des radars, et n’ayant jamais atteint le niveau international avant ses 23 ans. Dans son preview du marathon de Dubaï, le site américain Let’s Run a parfaitement résumé la situation par cette phrase : « Il y a un an, les seules personnes qui avaient entendu parler d’Emmanuel Saina et de Ruth Chepngetich étaient soit : a) liées à eux ; b) organisateur de course ou agent, ou c) un supersuper fan de demi-fond long. Et puis l’automne dernier, les deux athlètes ont fait les gros titres en réalisant des temps sur marathon ultra rapides dans des endroits improbables. » Emmanuel Saina avait couru en 2h05’21’’ à Buenos Aires, pour ses débuts, et Ruth Chepnegetich en 2h18’ à Istanbul. Dans les deux cas, des épreuves hors cadre des World Major Marathons, qui drainent les meilleurs marathoniens et meilleurs chronos.
Et le journaliste Jonathan Gault de pointer du doigt l’autre point commun de ces deux surprenants néophytes : leur manager, Federico Rosa, à la réputation très entachée par la multiplicité de cas de dopage frappant ses athlètes, avec encore la semaine dernière une nouvelle sanction pour Lucy Kabuu et un doublement de la suspension de Jemima Sumgong.
Pourtant, officiellement, Federico Rosa n’est pas l’entraîneur de Ruth Chepgenitch, qui n’hésite pas à déclarer au journaliste kenyan, Ayumba Ayodi qu’elle s’entraîne seule…. Et de soutenir avec aplomb : « Je n’ai pas eu d’entraîneur. C’est avec mes amis que j’ai appris l’art du running. J’aimais courir, courir et courir. Cela m’est venu naturellement à moi. Je m’entraînais parce que j’aimais courir. »
Ah combien de coureuses à travers le monde aimeraient pouvoir s’entraîner naturellement, sans conseils, quasiment débuter à 22 ans, courir trois ans plus tard en 2h17’, pour se hisser au 3ème rang de tous les temps, et accumuler près de 400.000 dollars de gains ???
La surprise Molla
Si Ruth Chepngetich arrivait à Dubaï, en ultra-favorite, le vainqueur hommes, Getaneh Molla , a, lui, créé une surprise totale, tant d’autres coureurs étaient plus attendus que lui pour aller rafler cette prime de 100.000 dollars, divisée par deux cette année. Car Dubaï n’est désormais plus le marathon le plus richement doté de la planète. Le budget de 816.000 dollars en 2018 a été diminué à 385.000 dollars, en mesure de rétorsion à la décision de l’IAAF de ne pas attribuer à l’épreuve le label « Platinuim » convoité par les organisateurs, qui ont ainsi marqué leur mauvaise humeur après avoir calculé qu’ils avaient distribué 11 millions de dollars à l’élite depuis sa création en 2008. Avec pour conséquence de supprimer toutes les primes d’apparition, et de réduire les primes d’arrivée.
Sans que ce revers financier ne provoque de contrecoups au plateau, qui comptait 8 coureurs sous les 2h07’, et seuls Chicago et Boston avaient fait mieux en 2018 (avec 9).
En final, c’est un néophyte et quasi-inconnu qui s’est imposé au nez et à la barbe des favoris. Getaneh Molla arrivait avec un passé sibyllin, une 5ème place au championnat du monde de semi en 2018, un record de 1h00’36’’ sur semi de 2017, et une grosse perf sur 5000 m fin août 2018, où à 24 ans, il passait sous la première fois sous les 13 minutes.
Cet Ethiopien de 25 ans devient ainsi le débutant le plus rapide de tous les temps, devant Haïle Gebrselassie (2h06’35’’), Kenenisa Bekele (2h05’04’’), ou encore Eliud Kipchoge (2h04’05’’. La chaussure Vaporfly qu’il portait n’a pas manqué d’être désignée comme l’une des explications à cette énorme performance. Quoi qu’il en soit, elle défie toute logique…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : D.R.