Blandine Bitzner ne s’est pas contentée d’être la leader française du demi-fond au milieu des années 90, conquérant record de France et titres nationaux, elle s’est aussi engagée contre le dopage, en militant pour le renforcement des contrôles. Son combat, symbolisé par un chouchou rouge au bras, n’a pas reçu de vrai soutien du monde de l’athlétisme, et au contraire, sa franchise lui a provoqué quelques problèmes, en particulier un procès en diffamation. Mais la Strasbourgeoise ne regrette rien, et à 51 ans, elle demeure une pratiquante de qualité, encore dans le TOP 50 au Championnat de France de cross cette année.
Quelles avaient été tes motivations à l’époque pour arborer le fameux chouchou rouge ?
C’était un engagement pour un sport propre. Souvent après une course, on te demande pourquoi tu n’as pas accéléré à tel moment. Tu te retrouves dans des courses où tu n’arrives pas à passer la vitesse supérieure comme certaines. Tu te poses des questions. Tu essaies de t’entraîner pour y arriver, mais tu ne peux pas. Tu t’aperçois en faisant une saison avec des meetings nationaux et internationaux que tu n’arrives pas à passer devant. Tu te dis qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Je me suis dit qu’en tant que sportive de haut niveau, il faut s’engager. C’est aussi donner beaucoup d’énergie car j’ai fait des démarches auprès de médecins pour demander comment on peut trouver certains produits, par les analyses de sang, de cheveux, et même pour ceux qui se font tondre le crâne, l’analyse des poils pubiens. Bref, de savoir comment on peut détecter les produits.
Tu avais voulu construire cette démarche par rapport à des athlètes que tu avais battues et que tu ne battais plus ?
Non, surtout, il y avait des athlètes d’un certain âge, qui avaient passé la quarantaine, et qui allaient très vite sur 1500 m, et on entendait dire que les Françaises essaient de s’accrocher derrière. Il y a quelque chose qui ne va pas. Le scénario cloche. On essaie de se poser les bonnes questions, et de trouver les réponses. On aboutit à un triste constat que des filles prennent des produits. Et moi, dans ce peloton, je ne veux pas être assimilée à ça car j’ai des enfants, je pense aux gamins qui vont s’entraîner, qui espèrent, peut-être pas aller en Equipe de France, mais se faire plaisir et progresser. Je n’aimerais pas les voir auprès d’un entraîneur véreux. Le sport, c’est la santé, même si le sport de haut niveau, ce n’est pas vraiment la santé, car on pousse le corps assez loin. Et si en plus, on se rajoute des produits en croyant que bien sûr, on ira plus vite, mais qu’un jour, on sera peut-être confronté à des maladies… Il fallait faire quelque chose. C’était un engagement.
Tu avais été une jeune athlète douée, puis tu avais arrêté, avant de reprendre quelques années plus tard. A quel moment ce problème du dopage t’est-il apparu ?
Assez rapidement. En croisant des athlètes pour mon premier grand championnat, à Stuttgart en 1993. J’ai croisé Linford Christie ou Donkova, je me disais d’accord ils s’entraînent mais la masse musculaire était vraiment impressionnante. Aussi les Chinoises m’avaient choquée à Stuttgart. On les voyait la veille ou l’avant-veille de leur compétition tourner avec un sparring partner masculin, à une vitesse impressionnante, et le jour de la compét, ça avance, ça met le turbot, ça ne grimace pas. Je me suis dit qu’il y avait un problème. Je ne me sentais pas bien dans ce milieu-là. Après, je me suis dit, il ne faut pas baisser les bras, il faut se battre. J’ai continué à m’entraîner. J’ai eu beaucoup de contrôles. Car certainement, le fait de revenir après tant d’années et de réussir des performances de bon niveau faisait que certains avaient le doute sur moi, sur mon intégrité. J’ai subi ces contrôles, sans problème. C’est là que j’ai pensé que les contrôles d’urines ne suffisent pas, qu’il faut des contrôles sanguins. J’ai fait la démarche d’aller voir un docteur de Strasbourg qui intervient dans des enquêtes criminelles et qui m’a expliqué que sur le cheveu, on peut retrouver tous les produits qui ont été pris à différentes périodes.
Quand as-tu commencé à arborer le chouchou ?
J’ai mis du temps à le porter, car je cherchais quelque chose de joli. Quelque chose de rouge, par rapport au sang, puisque je demandais les contrôles sanguins. Quelque chose de pas trop gênant, puisque je le portais en compétition. Au lieu de le mettre dans les cheveux, je l’ai mis au bras gauche, du côté du cœur.
Quelle a été la réaction autour de toi ?
C’était beaucoup de questions de certains athlètes. Pourquoi ? Parce que je m’engage par rapport à ça, il y en a qui trichent, il faudrait aller plus loin dans la recherche des produits.
Les gens étaient-ils favorables ou pas à ta démarche ?
Favorable ou pas, peu importe ! Il n’y en a pas beaucoup qui ont voulu me suivre. Il y en a quelques-uns qui ont eu un ruban rouge sur le maillot. J’ai encore visualisé les JO avec El Guerrouj, il semble qu’il avait mis un ruban rouge sur son maillot. Et aussi Paula Radcliffe. Mais je ne sais pas s’ils s’alignaient sur ce que je faisais, s’ils savaient réellement ce que je demandais, aux instances nationales et internationales. Pour moi, c’était une manière de montrer ma position par rapport au dopage.
Cette position s’exprimait par ce chouchou. Mais as-tu aussi fait des démarches plus officielles par rapport à la FFA ou à l’IAAF pour exprimer ta position ?
Non. Par contre, je faisais des petites interventions sur la région dans des collèges et lycées pour expliquer ce qu’était le sport de haut niveau. On abordait tous les sujets, l’entraînement, l’argent, le dopage. J’expliquais mon expérience, mon parcours, et on abordait forcément le sujet du dopage. C’était normal car pour des gamins intéressés par le sport, on peut gagner beaucoup d’argent en se dopant.
As-tu déjà discuté avec des personnes qui se sont dopées qui t’ont expliqué leurs raisons ou bien constates-tu que c’est plutôt la loi du silence ?
C’est la loi du silence. Et je constate que j’ai discuté avec des gens qui se dopaient et que je ne le savais pas. J’avais des soupçons. Je suis quelqu’un d’entier et de sanguin. Lors du Championnat d’Europe d’Helsinki, lors de la victoire de Rogachova, j’ai arraché mon dossard à l’arrivée car je ne sais pas su m’imposer, personne ne voulait mener, le public sifflait. Moi, je pensais que ce n’est pas possible que la course va se résumer à 300 mètres. Je suis passée devant, je n’ai pas mené assez rapidement, cela a été mon erreur, et je me suis fait avoir dans les 300 derniers mètres, par la coureuse de 8, qui faisait moins de 2 minutes. A l’arrivée, j’étais en colère, j’ai arraché mon dossard, j’ai commencé un tour de déshonneur avec les pouces vers le bas. Car c’était un spectacle lamentable, mais je faisais aussi partie de ce spectacle. C’était aussi de ma faute, j’aurais dû les allumer sur un rythme soutenu, je n’ai pas osé. J’étais surtout fâchée car c’était un spectacle pitoyable, et une victoire de Rogachova qui pour moi, n’était pas logique. J’ai eu beaucoup de doutes sur les coureuses de l’Est, que ce soit Ukrainiennes ou Russes. Je leur dois aussi d’avoir raté une finale olympique. J’ai raté la finale d’une place. On se dit qu’on aurait peut-être eu un autre parcours si on avait eu moins d’athlètes dopés devant soi.
De ta carrière, que retiens-tu de plus fort ? Ton record de France du 1500 m ? Les titres de Championne de France ? Les médailles par équipe dans les championnats du monde de cross ?
Le record de France, c’est fort, car on marque les tablettes, et il y est resté quelques années. Le premier titre de Championne de France. La médaille au championnat du monde de cross, mais ce n’était pas partagé, il y avait certaines personnes que je n’appréciais pas. J’ai dû mettre un peu d’eau dans mon vin, et pas d’EPO dans mon eau ! Je m’étais préparée pour le cross long, la Fédé m’avait demandé de passer sur le cross court, mais c’était difficile, il n’y avait pas d’ambiance. On l’a fêté avec Jean Marc, et son pote de Mulhouse qui étaient venus à Belfast. Le titre de championne de France de cross après ma blessure, c’était un grand moment, le fait de vaincre les blessures, de se dire que tout le monde vous oublie, ce qui est normal, et de réussir à revenir. Nike, mon équipementier, m’avait lâché, j’étais passée chez Fila, et j’étais contente de les remercier de me faire confiance. J’avais à cœur de gagner ce titre de championne de France à Nantes. J’oublie aussi les titres de Championne de France de relais avec l’ASPTT, c’était super, toute la famille était là.
Tu as eu un parcours atypique puisque tu as fait un arrêt long de 5 à 6 ans après avoir été une jeune athlète douée. Et justement à ton retour, peut-on dire que tu as ressenti un peu de suspicion à ton encontre, d’autant que tu es revenue de suite à un bon niveau ?
Oui, c’est vrai que les gens qui ne me connaissaient pas avaient un doute sur mes performances. Pour moi, ce n’est pas grave. Cadette et junior, j’avais déjà un bon niveau, j’avais été 2ème au France de cross en UNSS, j’avais gagné le Cross du Figaro en cadette et junior. J’avais des références sympas. Mais peu importe, les gens vous soupçonnent. Il y a peut-être des gens qui font croire qu’ils luttent contre le dopage, et qui sont dopés. Moi, je suis quelqu’un d’entier. Même si on ne me croit pas sur parole, ce n’est pas grave ! On m’aime ou on ne m’aime pas. Je n’attends pas qu’on m’aime pour dire les choses.
Ta carrière est exceptionnellement longue, tu es encore là avec un bon niveau à 51 ans, encore dans le TOP 50 au France de cross cette année. C’est une belle réussite !
Quelle vieille carne ! Oui, c’est peut-être parce que j’ai arrêté longtemps et que j’ai encore la foi. Malgré tout ça. Malgré ces épisodes plus ou moins gais, mais qui font partie de mon parcours. Moi, je ne me sens pas vétérane. J’aime ce que je fais, je m’amuse, je rigole, je donne des petits conseils et si je fais encore dans les 40 ou 50 au France de cross, je suis vachement contente. Je continue les petites perfs, il y a des années où on est blessée, on se traîne un peu la patte. On se dit que ce serait peut-être le moment d’arrêter, mais non, on ne raccroche pas les pointes. Le fait aussi d’avoir des enfants en bas âge, cela demande des exigences au niveau physique. J’aime bien taper dans le ballon quand je peux avec Hugo, les titiller. Je pense que ça fait partie de mon équilibre. Si je ne cours pas, ça ne va pas. C’est un exutoire. Car le travail, c’est une nécessité, mais si je n’avais pas mes collègues, je ne m’éclaterai pas. Un boulot administratif, ce n’est pas le top, c’est alimentaire. A côté de ça, j’ai besoin de vivre des moments forts. Quand je vais au France, que je vois Amine et son équipe, que je le vois gagner le France, c’est du bonus.
A l’époque où tu as lutté par rapport à ce problème de dopage, y-a-t-il eu du découragement ? Car tu as reçu une certaine animosité contre toi.
C’est normal qu’on me renvoie de l’animosité car je me sentais un peu une bête enragée contre le dopage. Quand j’ai parlé au micro de Monsieur Nelson Monfort, au Championnat d’Europe, où Madame Rogachova gagne le 1500 m, quand je me suis revue, j’ai l’air d’une folle ! Mais je suis tellement remontée, déstabilisée. Après, c’est normal, on récolte ce qu’on sème. A côté de ça, j’ai reçu plein de lettres d’encouragements. Suite à mon procès, je me demandais s’il fallait continuer, ou arrêter, j’étais un peu perdue. J’ai eu des lettres de personnes qui travaillaient aux urgences à Marseille, qui me disaient je ne peux pas vous révéler mon identité, mais vous êtes dans le vrai, je veux vous soutenir, vous avez raison. Nous, on a peur quand on voit arriver des athlètes et triathlètes d’un entraîneur véreux, qu’on connaît depuis longtemps, car ils arrivent aux urgences dans un triste état, ils ont pris des béta bloquants, ils ont pris de l’EPO ou je ne sais quoi, et ça fait peur. Et le sport de haut niveau, ce n’est pas ça. C’est normal, je suis comme tout le monde, je suis une guerrière, mais j’ai aussi mes moments de blues, de spleen. Alors je me réfugie dans le rock’n roll !
Tu parles de ton procès, qui t’a opposé à Fatima Yvelain-Maama, qui avait estimé à l’époque que tu l’avais diffamée. Peux-tu nous rappeler le contexte ?
C’était lors des Championnats de France de 5000 m à Niort en 1999. On se trouve toutes les deux à se battre pour la gagne, et je m’aperçois qu’elle est derrière moi, et qu’elle ne souffle pas du tout. J’ai pensé un peu aux Chinoises du Championnat du Monde de Stuttgart, qui avançaient comme des avions, qui ne respiraient pas, qui ne montraient aucune souffrance. Elle m’a battue, mais à l’arrivée, j’ai pensé il y a un truc ! J’avais déjà été attisée par le regard de son entraîneur à l’échauffement, Monsieur Dallenbach. Je pense qu’il n’attendait que ça. Ce n’est même pas elle qui aurait dû porter plainte, c’est surtout sur ses conseils, histoire de récupérer un peu d’argent. Oui, il y a diffamation, à l’arrivée, j’ai dit que ce n’est pas possible de courir sans respirer. De là, est parti le débat. Après, j’ai fait des excuses par l’intermédiaire des radios, mais ça n’a pas suffi. Monsieur Dallenbach s’est dit que c’est un moyen de m’enfoncer et de me faire payer ma grande gueule… J’ai continué à m’entraîner, et un jour, j’ai appris que je devais me préparer à un procès. J’ai trouvé un avocat, et on est partis en voiture sur Marseille. On a abordé ce procès sereinement. Je me suis dit que depuis le temps que je la ramène par rapport au dopage, que je me dis à l’arrivée que ce n’est pas possible de voir ces filles me battre. Ce n’est pas le fait de se faire battre, c’est de ne pas être battue à la régulière. Je voulais aborder le procès sereinement, c’est vrai qu’il y avait diffamation, mais trop, c’est trop. A la barre, j’ai dit Oui, je suis coupable de diffamation, mais ça fait quelques années que j’accepte la défaite mais je n’accepte pas que certains entraîneurs qui sont très douteux ne soient pas embêtés, et puissent entraîner des athlètes.
Comment s’est terminé ce procès ?
Moi, j’étais en stage au Portugal pour préparer le 10000 mètres. J’ai reçu un fax de Jean Marc avec une copie de l’article paru dans l’Equipe, comme quoi il y avait eu diffamation, mais qu’il y avait vice de procédure. Mais que la Fédération attendait de savoir ce qu’elle allait prendre comme mesure à mon égard, car ils n’étaient pas convaincus de l’aboutissement.
Cela veut-il dire qu’ils ne voulaient pas te sélectionner si tu avais été condamnée ?
Je ne sais pas. Peut-être. On ne me l’a jamais dit en face. Mais peut-être qu’ils avaient pris un parti, et ce n’était pas le mien.
En fait, Fatima Yvelain a été condamnée pour dopage quelques années plus tard, en 2012.
Oui, des années après. Elle a d’ailleurs purgé sa peine, et continue de courir. Elle est encore sur les podiums. Au Championnat de France de cross en mars, je me suis encore énervée au pied du podium de la voir avec son équipe du SCO, je suis allée voir Monsieur Giraud, et Monsieur Boquillet, qui est vice-président. J’ai dit c’est un peu lamentable de voir d’anciens dopés sur les podiums, et j’ai encore semé la pagaille ! Si c’était à refaire, je le referai, car c’est gênant.
Toi, tu es donc favorable à la suspension à vie dès la première sanction ?
Oui, de suite. Car qui a pris, prendra… Oui, car ça va trop loin, ce n’est pas normal. On ne peut pas faire confiance à quelqu’un qui a déjà pris des produits, il faut être responsable de ce qu’on fait. Il faut faire attention même quand on est malade, il faut faire en sorte de prendre autre chose ou tout simplement, de ne pas courir.
Tu m’as dit que cette affaire avait marqué le coup d’arrêt de ta carrière. Pourquoi ? Parce que tu étais mentalement absorbée ou parce qu’on t’a fait moins confiance ?
On m’a fait moins confiance, et surtout, j’étais le vilain petit canard, qui avait dit les choses. Je l’ai très bien ressenti quand j’étais au Championnat du Monde à Séville. J’étais avec l’Equipe de France, mais beaucoup de gens ne me parlaient pas. Ce n’était pas une bonne ambiance ! Et des personnes que je n’aurais jamais soupçonnées, que je croyais être de mon côté, mais qui ne l’étaient pas du tout, qui ne partageaient pas mes propos, ou ne voulaient pas s’embêter à parler de ça. Peut-être qu’ils avaient quelque chose à se reprocher ? Je ne sais pas. Moi, ça me fait rigoler. J’entends encore Monsieur Marajo ou Monsieur Dupont la veille du Championnat du monde de cross qui me faisaient la morale, me disaient Tu es parano, ce n’est pas vrai, on n’a pas de preuves. Je ne sais pas mais moi, quand je croise une athlète féminine, comme Donkova, en 1993, avec la pomme d’Adam au niveau de la gorge, qui a la sueur qui perle sur sa joue fraîchement rasée, je comprends qu’il n’y a pas besoin de preuves pour voir qu’elle prend des hormones. Visuellement, on le voit. Aussi en regardant les résultats, quelqu’un qui est au top toute la saison, ce n’est pas possible, on le sait bien. Voilà, je n’ai pas besoin de prise de sang ou de pipi pour comprendre.
Il y avait beaucoup d’athlètes sur lesquels tu avais des doutes à l’époque ?
Oui, forcément, en demi-fond, il y en avait quelques-uns. Il y avait des choses bizarres. Par exemple, un crossman, qui après sa course, se trouvait à avoir très très froid, et ne se sentait pas bien. Ce n’était pas une hypoglycémie. Ou au cross de Séville, une athlète qui veut être seule dans sa chambre, car toute la nuit, elle ne peut pas dormir, qu’elle a besoin de bouger, de faire des exercices. C’est l’EPO !
Combien d’athlètes françaises contrôlées positives as-tu côtoyées pendant ta carrière ?
Il y en a qui n’ont pas été contrôlées positives, mais qui étaient en arrêt ! Je ne dis pas de noms, je ne veux plus de procès, je ne gagne pas ma vie… Mais il y en a avec qui j’ai partagé un titre mondial…. Fatima Yvelain, positive il n’y a pas très longtemps, je pense qu’elle l’était déjà l’époque. La Fédération n’a pas cherché à approfondir les analyses pour savoir si elle l’était ou pas. Il y a aussi Julie Coulaud. A sa reprise, elle est venue en Alsace et elle s’est fait siffler sur les podiums de cross. Elle me mettait des mines, elle était loin devant moi. Quand j’ai appris qu’elle était positive, j’étais déçue, car avec sa sœur, c’était des filles sympas, que jamais j’aurais pensé qu’elles prendraient des produits. Elle avait un entourage, avait-elle le choix ou pas ?? C’est triste.
Trouves-tu que la situation a évolué depuis ton combat ?
Au niveau des contrôles ou de l’engagement des athlètes ? Le passeport biologique est une bonne chose. Certains se plaignent que c’est contraignant, qu’il faut donner une adresse, mais c’est normal. Cela fait une avancée. Mais ce n’est pas suffisant, car il y a des gens qui arrivent à courir malgré des paramètres anormaux. Et au niveau de l’engagement, les athlètes qui prennent parti ou pas, cela n’a pas augmenté. Par contre, j’aime bien l’attitude de Robert Michon, je l’admire. Elle dit que Monsieur Bigot a été contrôlé positif, il a fait son mea-culpa, mais moi, je ne suis pas sûre qu’il ne bénéficie pas encore de ce qu’il prenait avant. C’est pour cela que je suis pour la radiation à vie !
Toi, tu ne trouves aucune excuse aux personnes utilisant des produits dopants ?
Alors, l’excuse, ce n’est certainement pas, j’ai une maison à payer, j’ai des traites à payer. Ca, c’est tout le monde pareil… Il faut arrêter de prendre les gens pour des idiots. On est tous dans le même bateau. C’est un peu facile. C’est déplorable. Maintenant c’est vrai que le dopage en Chine ou en Russie, c’est triste. Car on ne peut rien y faire. Mes adversaires russes, ukrainiennes, roumaines, n’avaient pas le choix. Beaucoup ont eu des soucis de santé, elles venaient se faire soigner en France. A ce compte-là, comment on fait pour rivaliser d’égale à égale ? C’est vrai quand on est bien née, c’est facile de le dire, moi, je ne me dope pas. Ou alors, si on veut du spectacle, on dope les athlètes, on les suit pour qu’ils ne soient pas malades. Je ne sais pas ce qu’il faut faire…
Tu as le même entraîneur qui est aussi ton mari depuis 25 ans. Est-ce un élément important pour sécuriser le cadre dans lequel tu évolues ? Tu as confiance en lui, et réciproquement.
Ah oui, et je voudrais la même chose pour mes enfants. Je souhaiterais la même chose pour tout le monde. Le fait de changer d’entraîneur oblige à rétablir une confiance. C’est top de partager sa passion avec sa moitié. C’est le plus beau. Vivre les bons moments ensemble, les mauvais moments aussi, on se serre les coudes. C’est la stabilité, la confiance. C’est ce qui est le mieux.
Beaucoup d’athlètes changent d’entraîneur souvent.
Ils se cherchent. Ils sont perdus. Le rôle de la Fédé est de les aider à se sécuriser. Il y a encore trop de gourous et de malfrats, des gens douteux.
As-tu été approchée par des gens douteux durant ta carrière ?
Non, par contre, j’ai fait une démarche rigolote. J’avais demandé au meeting de Lausanne à rencontrer Monsieur Hermens. Je voulais avoir une entrevue avec lui et Jean Marc par curiosité par rapport au dopage. Je voulais voir s’il pourrait s’occuper de moi. L’entretien a été très court. Il m’a fait comprendre que mes résultats sur piste étaient pratiquement nuls, qu’il ne ferait pas d’argent sur mon dos. Que par contre, je pourrai faire de la route, sous réserve de me suivre au niveau des blessures, au niveau médical, et que dès que j’étais blessée, je devais aller dans sa clinique. J’en ai conclu qu’il s’occupe de ses athlètes, mais je ne sais pas si c’est de la façon dont je le voudrais, avec un sport propre. Ca ne veut pas dire que les athlètes suivis par ce Monsieur ont été dopés, mais j’ai ma petite idée là-dessus.
Justement, qui a été ton manager ?
D’abord, Monsieur Buffault. Les débuts ont été un peu houleux. J’ai recherché un manager français, et lors du meeting de Noisy le Grand, j’ai échangé avec Monsieur Cavalier. Il était secondé par Monsieur Auguin, et c’était une équipe sympa. On a évolué ensemble, on a trouvé des courses sympas, et à aucun moment, j’ai senti une atmosphère ou des propositions malsaines par rapport au dopage.
Pendant plusieurs années, ta carrière a été prolifique au niveau financier ?
Oui, il y a eu plusieurs années le Challenge des Mutuelles du Mans. J’ai bien apprécié. J’ai aussi gagné le Trophée Puma de cross, à Marrakech. A cette époque-là, les engagements pour les meetings de la Golden Ligue, étaient de 500 dollars d’emblée, plus l’hébergement gratuit. C’était une belle époque. Mais c’était l’époque de l’EPO…
Tu fait partie des athlètes qui ont vu l’arrivée de l’EPO ?
J’entendais aussi parler de l’hormone de croissance. Cela me faisait peur. Moi, j’ai peur d’une piqûre. Il y a des athlètes qui sont prêts à tout. Moi, de part mon éducation, ce n’était pas possible. Le nerf de la guerre est l’éducation. Avoir été élevée dans les règles de la loyauté, la sincérité, ne pas mentir, ne pas tricher. Parfois, je vois des gens pleurer sur le podium, et je me demande Est-ce qu’il n’a pas triché ? Il a souffert, c’est sûr, mais a-t-il triché ??
Dans ton procès de l’époque, un élément surprenant était le fait que le club de Fatima Yvelain, le SCO, s’était porté civile, ce qui est très rare, voire unique. Connais-tu les raisons de cette action ?
Je trouvais ça lourd que le club se porte partie civile, et veuille me mettre un coup derrière la tête, et essaie de ramasser de l’argent sur mon dos. Je pense qu’il y a des enjeux financiers derrière. Maintenant, j’en rigole, car Monsieur Giraud est président de la Fédération.
Parles-tu de ton engagement autour de toi ?
Cela fait partie de mon parcours. J’en parle. Je n’ai aucune honte à dire que j’ai été au tribunal, que j’ai été mise en cause pour une cause, qui est tout à fait noble, contre le dopage. De toute façon, je pense que l’athlétisme est en train de décliner, car il y a trop d’affaires.
Si c’était à refaire, ferais-tu la même démarche ? Y compris le procès ?
Oui. Je mangerai mes spaghettis tranquillement, sans boule au ventre, je m’exprimerai tranquillement à la barre.
Tu avais eu un peu peur tout de même ?
Oui, car un procès, on ne sait pas ce que c’est. Et puis on est à Marseille, on imagine des choses, on se dit qu’on va être attendu par des gens méchants. Et pas du tout ! Je suis allée faire le 10 km de Marseille, et je n’ai eu aucun problème. J’avais d’ailleurs été avertie par une amie du club qu’un athlète faisait courir le bruit que j’avais pris des produits interdits. Je l’avais abordé au Meeting de Nancy, un beau jeune homme, je lui dis Tu es qui pour dire que je me dope. Moi, j’affronte les gens, je n’ai pas peur. Je n’ai pas toujours la manière, je suis entière.
As-tu déjà été approchée par les acteurs de la lutte anti-dopage ?
J’ai été approchée par Marie Georges Buffet, qui était à l’époque Ministre, et qui par la suite, a embauché Monsieur Bassons. Elle m’avait laissé des messages sur mon répondeur, mais je n’ai pas répondu. Je n’avais pas envie d’aller à Paris travailler là-dessus, je préférais rester à Strasbourg, aller de ma propre initiative dans les lycées et collèges, à la demande des profs d’EPS. Peut-être que j’ai raté quelque chose ? Mais maintenant, c’est fait, c’est fait ! D’ailleurs, on devait se voir quand elle est venue sur un championnat du monde, je ne sais plus lequel. Et j’avais senti qu’il y avait quelques acteurs de la Fédération qui n’avaient pas trop apprécié, et j’avais senti une résistance. Je ne sais pas pourquoi. J’ai tout de même témoigné au Sénat à la demande de Madame Buffet lors de la préparation de la loi sur le dopage.
Tu avais dit au moment du procès, que tu t’étais attaquée à une athlète, mais que tu voulais surtout t’attaquer au système.
Oui, c’est vrai, c’est une athlète parmi tant d’autres. C’est le système. Que ce soit la Fédération française, l’IAAF. Je les mets tous en cause. Je suis persuadée qu’il y a des athlètes qui ont été protégés. Il y a des athlètes qui, pour des championnats du monde, se retrouvent à l’hôpital. Il y a trop de choses qui se passent, et qui me paraissent bizarre. Après quand je vois ce qui s’est passé, je rigole ! L’IAAF a des dossiers sur des athlètes qui se dopaient. En fin de carrière, ils ont attrapé Linford Christie ou Merlene Ottey, mais il ne fallait pas tuer la poule aux œufs d’or. C’est pour cela que je dis qu’ils sont en train de tuer l’athlétisme.
Heureusement, cela ne t’empêche pas de continuer à courir !
Ah non, je continuerai. Je crois que je suis de la mauvaise herbe ! Je ne sais pas si c’est de la mauvaise herbe ou de la bonne, mais je ne suis pas prête de m’arrêter.
Ton amour pour l’athlétisme n’a jamais été ébranlé dans cette affaire ?
Non. Ebréché. Entaché. Oui, forcément, il a été entaché. J’ai perdu le record de France, c’est fait pour être battu. Mais j’avais aussi battu le record de France sur le mile au Nikaïa. On avait fait les meilleures performances mondiales de l’année sur le mile. Mais un juge de la FFA avait vu qu’au départ, il y avait deux lignes tracées au sol, et on est parties de la mauvaise ligne. C’était une histoire de 10 cm. Il l’a dénoncé après. Mon Record de France du mile n’a pas tenu. Je rigolais, car par contre, le dopage continuait, on se renvoie la balle entre fédération, organisateurs de meeting, et ce sont les athlètes qui paient les pots cassés….
Interview réalisée à Strasbourg par Odile Baudrier
Photo : Gilles Bertrand