Mickael Unvoas compte parmi les enquêteurs spécialisés dans le dopage au sein de l’OCLAEPS, office dédié à la lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Ce Breton d’origine, rôdé aux enquêtes violentes durant un séjour en Guadeloupe, a plongé dans la lutte anti-dopage il y a trois ans, permettant de faire aboutir l’enquête sur Laila Traby, et collaborant sur d’autres affaires liées au dopage de masse, dans les salles de musculation. Dans cette démarche, Mickael Unvoas a croisé le chemin de centaines de sportifs, en particulier d’athlètes, et en a conçu un regard acéré sur les dérives du dopage.
Quel a été ton parcours pour devenir enquêteur sur le dopage à l’OCLAEPS ?
Je suis gendarme depuis 2002. Après deux ans à la base, j’ai passé le concours d’Officier de Police Judiciaire car j’étais intéressé par les enquêtes. Ensuite je suis parti 4 ans en Outre Mer, en Guadeloupe, où j’ai pu travailler sur beaucoup d’affaires avec des gardes à vue. Puis j’ai été affecté en Brigade de Recherches à Cognac, où l’on traite des dossiers plus compliqués. J’ai eu l’opportunité d’un poste à l’Oclaeps, spécialisé sur l’environnement et la santé publique. A l’origine, je voulais aller à l’environnement, mais le poste libre était dans la lutte contre le dopage. J’ai accepté avec pour mission de travailler efficacement dans la lutte contre le dopage, et de faire un réseau dans le milieu du sport. Il m’a fallu à peu près 1 an pour bien maîtriser les infractions, la procédure liée aux affaires de dopage. J’ai suivi mes collègues déjà en place, surtout spécialisés dans le cyclisme. J’ai étudié la législation. J’ai eu mon premier dossier, celui sur Laila Traby. J’ai aussi travaillé sur le dopage de masse.
En Guadeloupe ou à Cognac, sur quelles affaires avais-tu travaillées ?
En Guadeloupe, tous types d’infractions, pas mal d’affaires de stupéfiants, du meurtre à la séquestration, l’enlèvement, les affaires de mœurs, d’urbanisme, avec beaucoup d’infractions basées sur les violences. A Cognac, des enquêtes sur les infractions liées au commerce du Cognac, la tonnellerie, le bois, les cambriolages. On a réussi à éliminer beaucoup de réseaux de voleurs, et des héroïnomanes, nombreux dans les campagnes.
En arrivant à l’OCLAEPS, connaissais-tu le monde du sport ?
Un peu, car j’ai un oncle qui a été champion de France de saut en hauteur plusieurs années. Jeune, j’allais le voir sur les stades. Moi, je pratiquais surtout les sports co. Je suivais le sport comme un divertissement. Je n’étais pas spécialisé. Je me suis spécialisé dans l’athlétisme, j’aime l’athlétisme, c’est varié. J’ai eu aussi l’affaire Bigot rapidement. Je n’avais pas d’a priori sur un sport, ou de passion particulière.
Qu’est-ce qui t’a surpris en arrivant dans le sport disons « un peu voyou » ? Etait-ce très différent du contexte connu en Guadeloupe ?
Ce qui m’a surpris, c’est l’omerta du milieu, qui est très forte. Les gens te font comprendre qu’ils savent des choses mais qu’ils ne peuvent pas te les dire car sinon, ils seront mis au banc dans leur propre milieu, et que ce sera la fin de leur carrière. Tu sais qu’il se passe des choses, mais tu sais aussi que tu auras très difficilement les informations. Ca va demander un travail de mise en confiance des gens, d’être honnête avec eux. Et j’ai aussi été surpris par la diversité des méthodes dopantes, et des produits sur le marché. Ca ne s’arrête jamais ! Actuellement, la gamme des peptides se développe beaucoup, de nouveaux protocoles de dopage. J’ai été surpris du cocktail que les gens avalent, des risques qu’ils prennent…
Les risques pour leur santé ou pour les infractions ?
Pour les infractions, ils ne risquent pas tellement pénalement. Mais pour la santé, c’est énorme. Il y a des produits qui sont encore en phase de recherche. Comme pour les peptides, on ne connaît pas les effets secondaires, et à long terme. J’ai entendu des arguments qui m’ont interpellé. Un athlète m’a dit « 4ème ou dernier, c’est la même chose ! » Il avait eu cette réflexion qu’après des années de souffrances, de privations, il n’y avait que le podium qui comptait. Souvent le peu qui manque va être obtenu par les médicaments. Ils rentrent dans la triche, oublient tous leurs principes et se persuadent que c’est normal, que les autres le font aussi. Sur les compétitions internationales, on voit ouvertement des gens dopés, cela les met en colère, et à force, ils se disent qu’ils vont faire la même chose, et qu’ils seront meilleurs.
Tu as été face à des meurtriers, des personnes violentes. L’approche face à des gens impliqués dans le monde du dopage est-elle la même ?
Non. Ce ne sont pas des voyous ! Ce sont des gens normaux. Ce sont des gens qui souffrent. Ils ont une vie difficile, certains s’entraînent 6 heures par jour. Ils ont une pression familiale, médiatique. Et aussi les contrats des sponsors qui leur imposent des résultats. Ils sont fragilisés, il suffit qu’ils tombent sur le mauvais environnement. Car on s’est aperçus que l’environnement est très important, un coach, un kiné, quelqu’un qui va leur glisser qu’il peut avoir un produit pour les aider. En fait, le sportif tout seul ne fera pas ces démarches-là, quelque chose va l’aider.
Parfois, les plaignais-tu en les entendant ?
Non, je ne les plains pas car souvent, ils ont aussi un ego assez important. Il faut qu’ils s’aperçoivent qu’il n’y a pas que ça, et qu’ils aient un principe de vie, des lignes déontologiques. Gagner à quel prix ? Gagner en sachant que tu as triché, tu ne peux pas être satisfait. Au fond de toi, tu le sais.
Le relationnel à lier avec des sportifs est-il facile ?
Il n’est pas facile à cause de notre fonction, qui est policière, et nous ne sommes pas forcément bien vus. Le rapport de confiance ne s’instaure pas de suite non plus. Il y en a que l’on gêne, car il doit se passer des choses pas claires dans leur carrière. J’ai vu aussi qu’ils reviennent vers toi quand ils voient qu’on lutte, qu’on s’investit. Mais ça met du temps.
Justement tu as tissé un réseau d’informateurs, comme le font tous les enquêteurs ?
Je n’appellerai pas ça des informateurs, ce sont plutôt des lanceurs de petites alertes. Car les informateurs en police et gendarmerie donnent des renseignements en échange de quelque chose. Moi, ce que j’obtenais, était gratuit, je ne donnais rien en échange, je ne promettais rien. Ce sont des gens qui se battent pour un sport plus propre. C’est vraiment gratuit. Ce ne sont pas des informateurs, ce sont des gens qui en ont marre qu’il y ait de la triche, et qui donnent des petites informations pour lutter.
Y a-t-il une déception parfois devant la longueur des enquêtes ?
C’est le système judiciaire en général qui allonge les enquêtes. Ce n’est pas que pour le domaine sportif. D’autant que les enquêtes où personne n’est incarcéré ne sont pas prioritaires. Maintenant, on sait qu’on est dans une thématique particulière, où ce ne sont pas non plus des criminels… Il y a eu un changement récent, l’arrivée des CIRADE, qui seront normalement les futurs « enquêteurs ». Ils n’ont pas les mêmes prérogatives que nous, mais ils ont déjà les réseaux, les connaissances sportives. Certains sont passionnés, ils arrivent à de très bons résultats. Ce sont de très bons relais pour nous. Par exemple, j’ai bien travaillé avec Fabrice Dubois sur l’Occitanie, qui connaît les disciplines.
Quelle est la technique de travail pour une enquête type dopage ?
J’ai repris les archives des procédures de dopage qui étaient à notre disposition, j’ai fait une sorte de compilation des données, surtout dans le demi-fond, car il y avait de la matière. J’ai laissé ce travail pour mes successeurs. On retrouve des schémas qui se répètent, des notions de couples par exemple sur des athlètes à double nationalité, un entourage sportif douteux, des coachs, des gens qui n’ont pas des situations très claires. Il y a beaucoup de gens dans le milieu qui se prétendent agents et qui ne le sont pas, des gens qui chassent les primes avec des athlètes étrangers. Il y aurait un rôle de régulation plus sévère à jouer de la part des autorités sportives, puisque le fait de se prétendre agent sportif à tort est un délit.
Une enquête exige-t-elle d’entendre beaucoup de personnes ?
Oui. On doit travailler à charge et à décharge : on doit donc entendre l’environnement sportif, les différents clubs, les personnes fréquentées. Cela correspond à une enquête classique. On ne doit pas entendre seulement des personnes susceptibles d’apporter des informations intéressantes pour l’enquête, on doit aussi entendre des amis, qui vont les défendre. Pour avoir une enquête complète, il faut entendre des personnes des deux côtés, qui vont aussi la défendre. C’est le principe de l’impartialité, à charge et à décharge.
En dehors de l’athlétisme, sur quelles affaires as-tu travaillées ?
Sur le dopage de masse. C’est une problématique très importante, et plus étendue qu’on ne le croit. Dans les salles de musculation, on ne trouve pas de produits. Par contre, on s’aperçoit qu’autour de chaque grosse salle de musculation, gravite un vendeur de produits, souvent lié à des magasins de compléments alimentaires. C’est souvent une couverture pour eux. Des personnes créent carrément des laboratoires chez eux, en achetant des produits précurseurs, directement en Chine, et fabriquent des fioles injectables dans leur cuisine. Cela rapporte beaucoup d’argent. Le risque est que leur colis soit intercepté par les douanes, ils le contournent en faisant livrer à des tierces personnes. Ce sont des choses qui se sont beaucoup développées ces dernières années en France. Les normes sanitaires ne sont pas respectées, des produits injectables sont distribués par des gens qui prétendent connaître la physiologie du sport et qui sont très actifs sur des blogs privés ou publics, qui font la publicité des produits, et qui bannissent toutes les personnes critiquant leurs produits. Nous avons effectué plusieurs interpellations dans ce domaine. En fait, ce sont des dealers.
Cela se rapproche du trafic de stupéfiants ?
Cela y ressemble. Mais en fait, ce n’est pas la même population. Le profit est presque équivalent. Mais ce sont des gens issus de milieu sportif, qui n’ont pas une mentalité de voyous. Ils ont souvent de familles, des emplois normaux. Ce n’est pas identique.
Dans tes enquêtes, as-tu le sentiment que les gens mentent pour se protéger ?
Ils protègent leur entourage, leur réseau. Ils ne veulent pas passer pour des balances ! Pour le web, il y a le darkweb. Pour le sport, il y a le darksport. Il y a une nébuleuse qui est composée de ces gens qui n’ont pas de vraie fonction, qui gravitent, et qui vivent sur le dos des sportifs. Un sportif qui dégage des résultats génère des contrats de sponsors, des droits de mutation entre clubs. Les changements de nationalité rapportent aussi, ces pseudo-agents revendent ces sportifs à certains pays en échange d’argent sous la table.
Est-ce que parfois tu as envie de te mettre en colère pour faire bouger les choses plus vite ?
On aimerait bien qu’il y ait plus d’enquêteurs, de moyens. On était quatre enquêteurs sur toute la France. Maintenant, ce n’est pas criminel non plus, ce n’est pas une priorité. En même temps, quand on voit les JO et les retraits de médailles 8 ans après, il faudrait tout de même des institutions crédibles et efficaces, pour qu’on ne revive pas le même fiasco que sur les JO précédents. Il faudrait une vraie volonté politique. J’ai bien aimé l’article de Marie Georges Buffet dans Libération, qui plaide pour plus de judiciarisation des faits de dopage. Moi, par exemple, j’aimerais bien que toutes les morts subites sur compétitions, que ce soit des sportifs ou des animaux, il y ait systématiquement des analyses toxicologiques pour voir s’il y a des traces de produits, car on sait que certains produits augmentent le risque de morts subites des sportifs.
Certains parlent de légaliser le dopage
C’est ridicule ! Ce serait une course au record. On ramasserait des morts sur les stades. Il n’y aurait plus aucune limite. Il ne faut pas légaliser le dopage. Les produits sont de plus en plus forts. Certains prennent de grandes quantités de compléments alimentaires, beaucoup en injections. Ce n’est pas rien de se faire des injections le soir dans sa chambre. Ce serait criminel de légaliser !
Interview réalisée par Odile Baudrier