Stéphane Desaulty a été condamné en 2003 par la justice pour l’acquisition d’EPO effectuée au moyen d’ordonnances falsifiées, et a été sanctionné d’une suspension de deux ans pour cette possession. Le spécialiste du 3000 mètres steeple comptait alors parmi les meilleurs Français de la discipline, avec un record à 8’16’’00, deux titres de champion de France espoir, une participation au Mondial 1997, et à deux Mondiaux de cross.
Stéphane Desaulty fait partie du très petit nombre d’athlètes dopés qui ont reconnu leur utilisation de produits dopants, et qui acceptent d’en parler ouvertement. Avec la volonté d’informer et de mettre en garde les jeunes athlètes pour leur éviter de basculer dans ces dérives, et de traverser les mêmes difficultés que ces trois années de dopage lui ont apportées, tant sur le plan physique que psychologique.
Interview réalisée par Odile Baudrier – Photos Gilles Bertrand
Tu fais partie des gens qui ont vite reconnu leurs torts lorsque ton dopage a été découvert.
Moi, ça a été très simple. Le jour où j’ai décidé d’utiliser un produit interdit, j’avais décidé en moi que si je me faisais gauler, je le dirai à la seconde où je serai pris. Et c’est ce qui s’est passé. Pourtant, moi, je n’ai jamais été pris positif. C’est ça qui fait rire beaucoup de gens. Je me suis fait gauler en allant payer une facture. Quand j’étais athlète, je faisais des missions dans les quartiers difficiles, à Compiègne, pour la mairie. Quand les jeunes des quartiers ont appris ça, ils m’ont dit On aurait pu y aller pour toi !! Moi, j’ai répondu Vous plaisantez, je vous apprenais à faire les bonnes choses dans la vie, et pendant ce temps-là, je faisais des choses graves. Et moi, je vous aurais demandé de payer mon EPO. J’ai dit dans la vie, il faut assumer les choix qu’on fait et assumer les conséquences.
Justement, trouves-tu que tu as payé lourd ?
Je trouve que j’ai payé lourd pour le peu de soutien que j’ai eu de ma fédération. Je regrette que la Fédération se soit portée partie civile contre moi au tribunal. A la Fédération, il y a une cellule d’accompagnement d’un athlète pris pour dopage, pour l’aider, et comprendre pourquoi j’en suis arrivé là. Mais personne n’a cherché à comprendre. Il a fallu que je m’en explique dans la presse. Heureusement que des mecs comme Jean Christophe Colin de l’Equipe ont eu une équité pour m’interroger, pour aider les jeunes à faire de la prévention. Je parle bien de prévention, et pas de lutte. J’ai toujours fait la différence entre les deux. Pour moi, la lutte, c’est trop tard. La prévention, ce sont tous les gestes dans notre quotidien. Par exemple, l’athlète qui va voir un pneumologue, c’est qu’il a croisé quelqu’un qui prend des corticoïdes et qui lui a expliqué qu’avec un dossier, il pourra en prendre sans être inquiété.
Après tant d’années, as-tu pu comprendre ton dopage ?
Aujourd’hui, j’ai réalisé qu’il faut être dépressif pour se doper. C’est une phase de dépression. On arrive à transgresser les règles qu’on s’est toujours interdites. A faire des gestes invasifs qui sont de l’ordre du médical.
Qu’est-ce qui provoquait ta dépression ?
C’est un ensemble de choses. Le processus démarre le jour où on banalise la piqûre. Il y a déjà la démarche de rentrer dans la transformation de sa performance avec un apport médicamenteux. La presse a une responsabilité en présentant les médicaments interdits, les nouvelles molécules. On est en face de personnes dépressives, très instables, à la merci d’une recherche de performances. Avant de passer à l’EPO, les personnes prennent tous les produits dérivés. L’EPO, l’hormone de croissance, ce sont des médicaments très dangereux, très compliqués à gérer. Mais il n’y a pas que l’EPO. Si on prend de l’EPO, on est obligé de le combiner à 5 autres molécules. La B9, la B12, le fer, le magnésium. Les personnes qui passent à l’EPO utilisent déjà avant du fer injectable par intraveineuse. Je suis très très loin de l’athlé, je n’entraîne personne, mais je m’y intéresse toujours. Quand je vois un Froome qui se fait prendre aux corticoïdes, ça me fait rire. Si on regarde le taux d’asthmatiques dans les sports d’endurance, ils le sont tous… tout le monde sait très bien que la ventoline, ça permet de prendre des corticoïdes par voie intraveineuse ou intramusculaire, sans être détectable. On n’arrive pas à différencier un apport de ventoline et du corticoïde injectable. Et croyez moi que le mec qui s’injecte des cortcoïdes, il grimpe aux arbres… A condition qu’il soit entraîné ! Sauf qu’aujourd’hui, des mecs qui n’ont pas une pratique de haut niveau, qui ont juste une pratique loisirs, en viennent à prendre des médicaments interdits.
As-tu eu des effets secondaires des produits ?
Aujourd’hui, je travaille avec un psychiatre et une psychologue là-dessus. J’ai eu des problèmes d’addiction. Ils sont liés à mon automédication, à certaines molécules que j’ai prises. J’ai un foie qui n’est pas en super santé. J’ai pris pendant 5 ans du fer en intraveineuse. Aujourd’hui, j’ai une ferritine à 300 ou 400. C’est énorme ! Ce n’est pas anodin de prendre du fer tous les jours. Le foie morfle. Moi, j’ai commencé à boire de l’alcool en 2004-2005. Je n’en avais jamais bu de ma vie. J’ai eu une petite addiction à l’alcool. Très rapidement, j’ai consulté. Je n’ai pas de cirrhose, mais j’ai un foie qui commençait à fatiguer. Pas de l’alcool que je buvais, mais de tout ce que je lui ai mis dans la gueule pendant des années. Aujourd’hui, les séquelles, c’est tous les gestes que j’ai pu banaliser. J’ai eu un rapport au médicament très compliqué pendant des années. Dans les années 2006-2007, j’allais dans une pharmacie, j’achetais des antibiotiques tout seul, je me soignais tout seul. Ce sont des séquelles, pas vraiment liées à la santé, mais ce sont des séquelles addictives. Il faut en parler. Je ne me suis pas dopé plus de 3 ans. Je suis inquiet pour les cyclistes qui ont été dopés pendant 10 ans. J’étais très copain avec Gaumont. Je l’ai revu. Il est mort d’un arrêt cardiaque 6 mois après. Un mec qui s’est dopé pendant des années quand il va retourner dans le monde amateur du sport, même avec des copains, il est capable de prendre un truc. Il y a toute une rééducation à faire d’un sportif de haut niveau. Il y a tout un suivi psychologique à faire.
A 46 ans, trouves-tu que t’en es globalement bien sorti ?
Oui. J’ai vu des mecs faire des transfusions sanguines. Prendre de l’IGF1. Prendre des produits congelés deux mois, sortis du frigo, décongelés. Dans des situations sanitaires très très graves. J’aurais pu mettre les mains dedans. Moi, je l’ai fait tout seul, en ayant une démarche médicalisée, en faisant deux ans d’études en hématologie et endocrinologie. Moi, aujourd’hui, je pense que j’aurais à me racheter toute ma vie même si j’ai payé ma faute. Je pars du principe qu’aujourd’hui, à vie, j’ai une mission, un devoir de faire en sorte que les gens s’éloignent de ça. Ou ne s’en approchent pas. S’ils sont dedans, il faut en parler. Ne pas avoir peur d’en parler. Un athlète qui commence à utiliser un médicament dans une optique sportive, il faut aller voir un psy pour en parler. Si le gars entend ça, ça fera peut-être une étincelle. Il se dira peut-être que Desaulty a eu 4 mois de prison avec sursis. Moi, je l’ai eu pour faux et usage de faux. J’avais été défendu par Pascal Pouillot, président de l’Amiens AC. Il m’avait dit que ce serait plus grave car j’étais connu. Car quelqu’un qui va en correctionnelle pour faux et usage de faux, à la Sécurité Sociale, il y en a tous les jours. C’est pareil. Sauf que c’était pour utiliser des produits stupéfiants.
Tu suis toujours avec passion, les affaires de dopage, le sport en général ?
Oui. Les affaires de dopage, je les regarde avec un œil très triste. Je suis super triste quand je vois un mec qui se fait prendre. A part Froome ! J’avais été contacté par le mec d’ARD qui a fait de bons reportages sur le Kenya. Cela m’a affecté au plus profond de mon âme. Parce que ce reportage était bien, mais cela a conforté ceux qui veulent le faire, que dans les succès du Kenya, il n’y a pas l’altitude, le talent, les origines, l’hygiène de vie. Un dépressif va toujours faire des raccourcis, il va faire des choses sans réflexion. Il va se renfermer sur lui-même, il va s’isoler. J’ai fait ça. Je me suis isolé quand j’ai commencé à me doper. Aujourd’hui, je suis plus attaché aux valeurs des gens avec qui j’ai été formé. Comme Philippe Barbier d’Amiens. C’était mon prof d’histoire – géo dans un ZEP, une ZUP, un quartier où dans la classe 98% de gens issus de l’immigration. Il nous amenait en voiture, il allait nous chercher. Tant qu’on reste dans les mains de gens comme lui, il ne peut rien nous arriver. C’est quand on commence à fréquenter la mafia, des pays qui existent que quasiment par l’athlétisme, Kenya, Maroc, Ethiopie, que ça change.
C’est ce qui t’a fait basculer, de côtoyer des athlètes de ces pays ?
Ca m’a conforté dans des mauvais choix que j’étais en train de faire. Voir que ça existait. Voir ce qui était fait. J’entendais les mecs dire il n’y a pas de performances sans chimie. Ils disaient juste ça. Mais quand on a un pied dedans, le deuxième, il est très vite derrière. Encore une fois, un athlète français qui se dope, ce n’est pas normal par rapport à toutes les conditions qu’on a : s’il se blesse, il a le RSA, les APL, on n’est pas à la rue. On n’est pas comme dans les pays du Moyen Orient, où les gars, s’ils ne prennent pas des primes, un contrat avec un équipementier, ils n’ont rien. Eux, je pense que c’est vraiment la galère. Nous en France, on n’a pas le droit.
Pourquoi t’intéresses-tu encore au dopage ?
Ma démarche est une démarche pour que ce soit utile. Pour de la prévention. Ce qui m’intéresse, c’est que les jeunes ne se disent pas Je rate une course, je vais faire une prise de sang pour voir si je manque de fer. C’est important. Qu’ils ne passent pas dans une démarche de médicaments. Moi, à 18 ans, je suis junior 2, je fais 9ème des départementaux. Je n’ai plus le moral, c’est une petite dépression. Mon coach m’envoie chez le médecin, il fait un bilan sanguin, me dit Tu as 12 de ferritine, tu devrais être à 50-60. Il me donne une prescription de fer. C’est parti ! La démarche dopante est là. Tu ne prends pas du fer quand tu en manques, tu en prends pour ne plus en manquer, en prévention. Alors que le fer, il ne faut surtout pas en prendre quand tu n’en as pas besoin.
La Fédération aurait pu m’utiliser. A chaque fois que je fais une interview, on revient sur mes performances, mes actes. Je n’ai aucun intérêt à faire ça. Si je le fais, c’est que j’ai vraiment envie que les choses changent, que les mœurs changent, que les choses avancent. A la Fédération, ils ont utilisé Naman Keita. Il est gentil. Mais il dit j’ai pris un complément alimentaire aux Etats-Unis, et dedans, il y avait de la nandrolone. Ce qu’il faut expliquer, c’est tout ce qui est dangereux, tout ce qui est pervers. C’est la diabolisation de la performance par le médicament. Et les dangers derrière. Je parle d’addiction. On est addict à plein de choses. On fait tout en excès.
Moi, je suis pour la pénalisation du dopage. Pour faire de la prévention sur le dopage, pénalisez le dopage. Il y a un vide juridique. Le gars qui est positif à l’EPO, s’il a de l’EPO dans le sang, il l’a dans les mains ! Pour moi, un mec pris pour dopage doit être auditionné par la police, qui doit creuser. L’affaire Carmen Odoz, ce sont les flics qui l’ont fait sortir. C’est la première affaire de dopage qu’on ait eue en France. Après il ya eu Festina. A chaque fois, ce sont les flics qui ont fait bouger les choses. Ce ne sont pas les contrôles qui vont t’empêcher de te doper….
Interview réalisée par Odile Baudrier-Photos Gilles Bertrand